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Montereau cultiver sa vigne et finir en paix ses vieux ans.

Supplément aux anecdotes de madame Geoffrin (1).

On montrait à madame Geoffrin la superbe maison du fermier-général Bouret. «— Avez-vous rien vu de plus magnifique, de meilleur goût? Je n'y trouverais rien à redire, si Bouret en était le frotteur. »>

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Soit malice, soit inattention, un homme qui prêtait ses livres au mari de madame Geoffrin, lui redonna plusieurs fois de suite le premier volume des Voyages du père Labbat. M. Geoffrin, dans la meilleure foi du monde, le relisait toujours sans s'apercevoir de la méprise. « << - Comment trouvez-vous, Monsieur, ces Voyages? -Fort intéressans... Mais il me semble que l'auteur se répète un peu. » Il lisait avec beaucoup d'attention le Dictionnaire de Bayle en suivant la ligne des deux colonnes. « Quel excellent ouvrage s'il était un peu moins abstrait!»-Vous avez été ce soir à la comédie, M. Geofdonnait-on? que Je ne vous le dirai pas; je me suis empressé d'entrer, et je n'ai pas eu le temps de regarder l'affiche.»-Quelque inepte que fût le bonhomme, on lui permettait de se mettre au bout de la table, mais à condition qu'il ne se mêlerait jamais de la conversation. Un étranger fort assidu aux dîners de madame Geoffrin, ne le voyant plus paraître, s'avisa de lui en demander des nouvelles. Et qu'avez-vous fait, Madame, de ce pauvre bonhomme que je voyais toujours ici, et qui ne disait jamais rien? C'était mon mari, il est mort. —

frin?

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Madame Geoffrin avait fait à M. de Rulhière des offres assez considérables pour l'engager à jeter au feu son ma(1) Voir t. IX, p. 438 et suiv.

nuscrit sur la Russie. Il lui prouva très-éloquemment que ce serait de sa part l'action du monde la plus indigne et la plus lâche. A tout ce grand étalage d'honneur, de vertu, de sensibilité qu'elle avait paru écouter avec beaucoup de patience, elle ne lui répondit que ces deux mots : En voulez-vous davantage? - M. de Rulhière racontait luimême l'autre jour ce trait devant M. le comte de Schomberg, qui, saisi d'admiration pour le grand sens de madame Geoffrin, et oubliant tout-à-fait la présence du conteur, ne put s'empêcher de s'écrier: Ah! c'est sublime.

M. de Montfort, ancien officier des deux corps de l'Académie et de l'artillerie de Sa Majesté Sicilienne, aujourd'hui ingénieur de M. le duc d'Orléans, adjoint et directeur des plans du roi à l'hôtel royal des Invalides où il demeure, vient de renouveler une construction de voiture que la nécessité lui fit entreprendre il y a quelques années en Afrique, où il voyageait pour son amusement et pour son instruction. La difficulté des chemins lui suggéra d'essayer d'exécuter une voiture en carton, que ses domestiques pussent facilement enlever et transporter dans les passages les plus difficiles. L'exécution de ce projet eut un plein succès. M. de Montfort en racontait, il y a quelques mois, les détails à M. le duc de Chartres, qui avait l'air d'en douter; il n'en fallut pas davantage pour déterminer l'auteur à tenter de nouveau la même entreprise, qui lui a tout aussi bien réussi que

ci-devant.

Ce carton n'est pas plus flexible que le bois, et il en a toute la solidité; son épaisseur n'est que de deux lignes dans les plus grandes voitures, qui sont huit fois plus légères que les voitures ordinaires de la même grandeur.

C'est à cette même légèreté qu'elles doivent la plus grande partie de leur solidité. Sont-elles dans le cas d'éprouver quelque rude coup de timon ou autre chose semblable, elles reculent, et le vernis dont elles sont recouvertes en est seul endommagé. Il règne la plus forte antipathie entre l'eau et ce vernis. Les voitures de M. de Montfort sont à l'épreuve de l'humidité, et supportent indistinctement le froid et le chaud; elles doivent toute leur force et cette espèce d'insensibilité à la préparation de la colle dont on se sert pour les construire.

Ce carton est susceptible, comme le bois, d'être ferré; il prend toutes les formes qu'on doit lui donner. On en peut faire des cabinets, des salons portatifs, des meubles pour les plus riches appartemens, des vases, des bateaux, des gondoles, des baignoires. Nous avons vu surtout un grand nombre de ces derniers objets chez M. de Montfort.

