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Dont les talens et les écrits

Seraient de tous nos beaux esprits

Ou la censure ou les modèles !

Que Paris est changé! les Welches n'y sont plus;
Je n'entends plus siffler ces ténébreux reptiles,
Ces Tartuffes affreux, ces insolens Zoïles:

J'ai passé; de la terre ils étaient disparus.

Mes yeux, après trente ans n'ont vu qu'un peuple aimable,
Instruit, mais indulgent, doux, vif et sociable.

Il est né pour aimer. L'élite des Français

Est l'exemple du monde et vaut tous les Anglais.
De la société les douceurs désirées

Dans vingt États puissans sont encore ignorées:
On les goûte à Paris; c'est le premier des arts.
Peuple heureux, il naquit, il règne en vos remparts,
Je m'arrache en pleurant à son charmant empire;

Je retourne à ces monts qui menacent les cieux,
A ces antres glacés où la nature expire.

Je vous regretterais à la table des dieux.

On a fait pour le portrait de M. le docteur Franklin un très-beau vers latin :

Eripuit cœlo fulmen sceptrumque tyrannis.

C'est une heureuse imitation d'un vers de l'Anti-Lucrèce :

Eripuitque Jovi fulmen Phœboque sagittas.

M. de Voltaire, après s'être purifié par sa confession au père Gauthier, a jugé que pour achever son instruction il ne lui restait plus qu'à se faire initier dans les mystères de la franc-maçonnerie. Il a été reçu en particulier par M. le comte de Strogonow; il l'a été dans la loge des Neuf-Sœurs, par M. de La Lande; l'on a fait en

sa faveur une réception dans les formes; l'on a lu beaucoup de mauvais vers; on lui a fait faire ensuite un plus mauvais dîner. M. de La Dixmerie a couronné cette grande journée par l'impromptu que voici :

Qu'au seul nom de l'illustre frère
Tout maçon triomphe aujourd'hui ;
S'il reçoit de nous la lumière,
L'univers la reçoit de lui.

Le Roland du sieur Piccini occupe toujours le théâtre de l'Académie royale de Musique avec le plus grand succès. Il n'y a point d'opéra nouveau dont les douze premières représentations aient produit une recette aussi considérable. Si mademoiselle La Guerre, qui a remplacé mademoiselle Le Vasseur dans le rôle d'Angélique, a moins de graces dans son jeu, elle a la voix infiniment plus douce et plus flexible, elle saisit avec plus de justesse et l'expression et le goût de ce chant dont nos oreilles françaises ont dédaigné si long-temps la divine mélodie, mais qui semble enfin les trouver plus sensibles. La plupart des airs d'Angélique et de Médor, le duo qui termine le premier acte, le monologue de Roland au troisième, sa scène avec les bergers, sont admirables et ont même offert au musicien des situations et des motifs vraiment dramatiques. Convenons encore que le premier plaisir qu'on doit chercher au théâtre de l'Opéra est celui de l'oreille et des yeux, et non pas cet attendrissement, cette émotion soutenue que la tragédie seule peut nous donner, comme susceptible de plus grands intérêts, de développemens plus étendus et mieux gradués, en un mot une imitation plus touchante, plus naturelle et plus vraie.

Aux deux actes du Devin du Village et de Myrtil et Lycoris que l'on continue de donner le dimanche et le jeudi, on vient de joindre un petit ballet pantomime de la composition du sieur Gardel. Le sujet de ce nouveau ballet est tiré de la Chercheuse d'esprit du sieur Favart, ancien opéra comique en vaudevilles, dont on a suivi la marche scène par scène, et dont on a même conservé la musique le plus qu'il a été possible. Ce sujet si favorable au vaudeville ne paraissait pas infiniment propre à la pantomime, en ce qu'il ne fournit pas des situations assez marquées, des tableaux assez riches, assez variés ; mais le talent de mademoiselle Guimard a su faire oublier tous ces défauts. Elle a mis dans le rôle de Nicette une gradation de nuances si fine, si juste, si piquante, que la poésie la plus ingénieuse ne saurait rendre les mêmes caractères avec plus d'esprit, de délicatesse et de vérité.

