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L'abbé Delille lui ayant lu sa satire sur le Luxe, imitée de l'épître de Pope au docteur Arbuthnot (1), il se rappela presque tous les vers du poète anglais, et fit sentir avec une délicatesse extrême et les endroits où le traducteur s'était écarté de son modèle, et ceux où il l'avait surpassé.

Dans la dernière séance de l'Académie, il parla for! long-temps et avec la plus grande chaleur sur l'utilité d'un nouveau Dictionnaire conçu à peu près sur le même plan que celui della Crusca ou celui de Johnson. Il pressa si vivement ces messieurs, que, malgré la résistance du plus grand nombre, on arrêta enfin d'entreprendre ce grand ouvrage. Ce fut lui-même qui consigna sur-lechamp, de sa propre main, dans les registres de l'Académie, et la résolution qu'on venait de prendre, et les motifs qui l'avaient déterminée. Il fit plus, il ne permit point que l'assemblée se séparât sans s'être partagé toutes les lettres de l'alphabet. Il prit pour lui-même la lettre A, comme la plus considérable. M. de Foncemagne, qui voulut se dispenser de cette tâche à cause de sa vieillesse, fut querellé tout de bon; il fallut céder. En terminant la séance, il leur dit, enchanté d'avoir réussi : « Messieurs, je vous remercie au nom de l'alphabet. Et nous, répondit le chevalier de Chastellux, nous vous remercions au nom des lettres. >>

lui

On parlait devant M. de Voltaire de l'Angleterre. « Il est certain, disait-il, que dans cette île les moutons sont plus gras, les chevaux courent plus vite, les chiens chassent mieux; cela pourrait bien faire présumer que les hommes y ont aussi quelque supériorité (2). — Oui,

(1) Le baron se trompe évidemment, et de deux pièces n'en fait qu'une. L'abbé Delille a composé une satire sur le Luxe et traduit l'épître de Pope au docteur Arbuthnot. (B.)

(2) On s'aperçoit aisément qu'ici le patriarche parle ironiquement. (Note de Grimm.)

lui répondit quelqu'un, j'ai remarqué que l'esprit de la constitution influait sur tout dans ce pays, et même sur la nature physique. On y voit les troupeaux errer librement dans leurs pâturages, sans chien, sans berger. Sans doute, Monsieur ; c'est qu'il n'y a point de loups.

Romance (1), de Desdémona, tirée de la tragédie d'Othello de Shakspeare, par J.-J. Rousseau.

Au pied d'un saule assise tous les jours,
Main sur son cœur que navrait sa blessure,
Tête baissée, en dolente posture,

On l'entendait qui pleurait ses amours.
Chantez le saule et sa douce verdure.

Et cependant les limpides ruisseaux

A ses sanglots mêlaient leur doux murmure.
Pleurs de ses yeux s'échappaient sans mesure
Qui les rochers affligeaient sur ses maux.
Chantez le saule et sa douce verdure.

O saule vert, saule que je chéris,
Saule d'amour, tu seras ma parure!
Ne l'accusez des ennuis que j'endure,
Je lui pardonne, hélas! tous ses mépris.
Chantez le saule et sa douce verdure.

A cet ingrat, qui trahit ses sermens,
Je reprochais tendrement mon injure.

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(1) C'est une vieille chanson qu'une jeune Mauresse, attachée à la mère de Desdemona, et devenue folle d'amour, chantait toujours, et qu'elle chanta même en mourant. Desdémona, tourmentée des pressentimens du malheur qui doit lui arriver, se rappelle cette chanson. Elle s'efforce d'abord d'en écarter le triste souvenir; mais entraînée par sa mélancolie, elle y revient malgré elle, et finit par la chanter en entier. (Note de Grimm.)

Imite-moi, répondit le parjure;

Ouvre tes bras à de nouveaux amans.
Chantez le saule et sa douce verdure.

