Page images
PDF
EPUB

surent émine

Salons et Cabarets

HISTOIRE ANECDOTIQUE

DE

LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

PAR

ÉMILE COLOMBEY

TOME II

E. D.

PARIS

E. DENTU, ÉDITEUR

LIBRAIRIE DE LA SOCIÉTÉ DES GENS DE LETTRES

[merged small][ocr errors][merged small]
[ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small]

Le dix-huitième siècle a compté, comme le dix-septième,un grand nombre de cercles littéraires, offrant la même diversité d'origine, les mêmes contrastes de ton. Nous rencontrerons, au commencement de cette seconde série, des personnages de l'une et de l'autre époque.

Ouverte en 1681, lors de l'installation de Philippe de Vendôme pour ne se fermer qu'à sa mort, en 1720, la réunion du Temple se tenait tantôt chez le grand prieur, tantôt chez son intendant, l'abbé de Chaulieu.

Construit en 1667 par Jacques de Souvré, le palais du grand prieur occupait, avec le parterre et le jardin, presque toute la portion de l'enclos du Temple où s'étend le square actuel.

L'hôtel Boisboudrand, situé dans la même enceinte, était la demeure de l'abbé et sa belle-sœur en faisait les honneurs.

[ocr errors]

Dans les grandes occasions, quand ses crus lui paraissaient indignes des convives du jour ou plutôt de la nuit, car ces réunions inter pocula étaient de véritables médianoches, Chaulieu tirait à vue sur la duchesse de Bouillon, qui ne craignait pas de venir affronter ces << repues franches », où elle avait pour. voisins ses neveux, le duc et le chevalier de Vendôme, deux cyniques, et pour vis-à-vis son frère, Philippe Mancini, duc de Nevers, un délicat, mais un délicat tolérant, dont la présence ne conjurait rien et qui ne s'offusquait de rien. « II voyait, dit SaintSimon, bonne compagnie dont il était recherché, il en voyait aussi de mauvaise avec laquelle il se plaisait (1). » L'abbé écrivait à la duchesse des billets de cette sorte :

« ... Si vous pouvez étendre la contribution sur quelques vins de liqueur, faites-le; car je n'ai que du vin de Bourgogne et de Champagne, et un peu de cette eau-de-vie dont s'allumait le feu des Vestales. Je meurs toujours de peur qu'elle n'ait de la peine à brûler au Temple. Toutes vertus y habitent, à la chasteté près qui n'y a jamais mis le pied; vertu froide et qui ne subsiste qu'autant qu'elle n'est point attaquée... » L'abbé ajoutait qu'il espérait que Mile de Lenclos serait cette fois de la fête. Elle avait, paraît-il, décliné souvent de pareilles invitations, par dégoût pour le maître du lieu, qui se consolait dans les orgies du Temple de la disgrâce encourue pour être resté témoin inactif de la bataille de Cassano, « Il avait tous les vices de son frère (le duc de Vendôme). Sur la débauche il avait de plus que lui d'être au poil et à la plume, et d'avoir l'avantage de ne s'être jamais couché le soir depuis trente ans que porté dans son lit ivre mort, coutume à laquelle il fut fidèle le reste de sa vie. Il n'avait aucune partie de général; sa poltronnerie reconnue était soutenue d'une audace qui revoltait; plus glorieux encore que son frère, il allait à l'insolence, et pour cela même ne voyait que des subalternes obs

1. Mémoires (édition Hachette), t. V, p. 390.

curs; menteur, escroc, fripon, voleur....., malhonnête homme jusque dans la moelle des os...., suprêmement avantageux et singulièrement bas et flatteur aux gens dont il avait besoin, et prêt à tout faire et à tout souffrir pour un écu, avec cela le plus désordonné et le plus grand dissipateur du monde. Il avait beaucoup d'esprit et une figure parfaite en sa jeunesse, avec un visage autrefois singulièrement beau. En tout, la plus vile, la plus misérable et en même temps la plus dangereuse créature qu'il fût possible (1). » Le portrait est brutal; mais il est parlant.

Vendôme était entouré de gais compagnons, au premier rang desquels se trouvaient Chaulieu et La Fare.

Le marquis de La Fare, après avoir quitté Mme de la Sablière pour La Champmêlé sous le couvert de la bassette, et La Champmêlé pour Mme de Sévigné, avait fui les sarcasmes de l'épistolière dans les bras d'une insignifiante Chloris. Il s'était dit, pour se donner le change : « Au moins, celle-ci n'a pas d'esprit. » La Fare avait, du reste, de l'esprit pour deux. C'était tout à la fois un agréable causeur et un agréable poète, sans ombre de malice. Voici le seul trait qu'il ait décoché. Il s'agissait de M. de Louvois qui s'était vengé d'un amour traversé, en brisant la carrière militaire du coupable. « Je ne forme qu'un vou, s'écria un jour La Fare, c'est que M. de Louvois soit obligé de digérer à ma place. » Le pauvre marquis était affligé d'un appétit des plus exigeants et avait souvent de lourds fardeaux à porter. M. de la Cochonnière, comme ses amis l'ont surnommé, - avait contracté à cet exercice un énorme embonpoint, << Il dormait partout... Ce qui surprenait, c'est qu'il se réveillait net et continuait le propos comme s'il n'eût pas dormi (2). » Il était presque toujours flanqué de son frère l'abbé, qui lui servait d'échanson. Cet abbé était un prêtre de sac et de corde, « un misérable déshonoré par ses débauches et par son escroquerie, que personne ne voulait ni voir ni regarder (3). » Le duc d'Orléans l'avait chassé du

1. Memoires de Saint-Simon, t. V, p. 140.

2. Ibid., t. X, p. 203.

3. Ibid., t. XX, p. 25.

« PreviousContinue »