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fririons pas le continuel remords d'en être nous-même la cause. Au contraire, si nous intimions aux sujets de ces souverains de sortir de nos états, de ne pas approcher de nos ports, ne serait-ce pas une infortune irréparable, et par un fait qui serait absolument nôtre, que toute communication resterait interrompue entre nous et les catholiques qui vivent dans ces contrées. Comment pourrionsnous résister à la voix intérieure de notre conscience, qui nous reprocherait continuellement les funestes conséquences de ce fait ? comment pourrions-nous cachér à nous-même notre faute? Les catholiques qui existent dans ces domaines ne sont pas en petit nombre; il y en a des millions dans l'empire russe, il y en a des millions et des millious dans les pays soumis au royaume d'Angleterre; ils jouissent du libre exercice de leur culte, ils sont protégés. Nous ne pouvons prévoir ce qui arriverait, si les souverains de ces états se voyaient provoqués par nous et par un acte d'hostilité si décidé, tel que serait l'expulsion de leurs sujets et la fermeture de nos ports. Le ressentiment contre nous serait d'autant plus fort qu'il serait en apparence plus juste, puisque nous n'aurions reou d'eux aucune injure. Si cette indignation ne se ruait pas contre les personnes des catholiques, nous pourrions craindre à bon droit qu'on ne ruinât l'exercice de la religion catholique, permis avec tant de liberté dans ces domaines.

» Quand cela n'arriverait pas, il arriverait certainement que l'on prononcerait l'interdiction de toute communication directe et indirecte entre les catholiques et nous, l'empêchement des missions, l'interruption de toutes les affaires spirituelles, et cela serait un mal incalculable pour la religion et le catholicisme, mal dont nous devrions nous accuser nous-même, et dont il faudrait rendre le compte le plus sévère devant le tribunal de Dieu... Nous terminerons ici les réponses aux premières demandes faites par votre majesté, avec la confiance qu'après des réflexions d'un si grand poids, elle abandonnera ces demandes, et qu'elle nous délivrera de la désolation dans laquelle elles nous ont plongé. Mais les principes sur lesquels votre majesté les a appuyées ne nous permettent pas de nous taire...

» Sire, levons le voile! Vous dites que vous ne toucherez pas l'indépendance de l'Eglise, vous dites que nous sommes le souverain de Rome; vous dites dans le même moment que toute l'Italie sera soumise sous votre loi : vous nous annoncez que, si nous faisons ce que vous voulez, vous ne changerez pas les apparences. Mais si vous entendez que Rome, comme faisant partie de l'Italie, soit sous votre loi, si vous ne voulez conserver que les apparences, le domaine

temporel de l'Eglise sera réduit à une condition absolument lige et servile, la souveraineté et l'indépendance du Saint-Siége seront détruites... Votre majesté établit en principe qu'elle est empereur de Rome. Nous répondons, avec la franchise apostolique, que le souverain Pontife qui est tel, depuis un si grand nombre de siècles, qu'aucun prince régnant ne compte une ancienneté semblable à la sienne, le Pontife devenu encore souverain de Rome, ne reconnaît et n'a jamais reconnu dans ses états une puissance supérieure à la sienne; qu'aucun empereur n'a aucun droit sur Rome. Vous êtes immensément grand; mais vous avez été élu, sacré, couronné, reconnu empereur des Français et non de Romc. Il n'existe pas d'empereur de Rome; il n'en peut pas exister, si l'on ne dépouille le souverain Pontife du domaine absolu et de l'empire qu'il exerce seul à Rome. Il existe bien un empereur des Romains; mais ce titre est reconnu par toute l'Europe, et par votre majesté elle-même, dans l'empereur d'Allemagne. Ce n'est qu'un titre de dignité et d'honneur, lequel ne diminue en rien l'indépendance réelle et apparente du Saint-Siége... Votre majesté dit que nos relations avec elle sont les mêmes que celles de nos prédécesseurs avec Charlemagne. Charlemagne a trouvé Rome dans les mains des Papes; il a reconnu, il a confirmé sans réserve leurs domaines, il les a augmentés avec de nouvelles donations, il n'a prétendu aucun droit de domaine ni de supériorité sur les Pontifes considérés comme souverains temporels, il n'a- prétendu d'eux ni dépendance ni sujétion...

