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quelques alarmes au ministère du ténébreux empire, si ce ministère-là ressemble à beaucoup d'autres.

M. le docteur Franklin parle peu; et au commencement de son séjour à Paris, lorsque la France refusait encore de se déclarer ouvertement en faveur des colonies, il parlait encore moins. A un dîner de beaux esprits, un de ces messieurs, pour engager la conversation, s'avisa de lui dire « Il faut avouer, Monsieur, que c'est un grand et superbe spectacle que l'Amérique nous offre aujourd'hui. Oui, répondit modestement le docteur de Philadelphie, mais les spectateurs ne paient point.....

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On a cité plusieurs mots de Louis XIV pleins de noblesse et de grandeur. En voici un qui est moins connu et qui mérite de l'être. M. d'Harcourt, en rendant compte de l'emploi des sommes dont il avait eu à disposer pour gagner les Espagnols, déclara à M. de Torcy qu'il lui restait cent mille écus. Le ministre lui répondit qu'il ne doutait point de l'usage qu'en ferait le roi, et qu'il ne manquerait pas de l'instruire d'un désintéressement si rare. Louis XIV en parut fort touché, et dit à M. de Torcy : « Je veux que ces cent mille écus soient portés au trésor royal pour l'honneur de mon règne. » Il combla ensuite M. d'Harcourt de dignités et de bienfaits. L'esprit qui règne aujourd'hui dans notre ministère est bien propre à faire revivre des traits de ce genre.

Un des plus singuliers monumens de jurisprudence qu'on ait publiés, c'est le Code des Lois des Gentoux, ou Règlement des Brames, traduit de l'anglais d'après les versions faites de l'original écrit en langue samskrète. A Paris, 1 vol. in-4.

On y trouve les lois d'un peuple qui semble avoir instruit tous les autres, et qui, depuis sa réunion, n'a jamais changé ni de mœurs ni de préjugés. Il a fallu toute l'adresse et toute la fermeté de M. Warren Hastings, gouverneur général des établissemens anglais, pour obliger les brames à révéler ces grands secrets. Le traducteur anglais est M. Halhed. Ce Code annonce un peuple corrompu dès l'enfance, et les distinctions odieuses des différentes castes en souillent presque toutes les pages.

Sur les successions et le partage des propriétés, les dispositions générales de la loi des brames sont celles des lois romaines, et la conformité dans les détails est encore si extraordinaire, qu'on serait tenté de croire que Rome tira de l'Inde cette partie de sa jurisprudence.

Les peines contre l'adultère sont aussi indécentes que cruelles. Il est ordonné de graver sur le front d'un brame adultère les formes du sexe féminin, de raser les cheveux d'une femme adultère avec de l'urine d'âne, et de lui faire une honteuse et cruelle mutilation avant de la faire mourir. Rien de plus dur, de plus barbare que tout le détail des obligations imposées à la femme, dont les philosophes indiens en général paraissent avoir beaucoup plus mauvaise opinion que M. Thomas. Il est dit dans ce triste Code qu'une femme n'est jamais satisfaite d'un homme, ainsi que le feu n'est jamais satisfait du bois qu'on lui donne à dévorer, ou le grand Océan, des fleuves qu'il reçoit dans son sein, ou l'empire de la mort, des hommes et des animaux qui s'y précipitent à chaque instant; qu'il ne faut donc jamais compter sur la chasteté des femmes, etc.; et ce beau chapitre finit par cette honnête conclusion: « Il est convenable qu'une femme se brûle

avec le cadavre de son mari. Toute femme qui se brûle ainsi accompagnera son mari en paradis ( la belle consolation!), et elle y restera trois crores et cinquante lacks d'années (1). »

Un renversement d'idées plus bizarre, plus inconcevable encore, est la proportion que le législateur des brames établit entre les peines de différens délits. Dans une cause concernant un homme, si quelqu'un rend un faux témoignage, son crime est aussi grand que s'il assassinait mille personnes. Dans une cause où il est question d'or, si quelqu'un rend un faux témoignage, on le traitera comme un coupable qui aurait assassiné tous les hommes nés et à naître dans le monde.... Un homme qui de la main porte atteinte à la pudeur d'une jeune fille, est, sans pouvoir s'en rédimer, condamné à la castration, quelquefois même, selon les circonstances, il encourt la peine de mort. Voilà donc ce superbe Code qu'on nous avait vanté si long-temps comme un des plus respectables monumens de la sagesse humaine! et j'aurais bien d'autres réflexions à faire, si je ne craignais d'offenser les oreilles délicates.

