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ribaldi, nos Gluckistes, nos buffonistes triomphaient déjà d'avoir enfin réussi à former le goût de la nation. On vient de remettre Castor, et Castor a tout fait oublier: on n'y applaudit presque pas; mais on y court en foule, et la seizième représentation est aussi suivie que la première. Intrépides amateurs du plain-chant! vénérables soutiens du goût de nos aïeux! voyez après cela s'il y a lieu de craindre que la bonne musique nous gâte jamais!

NOVEMBRE.

París, novembre 1778.

L'OPINION que M. Bailly nous avait présentée d'abord, dans son Histoire de l'Astronomie ancienne, comme une lueur assez faible, assez incertaine, avait acquis déjà une plus grande clarté dans ses Lettres sur l'origine des Sciences; la suite de ces Lettres sur l'Atlantide de Platon achève d'écarter presque tous les nuages qui couvraient encore cette ingénieuse découverte. Les plus anciens mo. numens des sciences en Égypte, en Perse, aux Indes, à la Chine, n'offrant que des vestiges d'une tradition de venue presque étrangère à ceux qui en avaient conservé les débris, notre historien philosophe a soupçonné que ces peuples, que nous avions regardés jusqu'à présent comme les premiers instituteurs du genre humain, pourraient bien avoir emprunté eux-mêmes toutes leurs lumières d'un peuple antérieur. De nouvelles recherches l'ont porté à croire que ce premier peuple, auquel nous devions rapporter l'origine de nos connaissances, pouvait avoir existé autrefois dans le nord de l'Asie. Cette con

Том. Х.

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jecture se trouve justifiée aujourd'hui par le témoignage même des anciens, par l'explication la plus naturelle de leur théogonie et de leurs fables, par l'étymologie même des noms consacrés dans les traditions les plus respectables de leur histoire et du culte de leurs ancêtres.

Les Lettres sur l'Atlantide sont adressées à M. de Voltaire, elles ont été écrites avant la mort de ce grand homme, elles ne lui avaient point encore été communiquées. « Destinées, dit l'auteur, à développer, à apprécier une opinion qui a une grande vraisemblance, et qui peut-être sous l'apparence du paradoxe renferme un grand fonds de vérité, elles n'avaient point pour objet de convaincre M. de Voltaire, ce n'est pas à quatrevingt-cinq ans qu'on change ses opinions pour des opinions opposées.... La mort de M. de Voltaire n'a pas dû faire changer la forme de discussion employée dans les premières lettres; l'auteur a encore l'honneur de parler à M. de Voltaire. On n'est suspect de flatterie qu'en louant les vivans. Il s'applaudit de rendre un hommage désintéressé à la cendre de ce grand homme.... » On est fort éloigné de blâmer un sentiment si juste; mais on peut craindre que les lecteurs de M. Bailly ne trouvent ces hommages à la cendre du grand homme trop répétés, parce qu'ils le sont d'une manière trop précieuse, trop recherchée, et avec une profusion qui les rend insipides, quelque fine et quelque spirituelle qu'en soit souvent l'expression.

M. Bailly fait faire à ses lecteurs le tour du globe, il leur fait parcourir, pour me servir d'une de ses expressions, tous les déserts de l'espace et du temps, dans l'espérance d'y découvrir quelques restes, quelque souvenir de la race et du pays des Atlantides; mais il sème

cette longue route de tant de recherches intéressantes, de tant d'observations ingénieuses, qu'on se plaît à le suivre, et qu'on arrive au terme, sans se plaindre ni de la fatigue, ni de l'ennui du voyage.

Vers adressés à madame la comtesse de Boufflers, par M. de Voltaire (1),

En réponse à des vers que cette dame lui avait envoyés sur le bruit qui courut à Paris, il y a environ dix ans, que ce grand homme était mort.

Aimable fille d'une mère

Qui vous transmit ses agrémens,

Jeune héritière des talens

De la sensible Deshoulière,

Avec deux beaux yeux et vingt ans,
Quoi! vous daignez, bonne Glycère,
des vieilles gens,

Vous occuper

Et des fleurs de votre printemps

Parer ma tête octogénaire?

Oui, grace aux dieux, je suis, ma chère,

Encore au nombre des vivans.

Vous l'ignorez: je vous entends;

C'est qu'on l'ignore aux lieux charmans
Où les belles et les amans

Font leur résidence ordinaire;
Vous tenez le sceptre à Cythère,
Et je sais que depuis long-temps
Ou n'y dit plus que feu Voltaire.

