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Le paisible échiquier, et le bruyant trictrac,
Et l'ivoire arrondi qui va chercher la blouse;
De la gaieté sans bruit, de l'esprit sans efforts;
A table autour de vous des esprits assez forts
Pour être treize, au lieu de douze ;

Un cercle peu nombreux, moins brillant qu'amical;
Quelques gouttes d'Aï dans le tonneau du mal;
Bons amis et bon voisinage;

La foire du canton, la fête du village;
Quelques perdreaux tirés au vol ;
Bien sans procès, Normands sans dol;
Des ouvriers qui vous conçoivent;
Des fermiers payant ce qu'ils doivent;
Le bon curé, passant en bonheur tous prélats,
Qui, dans sa charité féconde,

Après avoir en chaire exercé sa faconde,
Béni l'hymen, la vie, et le trépas,
Chez les pauvres finit sa ronde;

Sait, en venant de l'autre monde,
Causer tout bonnement des choses d'ici-bas;
De temps en temps un bal, où les musettes
Font sauter en cadence et garçons et fillettes;
Le journal et le bulletin,

Avec le chocolat servis chaque matin;

La lecture du soir, la douce causerie,

Beaucoup de promenade, un peu de rêverie,

Quelques écrits intéressants,

Quelques billets à des amis absents,

Les beaux-arts à Paris, aux champs le jardinage, Parfois un joyeux badinage,

Vous sauvent de l'ennui, triste enfant du dégoût : Bénissez donc votre partage:

L'homme heureux est celui qui sait l'être par-tout.

ÉPITRE

A LA CÉLÈBRE MADEMOISELLE ***.

Lorsque du haut des voûtes éternelles

Le roi des dieux venoit aux demeures mortelles
Chercher ou l'homme juste, ou la jeune beauté,
Sa modeste immortalité

N'alloit point, dédaignant le repos des cabanes,
Demander aux palais profanes

La pompeuse hospitalité.

Hôte indulgent, à son banquet céleste
Où jamais ne siégea la douce égalité,

Il préféroit d'un gîte agreste
L'innocente frugalité.

Là, dans l'incognito de la grandeur suprême,
Oubliant pour un jour l'étiquette des cieux,
Chez l'homme hospitalier, pauvre et religieux,
Le chaume pour lambris, des fleurs pour diadème,
Du miel pour ambroisie et du lait
pour nectar,

En attendant que des chaumières

Le doux sommeil vînt fermer ses paupières, Jupiter dételoit les aigles de son char;

Et sans projets, et sans tonnerre,

T. I. POÉS. FUG.

12

Laissant aller le monde et rouler le Destin,
En simple habitant de la terre,

Du

pauvre laboureur partageoit le festin;

Mais au départ (Baucis en offre un grand exemple),
Le voyageur sacré, de ce rustique lieu
Changeoit l'obscur asile en un superbe temple,

Et payoit son écot en dieu.

Vous êtes plus puissante encore et plus modeste;
Et mon poétique taudis,

Grace à vos traits divins, à votre voix céleste,

Devient pour moi le paradis.

ÉPITRE A M. DE BRULE.

Perdreaux exquis, vers pleins de

grace,

Les fruits de votre veine et ceux de votre chasse

Dans notre humble logis arrivent à-la-fois.

Ainsi le dieu qui d'un heureux délire
Dans mes beaux ans m'animoit quelquefois,
Partage avec vous son empire:

Poëte, vous touchez sa lyre;

Chasseur, vous portez son carquois.

Pour moi qui, sur les monts, dans les plaines riantes,
Sous la fraîche épaisseur des forêts ondoyantes,
Promenant mes rêves chéris,

Poursuis des vers, et non pas des perdrix;
Qui dans les airs laissant l'oiseau rapide,
Le liévre dans son gîte, et le cerf dans ses bois ;
Qui, chasseur paresseux et rimeur intrépide,
Chaque soir reviens sous mes toits

Mon portefeuille plein, ma gibecière vide,
Entre vos deux talents s'il falloit faire un choix,
Au lieu de dépeupler ces terres giboyeuses,
De vos festins à la gaieté si chers

Inépuisables pourvoyeuses,

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