Les Comédiens Italiens n'ont pas été fort heureux cet hiver en nouveautés. Matroco, drame burlesque en quatre actes et en vers, mêlé d'ariettes et de vaudevilles, n'a pas eu plus de succès sur le théâtre de Paris qu'il n'en avait eu l'année dernière à Fontainebleau (1). Les paroles sont de M. Laujon, la musique de M. Grétry. Il est impossible de donner aucune idée du poëme : c'est une extravagance sans esprit, sans gaieté; c'est un amphigouri d'un bout à l'autre, où l'on ne découvre pas même l'apparence d'un but quelconque; car, si l'auteur ne nous avait pas dit lui-même dans sa préface que son intention était de travestir les héros et les héroïnes des romans de chevalerie, nous ne l'aurions jamais deviné. (1) Mairoco fut représenté à Paris le 4 février 1778.

Il y a dans la musique des choses charmantes, entre autres un duo sur la Gazette, très-neuf et très-original ; mais ce sont des beautés perdues, et l'on a du regret au temps que M. Grétry a daigné employer pour un ouvrage aussi peu digne de son talent.

On vient de représenter sur le même théâtre une parodie de Roland en trois actes et en vaudevilles (1), qui n'a pas eu et qui ne méritait pas un meilleur sort que Matroco. C'est M. d'Orvigny, l'auteur de la comédie d'Orphée, à qui nous devons ce nouveau chef-d'œuvre de platitude, de mauvais goût et de mauvais ton. Roland s'y trouve déguisé en grenadier recruteur, Angélique en opérateur, Médor en coiffeur de femmes. On leur fait dire, dans des situations analogues à celles de l'opéra, les bêtises les plus dégoûtantes, les folies les plus triviales, et l'on appelle cela une parodie du poëme de Quinault. Dans tout ce fatras d'inepties il n'y a qu'un trait qu'on puisse citer : c'est le moment des fureurs de Roland. Après avoir dit, comme dans l'opéra, qu'il voit un abîme ouvert à ses pieds; après l'avoir regardé en frémissant de crainte et d'horreur, il rentre assez plaisamment en lui-même, et dit : « Mais non, je m'étais trompé; c'est le trou du souffleur. » Le jeu ridicule de quelques-uns de nos acteurs n'a justifié que trop souvent cette mauvaise plai

santerie.

Copie de la profession de foi de M. de Voltaire, exigée par M. l'abbé Gauthier, son confesseur.

« Je soussigné, déclare qu'étant attaqué depuis quatre jours d'un vomissement de sang, à l'âge de quatre-vingt

(1) La Rage d'Amour, représentée pour la première fois le 19 mars 1778.

quatre ans, et n'ayant pu me traîner à l'église, et M. le curé de Saint-Sulpice ayant bien voulu ajouter à ses bonnes œuvres celle de m'envoyer M. l'abbé Gauthier, prêtre, je me suis confessé à lui, et que si Dieu dispose de moi, je meurs dans la sainte religion catholique où je suis né, espérant de la miséricorde divine qu'elle daignera pardonner toutes mes fautes; et que si j'avais jamais scandalisé l'Église, j'en demande pardon à Dieu et

à elle.

«< A signé, VOLTAIRE, le 2 mars 1778, dans la maison de M. le marquis de Villette.

<< En présence de M. l'abbé Mignot, mon neveu, et de M. le marquis de Villevieille, mon ami.

MIGNOT, VILLEVIEILLE.

L'ABBÉ

« Nous déclarons la présente copie conforme à l'original qui est demeuré entre les mains du sieur abbé Gauthier, et que nous avons signé l'un et l'autre comme nous signons le présent certificat. Fait à Paris ce 27 mai 1778. — L'ABBÉ MIGNOT, VILLEVIEILLE. »

L'ABBÉ

<< L'original ci-dessus mentionné a été présenté à M. le curé de Saint-Sulpice, qui en a tiré copie. MIGNOT, VILLEVIEILLE. »

Copie de la Lettre de M. de Voltaire à M. le curé de

Saint-Sulpice.

4 mars 1778.

« M. le marquis de Villette m'a assuré que si j'avais pris la liberté de m'adresser à vous-même, Monsieur, pour la démarche nécessaire que j'ai faite, vous auriez eu la bonté de quitter vos importantes occupations pour venir et daigner remplir auprès de moi des fonctions que je n'ai cru convenables qu'à des subalternes auprès des passagers qui se trouvent dans votre département.

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