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O grands! brillez dans vos palais;
Asservissez la terre entière:
Sur le pauvre, dans sa chaumière,
Je vais régner par mes bienfaits.
Viens, je t'offre un bras secourable;
Viens, malgré tes destins jaloux,
Revis, famille déplorable...
Quoi! tu tombes à mes genoux!
Tes yeux, éteints par la tristesse,
Versent des larmes de tendresse
Sur la main qui finit tes maux !
Tu crois voir un dieu tutélaire!
Non; je suis homme: à leur misère
Je viens arracher mes égaux.

Ne crains pas que mon ame altière, S'armant d'un faste impérieux, Offense ta pauvreté fière,

Et souille mes dons à tes yeux.
Malheur au bienfaiteur sauvage,
Qui veut forcer le libre hommage
Des cœurs que ses dons ont soumis;
Dont les bienfaits sont des entraves;

Qui veut acheter des esclaves,

Et non s'attacher des amis !

Vous, dont l'insolente richesse,

Humiliant les malheureux,

Offense, en l'aidant, leur détresse,

Sachez l'art d'être généreux :

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Mais souvent, de la Bienfaisance
Méconnoissant la jouissance,
Les bienfaiteurs sont des ingrats.
Par une morgue extravagante,
Aux bienfaits n'ôtons point leur prix;
De la Bienfaisance arrogante
Les dons blessent les cœurs flétris:
Par les eaux du torrent sauvage,
Qui porte en courant le ravage,
Le sillon n'est point fécondé :
Et par la pluie impétueuse,
De la semence infructueuse
Le germe périt inondé.

Mais lorsque la douce rosée
Abreuve et les fruits et les fleurs,
La campagne fertilisée

Reprend la vie et les couleurs :
Ainsi, dans l'ame libre et fière,
Jamais de la grandeur altière
Les bienfaits n'ont fructifié:
L'orgueil révolté les repousse;
Mais que la Bienfaisance est douce
Quand elle vient de l'amitié!

Oui; toujours de la Bienfaisance
Le prix dépend du bienfaiteur,

Et la juste Reconnoissance
Avant les dons juge le cœur.
Tout est sacré dans la misère;
Souvent son offrande légère

Des plus doux nœuds nous enchaîna :
L'orgueil lui-même lui pardonne,
Et la valeur de ce qu'on donne
Se mesure sur ce qu'on a.

J'admire cet arbre robuste,
Fertile en fruits délicieux;

Mais tout-à-coup d'un maigre arbuste
L'indigence attire mes yeux;
En vain, à travers son feuillage,
Une haie inculte et sauvage
N'offre qu'une aride moisson;
J'aime sa grace pastorale,
Et sa pauvreté libérale,

Et l'humble tribut d'un buisson.

Hélas! la superbe opulence
Est économe de bienfaits;
Et sans peine la Bienfaisance
Compte les heureux qu'elle a faits.
J'ai vu le temps où ma fortune,
Bravant la misère importune,
Pouvoit soulager le malheur;
Elle a fui: mais mon sort funeste
Trouve, dans le peu qui me reste,
De quoi soulager la douleur.

Oui; je hais la pitié farouche
D'un grand superbe et dédaigneux;

Oui, le blasphème est dans sa bouche,
Lorsque l'orgueil est dans ses yeux.
Enflé d'une vaine arrogance,
Même en exerçant sa clémence
Il aime à me faire trembler;
Et, lorsqu'il soutient ma foiblesse,
Son orgueil veut que je connoisse
Que son bras pouvoit m'accabler.
Ainsi nous voyons sur nos têtes
Ces nuages noirs et brûlants,
Qui portent les feux, les tempêtes,
Et les orages dans leurs flancs:
Tandis

que sur nos champs arides
Ils versent ces torrents rapides
Qui vont au loin les arroser;
Armés des éclairs, du tonnerre,
Même en fertilisant la terre,
Ils menacent de l'embraser.

ÉPITRE

Sur les ressources qu'offre la culture des arts et des lettres, prononcée au collège de Beauvais, à l'ouverture d'une thèse.

1761.

Enfin donc, renonçant à l'ombre de l'école,
Aux vains amusements de l'enfance frivole,
Dans un monde, charmant pour qui ne le voit pas,
Tu vas, mon cher ami, faire le premier pas.
Sans doute je pourrois, pédagogue sévère,
Te fatiguer ici d'une morale austère,
Te donner longuement ces sublimes avis
Si souvent répétés, si rarement suivis:

Mais le droit de prêcher n'est pas fait pour mon âge;
Les ans n'ont point encor sillonné mon visage,
Appesanti ma tête, et blanchi mes cheveux:
On ne sauroit trop tard devenir ennuyeux.
D'ailleurs que produiroit ce langage sévère?
L'art de persuader n'est que celui de plaire.

Je veux te présenter des objets plus riants:
Les arts ont, par leurs soins, formé tes premiers ans;
Même au sein de ce monde, où la mollesse habite,
A cultiver leurs fruits permets que je t'invite.
Pourrois-tu renoncer à leurs aimables jeux?
Ils sont de tous les temps, ils sont de tous les lieux.

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