Le gouvernement de l'Académie royale de Musique vient d'éprouver une nouvelle révolution; ce n'est plus la ville de Paris, ce ne sont plus messieurs les intendans des Menus, c'est un particulier, M. de Vismes, qui se trouve chargé de la conduite de cette grande machine. L'entreprise lui en a été accordée pendant douze ans, grace à la protection de M. Campan, valet de chambre de la reine, et aux sollicitations de M. de La Borde, son beau-frère, ancien valet de chambre du roi. Il a déposé, pour la jouissance de ce privilège, cinq cent mille livres, dont on lui paie annuellement les intérêts à raison de cinq pour cent sans retenue. Le nouvel administrateur s'est annoncé par des réformes et par des établissemens considérables. Il a commencé par se faire bâtir un fort bel hôtel, rue de la Feuillade. Il a fait graver sur la porte de son bureau ces trois mots en lettres d'or: Ordre, Justice, et Sévérité (1). Il a raccourci le théâtre, il a diminué l'orchestre, il a augmenté le nombre des loges à l'année, il a fait une économie de lumières dans la salle, pour donner plus d'effet à celles du théâtre; il a agrandi les lucarnes des loges, et les a fait garnir de glaces en faveur des corridors, etc.; enfin il a fait venir à grands frais une troupe de bouffons d'Italie. Mais il n'a pu réformer un grand nombre d'abus sans déplaire aux plus grandes puissances, sans révolter contre lui tous les ordres de l'État confié à sa tutelle, les premiers acteurs et les premières actrices, les ballets, l'orchestre,

(1) Ces demoiselles ont fait rayer ce dernier mot. (Note de Grimm.)

les chœurs, et même messieurs les compositeurs et messieurs les poètes, dont il a prétendu réduire aussi les honoraires, etc. Le peu d'égard qu'il a eu jusqu'à présent aux circonstances, aux principes reçus, aux anciens usages, a fait dire qu'il était le Turgot de l'Opéra, et l'on a présagé que son ministère ne serait pas de longue durée. Nous laissons au temps le soin de décider une question si intéressante.

Ce qu'il y a de très-décidé, c'est que la première nouveauté par laquelle M. de Vismes a fait l'ouverture de son spectacle a peu réussi. C'est une espèce de prologue, intitulé les Trois Ages de l'Opéra, dont M. de SaintAlphonse, le frère du nouveau directeur, a fait les paroles, et M. Grétry la musique. On a voulu représenter dans ces Trois Ages les trois époques où l'on a vu changer les formes de la composition musicale, le temps de Lulli, celui de Rameau, et enfin celui de M. le chevalier Gluck.

La musique de ce prologue n'est guère qu'un centon des airs les plus connus de Lulli, de Rameau et du chevalier Gluck. Tout le mérite dont on puisse tenir compte à M. Grétry est celui d'avoir lié avec assez d'adresse ces différens morceaux, et d'en avoir su mêler les nuances sans déplaire à l'oreille.

Les Trois Ages n'ont pas tardé à être remplacés par la Fête du Village. C'est un petit intermède dont M. Desfontaines, l'auteur de l'Aveugle de Palmyre, a fait les paroles, et M. Gossec la musique. On ne peut rien ajouter à ce que l'auteur du poëme en a dit lui-même dans un petit avertissement. Il avoue qu'on n'y trouve point d'action, point d'intrigue, ni mouvement, ni scène, ni dialogue; ce sont des villageois qui s'assemblent pour

Imite-moi, répondit le parjure;

Ouvre tes bras à de nouveaux amans.
Chantez le saule et sa douce verdure.

Le gouvernement de l'Académie royale de Musique vient d'éprouver une nouvelle révolution; ce n'est plus la ville de Paris, ce ne sont plus messieurs les intendans des Menus, c'est un particulier, M. de Vismes, qui se trouve chargé de la conduite de cette grande machine. L'entreprise lui en a été accordée pendant douze ans, grace à la protection de M. Campan, valet de chambre de la reine, et aux sollicitations de M. de La Borde, son beau-frère, ancien valet de chambre du roi. Il a déposé, pour la jouissance de ce privilège, cinq cent mille livres, dont on lui paie annuellement les intérêts à raison de cinq pour cent sans retenue. Le nouvel administrateur s'est annoncé par des réformes et par des établissemens considérables. Il a commencé par se faire bâtir un fort bel hôtel, rue de la Feuillade. Il a fait graver sur la porte de son bureau ces trois mots en lettres d'or: Ordre, Justice, et Sévérité (1). Il a raccourci le théâtre, il a diminué l'orchestre, il a augmenté le nombre des loges à l'année, il a fait une économie de lumières dans la salle, pour donner plus d'effet à celles du théâtre; il a agrandi les lucarnes des loges, et les a fait garnir de glaces en faveur des corridors, etc.; enfin il a fait venir à grands frais une troupe de bouffons d'Italie. Mais il n'a pu réformer un grand nombre d'abus sans déplaire aux plus grandes puissances, sans révolter contre lui tous les ordres de l'État confié à sa tutelle, les premiers acteurs et les premières actrices, les ballets, l'orchestre,

(1) Ces demoiselles ont fait rayer ce dernier mot. (Note de Grimm.)

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