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Châtelet a obligé l'auteur de supprimer. Au lieu du vers qu'on lit dans l'impression, page 14, vers 18,

Je marchai, je l'avoue, au-devant de ses pas,

La Muse de la philosophie disait :

L'amitié vers Cirey me guida sur ses pas.........
Voltaire à mes leçons prêta son éloquence,
Et m'embellit de ses attraits....

C'est par lui que la Poésie

Fit entendre des sons aux mortels inconnus,
Et que le voile d'Uranie

Devint l'écharpe de Vénus.

M. du Châtelet a cru que l'honneur de sa maison pouvait être compromis par cette écharpe, et ce n'est qu'avec beaucoup de peine qu'on a pu obtenir la permission de rétablir les quatre derniers vers en changeant absolument le premier.

Le secret des Muses rivales avait été confié, il y a plus de six mois, à madame Vestris, qui l'a gardé comme si c'eût été le sien. C'est elle qui fut chargée d'envoyer le manuscrit avec une lettre anonyme infiniment modeste à M. le comte d'Argental, pour l'engager à les faire recevoir, et à les faire jouer par les Comédiens. L'extrême modestie de cette lettre a contribué plus que tout le reste à écarter l'idée de M. de La Harpe et dans l'esprit de M. d'Argental et dans l'esprit des Comédiens. On en avait fait honneur à M. de Chamfort, à M. de Rulhière, à M. le duc de Nivernois, enfin à M. Palissot ; et ce dernier soupçon s'était répandu le plus généralement quelques jours avant la représentation. L'ouvrage une fois connu, on s'est bientôt accordé à y

reconnaître la manière, et le style, et les opinions de M. de La Harpe, qui n'a pu lui-même se refuser longtemps au plaisir de jouir hautement de son succès. Quoi qu'en puisse dire l'envie qui ne pardonne jamais, si l'hommage que M. de La Harpe vient de rendre à la mémoire de son maître et de son bienfaiteur n'est pas la plus douce vengeance qu'il pût tirer de l'injustice de ses ennemis, c'est au moins la réparation la plus juste et la plus noble des torts qu'on avait à lui imputer.

M. de La Fayette est de retour de l'Amérique depuis peu de jours. Il n'est point de notre ressort de rendre compte des nouvelles qu'il a pu donner de l'état actuel de ces contrées; mais on ne nous saura point mauvais gré de rapporter ici une anecdote de son journal, qui ne tient nullement aux intérêts de la politique, et qui nous a paru assez originale pour mériter d'être retenue.

M. le marquis de La Fayette ayant été chargé de traiter, de la part du congrès, avec les sauvages de je ne sais plus quel canton de l'Amérique, un des officiers qui l'accompagnaient remarqua une jeune sauvage dont la conquête lui parut mériter ses soins. Il lui en rendit de très-assidus, et tous ses hommages furent reçus longtemps avec assez de froideur. Un soir cependant il revint annoncer à ses amis avec beaucoup de transport qu'il se flattait enfin d'obtenir le prix de ses peines, que la belle sauvage lui avait demandé une breloque de sa montre, et qu'elle avait paru fort sensible à l'empressement qu'il avait eu de la lui donner. On devait célébrer le lendemain une grande fête à la manière du pays. Notre jeune Français ne douta point que cette fête ne fût le jour de son triomphe. Jugez de sa surprise et de l'envie de rire

qui prit à ses camarades! Le premier objet qui s'offre à leur vue est cette même breloque au bout du nez du plus grand et du plus beau sauvage de l'assemblée!

Épitaphe de Voltaire, faite par une dame de Lausanne. Ci-gît l'enfant gâté du monde qu'il gâta.

Après avoir mis en pièces tout le théâtre de M. de Vo!taire, il était bien juste que M. Clément voulût songer à nous en consoler par quelque production de son génie. C'est ce qu'il vient de faire en nous donnant sa Médée en trois actes; mais le public que tant de volumes de la critique la plus savante et la plus impartiale, du goût le plus sévère et le plus exquis, n'ont pas encore suffisamment éclairé, le public toujours ingrat, toujours indocile, a si mal reçu la nouvelle Médée, représentée pour la première fois le jeudi 20, que l'on doute, malgré l'intrépidité de l'illustre auteur, qu'elle ose reparaître

encore.