Nous n'oublierons point de parler des brancards et des trains qu'il fait construire; étant absolument dégagés de fer, ils sont d'une légèreté presque effrayante pour ceux à qui l'on n'en a pas démontré la solidité. M. de Montfort a trouvé le secret d'amalgamer le nerf de bœuf avec le carton, de n'en faire pour ainsi dire qu'un seul et même corps; et il résulte de cette union une élasticité, un liant dans les mouvemens, qui en font l'agrément et la solidité.

La séance publique de l'Académie Française, le jour de la fête de la Saint-Louis, pour être peu variée, n'en a pas été moins intéressante, et c'est M. d'Alembert qui en a fait tous les frais. Le prix de cette année, dont le sujet était la Traduction du commencement du seizième

livre de l'Iliade, n'a point été donné; mais dans le nombre des pièces qui ont concouru, l'Académie a distingué d'abord celle de M. Lœuillard, jeune Américain de dixneuf ans; une autre de M. de Murville, qui partagea la couronne académique, il y a deux ans, avec M. Gruet ; une troisième de M. le chevalier de Langeac. Outre ces trois pièces on a cru devoir faire une mention honorable de celles de M. l'abbé Gueroult, d'un anonyme, et enfin de M. le marquis de Villette, nom que le public a paru beaucoup remarquer, quoiqu'il fût nommé le dernier. On n'a lu que quelques morceaux de la première pièce. L'Académie a proposé ensuite pour le prix de poésie de l'année 1779, une pièce de vers à la louange de M. de Voltaire, et cette annonce a été reçue avec des acclamations multipliées. Le buste du grand homme, fait par M. Houdon, et dont M. d'Alembert venait de faire hommage à l'Académie, était exposé aux yeux de l'assemblée. La médaille du prix de poésie n'est, selon l'usage, que de 500 livres. Un ami de M. de Voltaire (et c'est encore M. d'Alembert), voulant encourager les concurrens et rendre le prix plus digne du sujet, a demandé à l'Académie la permission d'ajouter au prix une somme de 600 livres, ce qui fera une médaille de la valeur de 1100 francs. La forme de l'ouvrage et la mesure des vers seront au choix des auteurs; seulement l'Académie désire que les pièces de concours n'excèdent pas le nombre de deux cents vers. Le prix d'éloquence pour la même année 1779, qu'on avait déjà annoncé l'année dernière, est l'Éloge de l'abbé Suger. M. d'Alembert a occupé la séance par la lecture de deux Éloges, celui de Crébillon et celui du président de Rose. Ce dernier ne pouvait offrir que quelques anecdotes de société ; mais l'on sait avec quelle

TOM. X.

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grace, avec quelle finesse M. d'Alembert saisit et relève des traits qui échapperaient à tout autre. Le premier, en représentant l'analyse la plus judicieuse et la plus impartiale des tragédies de Crébillon, en donnant la plus grande idée de son art, en rendant à son génie toute la justice qui lui est due, rappelait sans cesse et la pensée de l'orateur, et la pensée de ceux qui l'écoutaient, à l'objet éternel de notre admiration et de nos regrets, au grand homme qu'une cabale assez puissante osa mettre long-temps audessous de Crébillon, mais qui ne fut pas obligé d'attendre le jugement de la postérité pour se voir vengé de cette injustice.

Les gens du monde ont trouvé dans la conduite de M. d'Alembert un peu de faste encyclopédique et peutêtre même un peu de maladresse; nos dévots l'ont regardée comme un acte public d'idolâtrie et d'impiété. Les curés de Paris se sont même assemblés pour délibérer à ce sujet, et sont convenus de présenter à Sa Majesté une espèce de mandement pastoral pour la supplier de vouloir bien interdire à l'Académie Française le choix d'un sujet aussi profane, aussi scandaleux que l'Éloge de M. de Voltaire. La lettre était faite, signée et prête à être envoyée au roi, lorsque des considérations supérieures l'ont arrêtée. On assure que M. le curé de SaintEustache, le confesseur du roi et de la reine, est le seul qui ait refusé constamment de la signer, et c'est probablement la modération de ce vertueux pasteur qui a le plus contribué à nous épargner au moins l'éclat honteux de cette nouvelle persécution.

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