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consolations, tous les secours que je dois en attendre. » Un des compagnons de sa captivité, le comte de Montholon, ajoute : « Le vingt-neuf avril, j'avais déjà passé treute-neuf nuits au chevet de l'empereur, sans qu'il eût permis de me remplacer dans ce pieux et filial service, lorsque, dans la nuit du vingt-neuf au trente avril, il affecta d'être effrayé de ma fatigue, et m'engagea à faire venir à ma place l'abbé Vignali. Son insistance me prouva qu'il parlait sous l'empire d'une préoccupation étrangère à la pensée qu'il m'exprimait. Il me permettait de lui parler comme à un père ; j'osais lui dire ce que je comprenais ; il me répondit sans hésiter : Oui, c'est le prêtre que je demande; veillez à ce qu'on me laisse seul avec lui, et ne dites rien. J'obéis, et lui amenai immédiatement l'abbé Vignali, que je prévins du saint ministère qu'il allait remplir. »

Ainsi introduit auprès de Napoléon, et resté seul avec lui, le prêtre y remplit tous les devoirs de son ministère. Après s'être humblement confessé, cet empereur, naguère si superbe, reçut le viatique, l'extrême-onction, et il passa toute la nuit en prières, en actes de piété aussi touchants que sincères. Le lendemain, dès le matin, quand le général Montholon parut, il lui dit d'un ton de voix affectueux et plein de satisfaction: « Général, je suis heureux; j'ai rempli tous mes devoirs; je vous souhaite, à votre mort, le même bonheur. J'en avais besoin, voyez-vous; je suis Italien, enfant de classe de la Corse. Le son des cloches m'émeut, la vue d'un prêtre me fait plaisir. Je voulais faire un mystère de tout ceci; mais cela ne convient pas; je dois, je veux rendre gloire à Dieu. Je doute qu'il lui plaise de me rendre la santé. N'importe; donnez vos ordres, général, faites dresser un autel dans la chambre voisine; qu'on y expose le Saint-Sacrement, et qu'on dise les prières des quarante heures. » Le comte de Montholon se disposant à sortir pour exécuter cet ordre, Napoléon le retint : « Non, lui dit-il, vous avez assez d'ennemis; comme noble, on vous imputerait d'avoir arrangé tout cela d'après votre tête, et la mienne étant perdue; je vais donner les ordres moi-même. » Et d'après les ordres mêmes de Napoléon, un autel fut dressé dans la chambre voisine, on y exposa le Saint-Sacrement et on dit les prières des quarante heures. L'empereur eut encore quelques moments lucides, et se rappela ce qu'il avait fait de bien en sa vie pour la religion. « J'avais le projet de réunir toutes les sectes du christianisme, dit-il; nous en étions convenus avec Alexandre à Tilsitt; mais les revers sont venus trop tôt.... Du moins, j'ai rétabli la religion. C'est un service dont on ne peut calculer les suites; que deviendraient les hommes sans la religion? » Puis il ajouta : « Il n'y a rien de terrible dans la mort ;

elle a été la compagne de mon oreiller pendant ces trois semaines, et à présent elle est sur le point de s'emparer de moi pour jamais. J'aurais désiré revoir ma femme et mon fils; mais que la volonté de Dien soit faite!» Le trois mai, il reçut une seconde fois le saint viatique, et, après avoir dit adieu à ses généraux, il prononça ces mots: « Je suis en paix avec le genre humain; » et il joignit les mains en disant : « Mon Dieu! Il expira le cinq mai, à six heures du soir. En 1840, les restes de Napoléon sont transportés à Paris, dans l'église des Invalides, au milieu des débris vivants et mourants des armées françaises; non loin de l'obélisque égyptien, débris de l'antique empire des Pharaons; non loin du musée, où l'on rassemble les débris fossiles de Ninive et de son empire. Aujourd'hui, août 1848, la femme et le fils de Napoléon sont morts, les frères de Napoléon sont morts, excepté le plus jeune, qui sert de gardien à sa tombe; l'empire et les royaumes napoléoniens sont morts et enterrés; les monarchies bourboniennes menacent de vouloir les suivre; toutes les sociétés purement humaines sont mourantes; la France, l'Allemagne, l'Italie même éprouvent des convulsions politiques qui annoncent la fin de ce qui existe; la république française, à peine née, est obligée de défendre sa vie contre elle-même ; Paris est un champ de bataille où des hommes et des femmes tuent les soldats français avec des balles empoisonnées; plus de vaillants capitaines succombent dans une seule bataille contre l'anarchie parisienne, que pendant toute la guerre contre les Bédouins d'Afrique.

