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a beaucoup plus occupé la conversation de nos soupers que les pertes de notre commerce, la prise de Pondichéry, et la malheureuse expédition de Sainte-Lucie. Nos grands politiques se sont contentés d'observer que si l'on donnait jamais le bâton de maréchal de France à M. d'Estaing, il ne serait pas du bois de Sainte-Lucie. Et voilà cette nation qui produit tous les jours tant de choses sublimes, renonce si facilement aux plaisirs dont elle paraît le plus enivrée, et brave sans efforts les plus grands dangers!

With happy follies, rise above their fate,
The jest and envy of a wiser state.

On a donné, le lundi 15, la première et dernière représentation des Deux Amis, ou le Faux Vieillard, comédie en trois actes et en prose, mêlée d'ariettes, parodiées sur des morceaux tirés des meilleurs compositeurs italiens. Le poëme est de M. Durozoi, citoyen de Toulouse, auteur d'une longue Histoire qui n'a jamais été lue que des capitouls de Toulouse; d'un poëme sur les Sens qui ne le sera jamais de personne; des Mariages Samnites, de la Bataille d'Ivry, de la Réduction de Paris; enfin l'auteur du merveilleux projet de mettre toute l'Histoire de France en opéra comiques. C'est un autre poète un peu moins fameux que le citoyen de Toulouse, M. Ginguené, qui s'est chargé de parodier les ariettes. M. Ginguené n'est guère connu que par quelques pièces fugitives, entre autres par la jolie Confession de Zulmé, qui ne lui est guère disputée que par cinq ou six personnes, et qui a été l'objet d'un procès fort grave, dont les principales pièces se trouvent con

signées dans le Journal de Paris, pour l'édification des siècles à venir (1).

La conduite de ce petit drame, les Deux Amis, est aussi froide qu'elle est triste, aussi embrouillée qu'elle est romanesque; et ce mérite, déjà si touchant par luimême, l'est encore plus, grace à l'emphase et au ridicule du style propre au sieur Durozoi. Les airs, quoique empruntés de différens compositeurs, ont presque tous le même caractère, sans avoir jamais celui de la situation; ce qui n'a pas peu contribué, sans doute, à décider si promptement le sort de l'ouvrage.

AVRIL.

Paris, avril 1779.

Nous possédons enfin l'ouvrage de M. de Buffon, qui nous avait été annoncé depuis si long-temps, ses Époques de la Nature. De tous les écrits de cet homme célèbre, c'est celui qu'il prétend avoir médité le plus, celui qu'il semble avoir travaillé avec une prédilection toute particulière, celui qu'il regarde lui-même comme le dernier résultat, le plus précieux monument de toutes ses études et de toutes ses recherches. Si le système établi dans cet ouvrage ne paraît pas à tous ses lecteurs également solide, on avouera du moins que c'est un des plus sublimes romans, un des plus beaux poëmes que la philosophie ait jamais osé imaginer.

(1) Ce procès en revendication se débattait entre Ginguené et Mérard de Saint-Just qui s'était attribué la pièce et fut convaincu de plagiat. Voir le Journal de Paris des 2, 4, 6 et 8 janvier 1779.

a beaucoup plus occupé la conversation de nos soupers que les pertes de notre commerce, la prise de Pondichéry, et la malheureuse expédition de Sainte-Lucie. Nos grands politiques se sont contentés d'observer que si l'on donnait jamais le bâton de maréchal de France à M. d'Estaing, il ne serait pas du bois de Sainte-Lucie. Et voilà cette nation qui produit tous les jours tant de choses sublimes, renonce si facilement aux plaisirs dont elle paraît le plus enivrée, et brave sans efforts les plus grands dangers!

With happy follies, rise above their fate,
The jest and envy of a wiser state.

