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« M. l'abbé Gauthier avait commencé par m'écrire sur le bruit seul de ma maladie; il était venu ensuite s'offrir de lui-même, et j'étais fondé à croire que, demeurant sur votre paroisse, il venait de votre part. Je vous regarde, Monsieur, comme un homme du premier ordre de l'État. Je sais que vous soulagez les pauvres en apôtre et que vous faites travailler en ministre. Plus je respecte votre personne et votre état, plus je crains d'abuser de vos extrêmes bontés. Je n'ai considéré que ce que je dois à votre naissance, à votre ministère et à votre mérite. Vous êtes un général à qui j'ai demandé un soldat. Je vous supplie de me pardonner de n'avoir pas prévu la condescendance avec laquelle vous seriez descendu jusqu'à moi; pardonnez aussi l'importunité de cette lettre, elle n'exige pas l'embarras d'une réponse, votre temps est trop précieux.

« J'ai l'honneur d'être, etc. »

Réponse de M. le curé de Saint-Sulpice à M. de Voltaire.

<< Tous mes paroissiens, Monsieur, ont droit à mes soins, que la nécessité seule me fait partager avec mes coopérateurs. Mais quelqu'un comme M. de Voltaire est fait pour attirer toute mon attention; sa célébrité, qui fixe sur lui les yeux de la capitale de la France et même de l'Europe, est bien digne de la sollicitude pastorale d'un curé.

« La démarche que vous avez faite n'était nécessaire qu'autant qu'elle pouvait vous être utile dans le danger de votre maladie. Mon ministère ayant pour objet le vrai bonheur de l'homme, en dissipant par la foi les ténèbres qui offusquent sa raison et le bornent dans le

cercle étroit de cette vie, jugez avec quel empressement je dois l'offrir à l'homme le plus distingué par ses talens, dont l'exemple seul ferait des milliers d'heureux et peutêtre l'époque la plus intéressante aux mœurs, à la religion, et à tous les vrais principes, sans lesquels la société ne sera jamais qu'un assemblage de malheureux insensés divisés par leurs passions et tourmentés leurs repar mords. Je sais que vous êtes bienfaisant; si vous me permettiez de vous entretenir quelquefois, j'espère que vous conviendriez qu'en adoptant parfaitement la sublime philosophie de l'évangile vous pourriez faire le plus grand bien, et ajouter à la gloire d'avoir porté l'esprit humain au plus haut degré de ses connaissances le mérite de la vertu la plus sincère, dont la sagesse divine, revêtue de notre nature, nous a donné la juste idée et fourni le parfait modèle que nous ne pouvons trouver ailleurs.

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Vous me comblez de choses obligeantes que vous voulez bien me dire et que je ne mérite pas. Il serait au-dessus de mes forces d'y répondre en me mettant au nombre des savans et des gens d'esprit qui vous portent avec tant d'empressement leur tribut et leurs hommages. Pour moi, je n'ai à vous offrir que les vœux de votre solide bonheur, et la sincérité des sentimens avec lesquels j'ai l'honneur d'être, etc. »

Entre autres prétentions, M. le marquis de Villette a celle d'être le fils de M. de Voltaire, et de toutes ses prétentions, ce n'est pas la moins courageuse sans doute. Nous ignorons jusqu'à l'ombre de vraisemblance qu'elle pourrait avoir.....« Qu'est venu faire ici M. de Villette? disait quelqu'un à M. de Voltaire à Ferney.›

)) ((

Il dit qu'il

est venu se purifier chez moi; mais je crains bien qu'il

n'ait fait comme Gribouille, qui se mettait dans l'eau de peur de la pluie. »>

M. de Saint-Ange, le traducteur des Métamorphoses d'Ovide, a dans son maintien cet air langoureux et niais qu'on a remarqué quelquefois dans la tournure de ses vers. Ayant été, comme les autres gens de lettres, présenter ses hommages à M. de Voltaire, il voulut finir sa visite par un coup de génie, et lui dit en tournant doucement son chapeau entre ses doigts : « Aujourd'hui, Monsieur, je ne suis venu voir qu'Homère; je viendrai voir un autre jour Euripide et Sophocle, et puis Tacite, et puis Lucien, etc. » — «Monsieur, je suis bien vieux : si vous pouviez faire toutes ces visites en une fois! »