Et cette guerre de la France contre la France, cette guerre parisienne contre l'ordre, contre la propriété, contre la famille même, contre tout lien social, ce n'est pas une maladie passagère comme la fièvre c'est un venin mortel, infiltré dans le sang par principes et entretenu avec une attention suivie. Déjà, dans le volume précédent, nous avons vu la décomposition sociale de la France et de l'Europe par les nobles, les magistrats, les hommes de lettres soidisant philosophes. Nous avons entendu Jean-Jacques Rousseau nous dire des philosophes ses confrères : « Chacun sait bien que son système n'est pas mieux fondé que les autres; mais il le soutient parce qu'il est à lui. Il n'y en a pas un seul qui, venant à connaître le vrai et le faux, ne préférât le mensonge qu'il a trouvé à la vérité découverte par un autre. Où est le philosophe qui, pour sa gloire, ne tromperait pas volontiers tout le genre humain? Où est ! celui qui, dans le secret de son cœur, se propose un autre objet que de se distinguer? Pourvu qu'il s'élève au-dessus du vulgaire, pourvu qu'il efface l'éclat de ses concurrents, que demande-t-il de plus? Qu'est-ce que la philosophie? Que contiennent les écrits

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des philosophes les plus connus? Quelles sont les leçons de ces amis de la sagesse? A les entendre, ne les prendrait-on pas pour une troupe de charlatans criant chacun de son côté sur une place publique Venez à moi, c'est moi seul qui ne trompe point? L'un prétend qu'il n'y a point de corps et que tout est en représentation; l'autre, qu'il n'y a d'autre substance que la matière, ni d'autre Dieu que le monde. Celui-ci avance qu'il n'y a ni vices ni vertus, et que le bien et le mal moral sont des chimères; celui-là, que les hommes sont des loups et peuvent se dévorer en sûreté de conscience. >>

Or, ces philosophes de Jean-Jacques Rousseau, depuis un demisiècle, la France gouvernementale les a organisés en corporation enseignante, sous le nom d'université. La France gouvernementale n'a ni religion ni morale certaine, son université n'en a pas plus; et pourtant c'est cette université qu'elle charge exclusivement de tout enseigner aux Français, depuis l'A, B, C jusqu'à la théologie sous le nom de philosophie ou de théodicée. Et l'on s'étonne qu'un pareil enseignement, caractérisé d'avance par Jean-Jacques Rousseau, produise ses effets naturels, l'anarchie dans les idées et dans les choses? Et l'on s'étonne qu'un pareil enseignement achève ce que nous lui avons vu commencer, la décomposition sociale de la France et de l'Europe? Et l'on s'étonne qu'avec un enseignement pareil, la nation jusqu'alors la plus polie, les Français, deviennent des loups prêts à se dévorer les uns les autres, et qu'il faille braquer le canon dans les rues de Paris pour les empêcher de s'entre-détruire par le fer, le feu et le poison? Il faudrait s'étonner, au contraire, si tout cela n'arrivait pas; car un arbre si bien planté, si bien arrosé, doit porter son fruit. Et ce qui est vrai de la France l'est aussi de l'Allemagne : il faudra bien que la société purement humaine y périsse, puisque tout le monde, gouvernements, académies, littératures, y travaille depuis plus d'un siècle. Il faudra bien que ces paroles du prophète s'accomplissent : « Alors furent réduits en poudre fer, argile, airain, argent, or; ils devinrent comme la menue paille que le vent emporte de l'aire pendant l'été, et ils disparurent sans trouver plus aucun lieu. »

Faut-il donc nous attendre à retomber dans le chaos? Non pas. Le prophète ajoute: « Mais la pierre qui avait frappé la statue devint une grande montagne qui remplit toute la terre. » L'Eglise catholique est de l'éternité, est pour l'éternité; la sainte Eglise catholique est le commencement de toutes choses, elle en est aussi la fin, mais fin, perfection vivante et éternelle. Voyez-en la preuve sous vos yeux. Au milieu des trônes qui s'écroulent, des dynasties