On a donné, le lundi 15, la première et dernière représentation des Deux Amis, ou le Faux Vieillard, comédie en trois actes et en prose, mêlée d'ariettes, parodiées sur des morceaux tirés des meilleurs compositeurs italiens. Le poëme est de M. Durozoi, citoyen de Toulouse, auteur d'une longue Histoire qui n'a jamais été lue que des capitouls de Toulouse; d'un poëme sur les Sens qui ne le sera jamais de personne; des Mariages Samnites, de la Bataille d'Ivry, de la Réduction de Paris; enfin l'auteur du merveilleux projet de mettre toute l'Histoire de France en opéra comiques. C'est un autre poète un peu moins fameux que le citoyen de Toulouse, M. Ginguené, qui s'est chargé de parodier les ariettes. M. Ginguené n'est guère connu que par quelques pièces fugitives, entre autres par la jolie Confession de Zulmé, qui ne lui est guère disputée que par cinq ou six personnes, et qui a été l'objet d'un procès fort grave, dont les principales pièces se trouvent con

signées dans le Journal de Paris, pour l'édification des siècles à venir (1).

La conduite de ce petit drame, les Deux Amis, est aussi froide qu'elle est triste, aussi embrouillée qu'elle est romanesque; et ce mérite, déjà si touchant par luiinême, l'est encore plus, grace à l'emphase et au ridicule du style propre au sieur Durozoi. Les airs, quoique empruntés de différens compositeurs, ont presque tous le même caractère, sans avoir jamais celui de la situation; ce qui n'a pas peu contribué, sans doute, à décider si promptement le sort de l'ouvrage.

AVRIL.

Paris, avril 1779.

Nous possédons enfin l'ouvrage de M. de Buffon, qui nous avait été annoncé depuis si long-temps, ses Époques de la Nature. De tous les écrits de cet homme célèbre, c'est celui qu'il prétend avoir médité le plus, celui qu'il semble avoir travaillé avec une prédilection toute particulière, celui qu'il regarde lui-même comme le dernier résultat, le plus précieux monument de toutes ses études et de toutes ses recherches. Si le système établi dans cet ouvrage ne paraît pas à tous ses lecteurs également solide, on avouera du moins que c'est un des plus sublimes romans, un des plus beaux poëmes que la philosophie ait jamais osé imaginer.

(1) Ce procès en revendication se débattait entre Ginguené et Mérard de Saint-Just qui s'était attribué la pièce et fut convaincu de plagiat. Voir le Journal de Paris des 2, 4, 6 et 8 janvier 1779.

a beaucoup plus occupé la conversation de nos soupers que les pertes de notre commerce, la prise de Pondichéry, et la malheureuse expédition de Sainte-Lucie. Nos grands politiques se sont contentés d'observer que si l'on donnait jamais le bâton de maréchal de France à M. d'Estaing, il ne serait pas du bois de Sainte-Lucie. Et voilà cette nation qui produit tous les jours tant de choses sublimes, renonce si facilement aux plaisirs dont elle paraît le plus enivrée, et brave sans efforts les plus grands dangers!

With happy follies, rise above their fate,
The jest and envy of a wiser state.

On a donné, le lundi 15, la première et dernière représentation des Deux Amis, ou le Faux Vieillard, comédie en trois actes et en prose, mêlée d'ariettes, parodiées sur des morceaux tirés des meilleurs compositeurs italiens. Le poëme est de M. Durozoi, citoyen de Toulouse, auteur d'une longue Histoire qui n'a jamais été lue que des capitouls de Toulouse; d'un poëme sur les Sens qui ne le sera jamais de personne; des Mariages Samnites, de la Bataille d'Ivry, de la Réduction de Paris; enfin l'auteur du merveilleux projet de mettre toute l'Histoire de France en opéra comiques. C'est un autre poète un peu moins fameux que le citoyen de Toulouse, M. Ginguené, qui s'est chargé de parodier les ariettes. M. Ginguené n'est guère connu que par quelques pièces fugitives, entre autres par la jolie Confession de Zulmé, qui ne lui est guère disputée que par cinq ou six personnes, et qui a été l'objet d'un procès fort grave, dont les principales pièces se trouvent con

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