L'Académie royale de Musique vient de remettre Ernelinde, Orphée et les Fragmens composés des actes de Vertumne et Pomone et du Devin du Village, suivis du ballet d'Annette et Lubin, de la composition du sieur Noverre. Ce nouveau ballet, comme celui de la Chercheuse d'Esprit, n'est que le poëme mis en pantomime et suivi pour ainsi dire scène par scène; mais le choix (1) Le crore équivaut à 10,000,000 roupies; le lack à 100,000. Ainsi l'étendue de temps qu'on a voulu exprimer est de 35 millions d'années.

(Note de la première édition.)

du sujet nous a paru plus heureux; il prête à une marche plus rapide, à une succession de tableaux plus riche, plus variée, et le motif de chaque situation y est exprimé de la manière la plus simple et la plus pittoresque; c'est l'ouvrage d'un homme qui connaît toutes les ressources de son art, qui n'en néglige aucune, mais qui s'arrête aux limites que le goût ne se permet pas de franchir.

Le petit voyage que M. le duc de Chartres vient de faire à Paris pour rendre compte au roi du combat d'Ouessant a été célébré au Palais-Royal par les plus grandes réjouissances. Le jour même de son arrivée, ayant assisté à une représentation d'Orphée, il Ꭹ fut reçu avec des applaudissemens répétés tant de fois, que l'on eut à peine le temps d'entendre l'opéra. Le soir, pendant le souper de LL. AA. SS., les musiciens de l'orchestre exécutèrent un concert où les sieurs Larrivée, Gelin, Moreau, et toutes les demoiselles des choeurs, chantèrent ce beau morceau de Pyrame et Thisbé.

Honorez un héros digne sang de vos rois,
Honorez uu héros que la gloire couronne;
Chantez, célébrez ses exploits;
Ninus le veut, Ninus l'ordonne.

M. Moline, auteur des paroles d'Orphée, fit sur-lechamp, sur l'air du chœur de Vertumne et Pomone, les vers suivans qui furent chantés par les mêmes acteurs: Grand héros que la gloire guide,

La France te revoit vainqueur;
Le doux plaisir sur les pas d'un Alcide
Vole et ramène le bonheur,

Nos plus beaux jours sont dus à ta valeur.

Sous les lois de l'hymen l'amour est ton égide.

S. A. S. reçut tous ces hommages avec beaucoup de

sensibilité et voulut bien se laisser embrasser par toutes ces demoiselles. Les cafés du Palais-Royal et les Suisses de la porte avaient envoyé le matin une lettre circulaire dans toutes les maisons qui donnent sur le jardin pour les inviter à illuminer de concert avec eux en l'honneur de M. le duc de Chartres. L'illumination fut des plus brillantes, et la promenade, toujours fort fréquentée dans cette saison, attira ce soir-là plus de monde encore que de coutume. Monseigneur ne dédaigna point d'y paraître. Mademoiselle Arnould fit tirer un petit feu d'artifice devant ses fenêtres, et chanta sur son balcon des couplets du chevalier de Langeac, du capitaine d'Aubonne et d'autres, qu'il serait peut-être trop long de trans

crire ici.

Le lendemain de son arrivée et la veille de son départ M. le duc de Chartres ayant été voir Ernelinde, le spectacle fut encore interrompu par des applaudissemens qui redoublèrent avec un nouvel enthousiasme lorsque le sieur Larrivée, jouant le rôle de Ricimer, se tourna vers ce prince en lui adressant ces quatre vers.

Jeune et brave guerrier, c'est à votre valeur
Que nous devons cet avantage.

Recevez le laurier, il est votre partage ;

Ce fut toujours le prix qu'on accorde au vainqueur.

Tant d'hommages, tant de marques de reconnaissance et de sensibilité n'ont pas été à l'abri des insultes de l'envie et de la malignité. On sait qu'en suivant le char de triomphe de leur général, les soldats romains chantaient souvent contre lui des couplets satiriques que la populace était ravie d'entendre, même en criant vive le

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