(1) Cette pièce n'est pas de Voltaire, quoique Grimm la lui attribue et que plusieurs éditeurs de Voltaire l'aient, d'après cette autorité, comprise dans la collection de ses OEuvres. Elle fut bien imprimée sous son nom dans le Journal de Paris du 12 janvier 1779, mais elle fut réclamée par Pons de Verdun dans le numéro du 7 février. Pons de Verdun l'a comprise dans son recueil de Contes et poésies en vers, 1783, in-12, pages 48-49; mais non dans la nouvelle édition donnée sous le titre de les Loisirs ou Contes et poésies diverses, 1807, in-8°.

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Le Panégyrique de Saint Côme et Saint Damien prononcé en l'église paroissiale de Saint-Côme, le 27 septembre 1778, par le curé de Saint-Étienne-du-Mont, Génovéfin, n'a point été imprimé; mais c'est un modèle d'éloquence trop curieux, et qui a fait trop de bruit, pour ne pas en donner quelque idée. Voici une des tirades les plus brillantes de ce savant discours. Après un éloge pompeux de la médecine et de la chirurgie l'orateur s'écrie:

« Et à qui devons-nous tout cela, Messieurs? A qui! cela se demande-t-il? A la bénédiction, à l'invocation, à la protection de nos saints jumeaux, de nos astres étincelans d'une lumière incorruptible. Mais avançons. Mettrai-je du profane dans un discours si saint? Et pourquoi pas ? Dieu, la vérité, la justice, l'équité et nos deux saints me l'ordonnent. Vous connaissez cette opération terrible, abominable, où il faut creuser, tailler dans la chair, la pierre que ce pieux solitaire, de mémoire immémorable, portant le nom d'un de nos saints, a inventée, perfectionnée, exaltée à son comble; cet instrument délicat, ingénieux, dont sa main adroite soulage le genre humain de douleurs incroyables, qu'inventa enfin le frère Côme, Feuillant, à qui le devonsnous ? A nos deux jumeaux, Messieurs. Et cette autre, voisine de celle-ci, la fistule, cette opération affreuse qu'a subie plusieurs fois notre saint archevêque, cet homme illustre qui........ qui.... (là est l'éloge de M. l'Archevêque.) Et à propos de ce grand homme, puis-je m'empêcher de vous parler d'un autre du même nom? Vous connaissez un art célèbre, la marine........ (là une description de l'art de la marine.) Eh bien, Messieurs, un Beaumont, parent de M. l'archevêque, c'est à lui que nous sommes redevables, c'est lui qui nous a pro

curé la relique de nos saints jumeaux. Et à qui croyezvous que nous devons tous ces miracles? Je le répète, à nos saints jumeaux.

<< Et vous parlerai-je encore d'une autre opération aussi sublime, inventée par deux intrépides héritiers du talent et du zèle de nos saints jumeaux, messieurs Sigaud et Le Roi? Je veux dire cette opération qui favorise et facilite aux femmes mal conformées, tortuées, leurs accouchemens. Je sais, Mesdames, que depuis le péché du premier des humains vous devez les rendre avec douleur, et que le passage à la lumière doit être laborieux ; mais auparavant que l'art, les efforts et l'opération de messieurs Sigaud et Le Roi vous les eussent facilités, les fruits mouraient ou étaient tués par des mains maladroites, et souvent la mère aussi. A présent, graces à cette opération généreuse qu'on ne peut trop louer, trop exalter, vos enfantemens, Mesdames, seront plus faciles et moins douloureux, moyennant les écartemens que procurent messieurs Sigaud et Le Roi, suppôts de Côme et de Damien, que je ne puis cesser de louer, tant leur charité est grande et secourable, ni la femme forte non plus, qui la première s'est prêtée à leur zèle pour faire sur elle l'essai d'une expérience et d'une opération qu'elle a soutenue, malgré l'envie et la cabale, avec une fermeté héroïque....»>

que

On imagine sans peine les éclats de rire et le scandale qu'a dû causer un pareil galimatias; mais bien persuadé le ridicule de cette sainte oraison était de la meilleure foi du monde, on s'est contenté d'interdire à l'avenir au Génovéfin la faculté de prêcher; et le pauvre homme, qui se croyait un don tout particulier pour l'éloquence de la chaire, se trouve suffisamment puni.

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