» Nous ne pouvons admettre la proposition suivante : que nous devons avoir pour votre majesté, dans le temporel, les mêmes égards qu'elle a pour nous dans le spirituel. Cette proposition a une extension qui détruit et altère les notions de nos deux puissances... Un souverain catholique n'est tel que parce qu'il professe reconnaître les définitions du chef visible de l'Eglise, et le regarde comme le maître de la vérité et le seul vicaire de Dieu sur la terre il n'y a donc pas d'identité ni d'égalité entre les relations spirituelles d'un souverain catholique avec le suprême hiérarque, et les relations temporelles d'un souverain avec un autre souverain... Vous dites encore que vos ennemis doivent être les nôtres ; cela répugne au caractère de notre divine mission qui ne connaît pas d'inimitiés, même avec ceux qui sont éloignés du centre de notre union. Ainsi donc, toutes les fois que votre majesté serait en guerre avec une puissance catholique, nous devrions nous trouver en guerre avec cette puissance? Charlemagne et tous les princes avoués ou défenseurs de l'Eglise ont fait profession de la défendre

de la guerre, et non de l'entraîner à la guerre... Cette proposition tend à faire du souverain pontifical un feudataire, un vassal-lige de l'empire français. >>

Pie VII termine ainsi sa lettre : « Voilà les sentiments candides que la voix de notre conscience nous a dictés... Si nous étions assez malheureux pour que le cœur de votre majesté ne fût pas ému par nos paroles, nous souffririons avec une résignation évangélique tous les désastres, nous nous soumettrions à toutes les douleurs, en les recevant de la main du Seigneur. Oui, la vérité triomphera toujours sur nos lèvres; la constance à maintenir intacts les droits de notre siége régnera dans notre cœur; nous affronterons toutes les adversités de cette vie plutôt que de nous rendre indigne de notre ministère et vous, vous ne vous éloignerez pas de cet esprit de sagesse et de prévoyance qui vous distingue; il vous a fait connaître que la prospérité des gouvernements et la tranquillité des peuples sont inséparablement attachées au bien de la religion... Vous n'oublierez pas enfin que nous nous trouvons à Rome exposé à tant de tribulations, et qu'il y a à peine une année que nous sommes parti de Paris 1. >>

Mais pendant que Pie VII écrivait cette lettre, Napoléon, à Paris même, disait à M. de Fontanes : « Moi, je ne suis pas né à temps, monsieur de Fontanes; voyez Alexandre le Grand, il a pu se dire le fils de Jupiter, sans être contredit. Moi, je trouve dans mon siècle un prêtre plus puissant que moi car il règne sur les esprits, et je ne règne que sur la matière. » Napoléon s'était écrié précédemment : « Les prêtres gardent l'âme et me jettent le cadavre. » Pour les affaires de religion, il y avait deux hommes en Napoléon, le sage et l'orgueilleux. Ici l'orgueilleux sort de toute mesure. Que les scènes de guerre, après l'avoir fait proclamer Charlemagne, l'aient entraîné jusqu'à se croire le conquérant Alexandre, on le conçoit; mais qu'il envie les adorations que la présomption d'Alexandre exigea dans un accès de démence, il faut le plaindre, il faut d'avance pleurer sur les malheurs qui vont frapper le prêtre plus puissant que lui. Ce n'est pas assez d'avoir confié tout bas de pareilles ambitions à un conseiller sûr, elles vont devenir tout haut dans l'Europe la règle politique d'une conduite obstinée à l'égard du Papc.

Napoléon rappela le cardinal-oncle de son ambassade de Rome, et le remplaça par le sieur Alquier, protestant et régicide, jusqu'alors ministre français à Naples. Le dix-sept mai 1806, le cardinal

'Artaud, t. 2, c. 28.

et

présenta son successeur et dit à Pie VII: « Je pars pour Paris, je prie votre Sainteté de me donner ses commissions. Nous n'en avons pas à vous donner, reprit le Pape; nous vous chargeons seulement de dire à l'empereur que, quoiqu'il nous maltraite beaucoup, nous lui sommes fort attaché, ainsi qu'à la nation française. Répétez-lui que nous ne voulons entrer dans aucune confédération; que nous voulons être indépendant, parce que nous sommes souverain ; que, s'il nous fait violence, nous protesterons à la face de l'Europe, et que nous ferons usage des moyens temporels et spirituels que Dieu a mis entre nos mains. Votre Sainteté, reprit le cardinal-oncle, devrait se rappeler qu'elle n'a pas le droit de faire usage de l'autorité spirituelle dans les affaires présentes de la France avec Rome. » Le Pape demanda, d'un ton très-élevé, au cardinal-oncle, où il prenait cette opinion.