qui s'en vont, des sociétés politiques qui se renversent, l'Eglise vit en paix, toujours ancienne et toujours nouvelle. Les tempêtes qui pensaient l'anéantir n'ont fait que la rajeunir et la purifier, comme l'or dans la fournaise. A un saint Pontife en succède un plus saint encore. Jamais on ne vit les évêques plus unis et plus soumis au Pape, les prêtres plus unis et plus soumis à leurs évêques ; jamais, dans le clergé séculier et régulier, plus de zèle pour prêcher l'évangile jusqu'aux extrémités de la terre, et aller au-devant du martyre. Parmi les anciennes congrégations religieuses, les incurables succombent au remède providentiel des révolutions, les autres en profitent pour devenir meilleures. Il se forme de nouvelles congrégations qui rivalisent de zèle avec les meilleures des anciennes ; tels les Maristes de Lyon, tels les Oblats de Marie fondés à Marseille, tels les missionnaires du Saint-Coeur de Marie établis à Amiens: trois congrégations d'hommes apostoliques, qui ne demandent à vivre et à se recruter en France que pour aller porter et implanter, avec l'amour du nom français, la foi de l'Eglise catholique, apostolique et romaine jusqu'aux extrémités de l'univers, et en Angleterre et à la Chine, et dans l'Inde et dans l'Océanie, et dans les déserts de l'Afrique et dans les déserts du Nouveau-Monde. Il règne dans le peuple un esprit de foi et de piété qui le porte à toute sorte de bonnes œuvres. C'est parmi d'humbles femmes de Lyon, l'association pour la Propagation de la foi par tout l'univers; c'est à Paris l'archiconfrérie pour la conversion des pécheurs, et qui, par l'intercession de la sainte Vierge, obtient de vrais miracles. Et cet esprit de foi s'étend plus loin qu'on ne pense. Ainsi, dans une ville que bien nous connaissons, des négociants, des fabricants et d'autres personnes influentes, sans distinction d'opinion politique, s'appliquent depuis plusieurs années, avec une bénédiction visible de Dieu, à cette œuvre particulière : amasser, même dans la rue, des adolescents délaissés, pauvres, quelquefois indisciplinables; les Joger dans une même maison, pour leur donner une éducation morale et chrétienne; les faire aller le jour chez des maîtres pour apprendre un état de vic; les surveiller jour et nuit avec une sollicitude de mère; les examiner publiquement tous les dimanches sur leur conduite pendant la semaine, leur adresser les louanges qu'ils méritent, quelquefois aussi des réprimandes, mais si sages et si paternelles, que les caractères les plus rétifs, les natures les plus mal tournées finissent par se rendre; leur fournir les moyens d'avoir un petit pécule au sortir de la maison; préparer de cette manière à la société humaine une génération d'ouvriers honnêtes, actifs, réglés et affectionnés aux classes supérieures, dont ils sont

devenus la famille adoptive. Ainsi encore les vaillants capitaines, qui, dans la bataille de Paris, se sont sacrifiés pour la patrie et le bon ordre, en si grand nombre, ont témoigné à la mort les sentiments de héros chrétiens. Et lorsque le premier pasteur de la capitale est venu sur les barricades donner sa vie pour ses ouailles et demander à Dieu que son sang fût le dernier versé, amis et ennemis ont trouvé cela beau, amis et ennemis ont été pénétrés d'admiration.

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Et l'Allemagne catholique ne reste pas en arrière de la France. Une sainte union, d'ecclésiastiques et de séculiers, s'est formée à Mayence pour honorer le catholicisme par une profession courageuse, et le défendre par tous les moyens légitimes; et déjà cette Union catholique embrasse toute la Germanie. Un fait plus merveilleux encore, c'est un concile de cinq archevêques et de seize évêques, assemblé à Wurtzbourg en Franconie, avec l'approbation du souverain Pontife, pour aviser au salut de l'Allemagne catholique au milieu de la tempête qui bouleverse les trônes et les nations. Les cinq archevêques sont le cardinal-prince de Schwartzenberg, archevêque de Salzbourg; Jean de Geissel, archevêque de Cologne; Hermann de Vicari, archevêque de Fribourg en Brisgau; Charles-Auguste de Reisach, archevêque de Munich et Frising unis; Boniface d'Urban, archevêque de Bamberg. Les seize évêques Antoine Sedlag, de Culm; Jean-Georges Muller, de Munster; Charles-Antoine Lupke, d'Osnabruck; Jacques-Joseph Wandt, d'Hildesheim; François Drepper, de Paderborn; PierreJoseph Blum, de Limbourg; Joseph Lipp, de Rotembourg; Georges-Antoine Stahl, de Wurtzbourg; Georges de Oettl, d'Eichstaedt; Pierre Richard, d'Augsbourg; Nicolas Weiss, de Spire; Valentin Riedl, de Ratisbonne; Joseph Ditrich, vicaire apostolique de Dresde; Guillaume Arnoldi, évêque de Trèves ; François Grossmann, évêque suffragant de Warmie; Henri Hofstetter, évêque de Passau. A ces vingt-un prélats, il faut joindre les trois représentants des évêques de Breslau, de Mayence et d'Olmutz. De plus, le cardinal-archevêque de Salzbourg, qui préside le concile national de Wurtzbourg, avait tenu auparavant celui de sa province, à Salzbourg même, avec les évêques de Trente, de Brixen, de Gurk, de Lavant, et les administrateurs de Seckau et de Léoben. Certes, voilà des indices non équivoques d'une régénération prochaine.

Sans doute, ici et là, les serviteurs de Dieu les plus fidèles éprouvent des vexations, des persécutions même. Enfants de saint Ignace, enfants de saint Liguori ont eu en Allemagne et en Italie même le privilége de la persécution, par-dessus tous les

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