La manière dont M. Clément a conçu le caractère de Médée est peut-être encore plus nouvelle que la manière dont il a conçu le génie de la tragédie. Il s'est infiniment applaudi d'avoir retranché de son sujet tout ce qui tenait à la magie dont la seule idée détruit à son gré toute espèce d'illusion. Au lieu de faire de Médée une dangereuse enchanteresse, il en a fait une amante sensible et passionnée, qui commet à la vérité toutes les horreurs de la magicienne, mais qui les couvre des larmes de l'amour; et c'est des remords de cette furie qu'il a prétendu faire naître le plus grand intérêt de son ouvrage. Jusqu'à présent l'on avait pensé qu'il n'était pas permis

d'altérer à ce point un caractère donné par la fable; on avait présumé que la vengeance de Médée ne pouvait être supportée dans une femme ordinaire, et qu'il fallait tout l'appareil d'un pouvoir surnaturel pour en diminuer l'atrocité par cette espèce de surprise et d'admiration qu'inspire le merveilleux en nous transportant hors de notre sphère habituelle, et en nous montrant les objets à une distance assez éloignée pour nous faire illusion sans nous faire horreur.

M. Clément a employé des ressources plus connues. Il a si heureusement adouci la situation de Médée prête à immoler ses enfans, qu'au lieu de faire frémir le spectateur, c'est ce moment même qui a excité les éclats de rire les plus universels, par le contraste sensible qu'il a su mettre entre l'action de Médée, son caractère et ses discours. Toute atrocité à laquelle il est impossible de croire ne paraît plus qu'une farce risible.

Mademoiselle Sainval, qui a joué le rôle de Médée, a jeté dans le premier acte quelques cris d'un effet prodigieux, et, grace à plusieurs mots favorables au talent de cette actrice, tout ce premier acte a été fort applaudi. Elle n'a pas pu soutenir de même les deux autres, qui ne sont d'un bout à l'autre qu'une déclamation monotone et puérile. La juste impatience du public ne l'a pourtant pas empêché de rendre justice à quelques vers de l'imprécation de Jason, que la belle voix du sieur Larive n'a pas manqué de faire valoir.

Va, fuis, je te dévoue aux noires Euménides,
A leurs serpens nourris du sang des parricides.
Que ton barbare cœur, devenu ton bourreau,
Chaque jour te prépare un supplice nouveau.
Va partout recueillir la haine qui t'est due.

Que les mères partout frémissent à ta vue!
Et que tes fils meurtris, sous tes coups expirans,
Viennent s'offrir encore à tes regards mourans !

On a remarqué encore dans le cours de l'ouvrage quelques vers naturels, tels que ceux-ci :

Qu'on se flatte aisément d'être aimé quand on aime!...
Vous vivez, je vous aime, et je n'ai plus d'époux...
Et comment soupçonner un héros d'imposture?

Mais le style de la pièce en général est faible et négligé, sans chaleur et sans vérité. Tout le monde a retenu ces deux vers où l'auteur a cru nous donner sans doute un modèle admirable d'harmonie imitative. Il s'agit de la robe de Créuse:

Ce tissu dévorant, par Créuse attaché,

Sans déchirer la chair ne peut être arraché.

Voilà, dit madame la comtesse d'Houdetot, un vers qui emporte la pièce.

Le mot de M. le comte de La Touraille est assez gai. Il rencontra l'auteur dans les corridors après la première représentation. Monsieur, je vous fais mon compliment.

Tout Paris pour Médée a les yeux de Jason.

C'est la parodie du vers de Boileau :

Tout Paris pour Rodrigue a les yeux de Chimène.

On vient de donner sur le théâtre de la Comédie Italienne les Deux Billets (1), petite pièce en un acte et

(1) Représentés le 9 février.

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