Le nouvel ambassadeur reçut ordre de recommander M. de Clermont-Tonnerre, ancien évêque de Châlons; le Pape répondit : « Nous ignorons si nous sommes parent des Clermont de France; nous tiendrions à honneur d'appartenir à une si illustre famille, qu'ici l'on dit avoir été alliée même aux rois très-chrétiens: mais nous avons promis de laisser éloignés de Rome nos parents de Césène; nous ne pourrions, dans aucun cas, appeler à Rome des parents étrangers'. »

Sur les entrefaites, Joseph Bonaparte, étant devenu roi de Naples par la volonté de son frère Napoléon, lui demanda la permission de s'emparer des principautés pontificales de Bénévent et de PonteCorvo, enclavées dans son royaume. Napoléon donna Bénévent à son ministre des relations extérieures, l'ex-évêque Talleyrand, qui s'était marié, et Ponte-Corvo au général protestant Bernadotte. La raison qu'il donna pour ôter au Pape ces domaines qu'il lui avait fait restituer, cette raison est des plus curieuses. Napoléon avait souvent remarqué que Bénévent et Ponte-Corvo étaient un sujet de dispute entre Rome et Naples: or, Napoléon avait souverainement à cœur la bonne harmonie entre Naples et Rome; en conséquence, il a cru leur rendre un éminent service en leur ôtant ce sujet de querelle, tout comme le juge de la fable, qui gruge l'huître pour mettre d'accord les deux plaideurs qui se la disputaient.

Vers le même temps, Napoléon ordonna au général Lemarrois d'occuper Pesaro, Fano, Sinigaglia, tout le littoral de l'Adriatique dépendant de l'état pontifical: et c'était le trésor pontifical, déjà

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si obéré, qui devait payer l'entretien des troupes d'occupation. Un corps de troupes françaises part du royaume de Naples, annonce son passage pour la Toscane, puis tout à coup marche sur CivitaVecchia, s'empare du port et de la forteresse. Le six juillet, le général Lemarrois fit signifier aux fermiers des droits sur le sel et les céréales, ainsi qu'aux douaniers l'ordre de verser dans ses mains toutes les sommes destinées au trésor pontifical. Un des employés ayant demandé à l'officier français de quel droit il faisait cela, l'officier répondit froidement : « Vous servez un petit prince, et moi un grand monarque, voilà mon droit. Le général Duchesne fit arrêter le gouverneur pontifical de Civita-Vecchia, et conduire hors de la ville. Tout cela pour réduire le Pape à quelque concession honteuse ou le peuple à la révolte '.

Le Pape dit en cette occasion à l'ambassadeur Alquier : « Tous les points importants de nos états sont successivement occupés par les troupes de l'empereur, que nous ne pouvons plus faire subsister, même en mettant de nouveaux impôts. Nous vous prévenons que, si l'on veut s'emparer de Rome, nous refuserons l'entrée du château Saint-Ange. Nous ne ferons aucune résistance, mais vos soldats devront briser les portes à coups de canon. L'Europe verra comme on nous traite; et nous aurons du moins prouvé que nous avons agi conformément à notre honneur et à notre conscience. Si l'on nous ôte la vie, la tombe nous honorera, et nous serons justifié aux yeux de Dieu et dans la mémoire des hommes. >

Le dix-sept juin 1806, le cardinal Consalvi donna sa démission, et fut remplacé par le cardinal Casoni, ancien vice-légat à Avignon, puis nonce en Espagne, et alors âgé de soixante-quatorze ans. Le nouveau gouvernement pontifical, vivement blessé de l'inféodation de Bénévent et de Ponte-Corvo, n'adressait plus d'instructions au cardinal Caprara, légat à Paris, et voulait régler toutes les affaires du Saint-Siége à Rome. Le légat avait deux assesseurs capables et fidèles, les prélats Sala et Mazio, qui l'empêchèrent plus d'une fois d'outre-passer ses pouvoirs par faiblesse ou connivence. Le gouvernement français les fit éloigner et remplacer par d'autres ; mais le légat eut encore moins la confiance du Pape. Dans ce même temps, l'ambassadeur Alquier notifia au saint Pontife, comme une grâce dernière de Napoléon, que, s'il voulait conserver ses états, il devait déclarer : 1o que tous les ports de l'état pontifical seraient fermés à l'Angleterre toutes les fois que celle-ci serait en guerre avec la France; 2° que les forteresses de l'état romain seraient oc

'Pacca. Mémoires sur le pontificat de Pie VII, ATM partie, édit. 1846.

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