— « Vous avez, lui disait M. Mercier, vous avez si fort surpassé tous vos confrères en tout genre, vous surpasserez encore Fontenelle dans l'art de vivre longtemps. »>«< Ah! Monsieur, Fontenelle était un Normand: il a trompé la nature. »

Le petit théâtre de madame de Montesson n'a pas été moins brillant cet hiver que les années précédentes. On a distingué surtout parmi les nouveautés qui y ont été représentées deux comédies de madame de Montesson, la Femme sincère, l'Amant romanesque, et un opéra comique que l'on va donner incessamment au théâtre de la Comédie Italienne, intitulé: le Jugement de Midas (1). Les paroles de l'opéra sont d'un Anglais, M. d'Hèle, la musique du sieur Grétry. La Femme sincère est un tableau plein de graces et de sensibilité. Il y a dans l'Amant romanesque le même intérêt, avec un caractère plus original et des scènes plus gaies. Le principal héros (1) Voir ci-après au mois de juin suivant.

table

de la pièce est un homme de quarante ans fort respecpar ses vertus, mais qui n'a jamais pu se résoudre à se marier, parce qu'il n'a point trouvé de femme qui sût l'aimer à son gré avec assez de délicatesse. Il est transporté d'admiration pour une jeune personne que sa famille lui destine, mais qui aime ailleurs, et qui le supplie, en conséquence, de vouloir bien différer luimême le temps fixé pour leur union. Ce qu'elle lui propose dans l'espérance de pouvoir l'éloigner un jour entièrement, il le regarde comme une preuve décisive du sentiment le plus pur, le plus délicat. Il craint que sa passion ne l'égare en lui demandant la permission d'espérer l'accomplissement de son bonheur, dans..... il n'ose achever, dans trois. . . . ; la jeune personne frémit déjà, mais elle est bientôt rassurée, ce n'est que dans trois ans qu'il songe à renouveler ses instances. Il y a dans cette comédie un rôle d'intendant, de vieux domestique d'une sensibilité brusque, mais en même temps douce et comme accoutumée à plier sous le joug de ses maîtres, qui nous a paru d'une invention très-heureuse et très-piquante. M. le comte d'Ornésan l'a rendu avec un naturel, avec une vérité dont nos meilleurs acteurs ont rarement approché. La figure et la voix de madame de Montesson ont toute la grace, toute la fraîcheur de son esprit. Elle a rempli les premiers rôles, non-seulement dans ses propres pièces, mais aussi dans les opéra de Zémire et Azor, de la Belle Arsène, d'Aline, et de la Servante Maitresse. Ce spectacle a toujours attiré l'assemblée la plus brillante. M. de Voltaire, qui l'a vu deux fois, y a reçu presque autant d'hommages et d'applaudissemens qu'à la Comédie Française. Madame de Montesson a été le recevoir dans sa loge avec M. le duc d'Orléans.

L'illustre vieillard s'est mis à genoux; elle l'a relevé en l'embrassant, l'a comblé de caresses, et lui a dit avec beaucoup d'attendrissement : « Voilà le plus beau jour de mon heureuse vie. »

Lettre de M. de Voltaire à mademoiselle Dionis, qui lui avait envoyé son ouvrage intitulé: L'Origine des Graces.

<< Mademoiselle, vous avez eu la bonté de m'envoyer un livre qui contient, à ce que je présume, l'origine de votre maison; mais en ajoutant à ce bienfait la bonté de m'écrire, vous ne m'avez point instruit de votre demeure. Je n'ai pu, même après avoir lu votre Origine avec tant de plaisir, trouver le nom du libraire qui la débite; ainsi il m'a été impossible d'avoir un moyen de vous écrire et de vous remercier. M. de La Harpe, qui se connaît en graces et en style, vient de me dire qu'il était assez heureux pour vous connaître, et qu'il se chargerait de mettre à vos pieds la reconnaissance de votre très-humble et très-obéissant serviteur VOLTAIRE. >>

MAI.

Paris, mai 17 78.

Le Cheval et son Maître, chanson allégorique.

Sur l'air: Il était une fille, etc.

Bien loin de cette ville

Un seigneur déloyal,

Eut autrefois un bon cheval,

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