Page images
PDF
EPUB

moral, est née du sein de l'anarchie, qu'elle a été constamment repoussée par le clergé de France, et qu'elle n'a aucun fondement ni dans l'évangile, ni dans lá tradition, ni dans les saints docteurs. Car un respectable laïque, M. Henrion, dans sa continuation de Beraut-Bercastel, leur dira en toutes lettres : « On ne peut dissimuler que cette opinion est consacrée par des décrets du Siége apostolique, supposée au moins dans les actes de plusieurs conciles, professée par de saints docteurs, et qu'elle a régné sans contestation jusqu'à l'époque du protestantisme. Divers écrivains protestants et philosophes admirent, comme défenseurs de la loi de justice, base de la société, les Papes qui, d'après la déclaration de 1826, se seraient laissé égarer, touchant les droits de leur divine autorité, par ces préjugés nés du sein de l'anarchie. Le cardinal du Perron, député de la chambre ecclésiastique vers celles de la noblesse et du tiers, aux états-généraux de 1614, dans le siècle même qui vit paraître la déclaration de 1682, maintint précisément, dans son discours, au sujet des rapports de l'autorité spirituelle avec la souveraineté politique, la doctrine que repousse la déclaration de 1826; il avança même, au nom du clergé de France, qu'elle avait été la doctrine constante de ce clergé en particulier, tandis que l'opinion contraire n'était soutenue que depuis Calvin 1.» Il est fâcheux pour quatorze évêques, qui veulent remontrer au Pape, de se voir ainsi redressés par un bon laïque.

Ce n'est pas la seule méprise qui leur soit échappée dans leur déclaration au roi. Ils s'appuient des sentiments d'estime que les Papes témoignent au clergé de France; mais ils dissimulent les paroles du saint archevêque de Bordeaux, dans sa lettre du dixneuf avril 1818 à l'abbé Duclaux, supérieur de Saint-Sulpice : « L'on n'a pas manqué de dire: Soyons gallicans, mais soyons catholiques. Mieux eût valu écouter le Pape, qui ne cessait de dire: Vous en viendrez à n'être plus catholiques, si vous vous obs-. tinez à être gallicans. C'est ce que le souverain Pontife régnant (Pie VII), nous répète après ses onze prédécesseurs immédiats 2. »

Le ministre des affaires ecclésiastiques, l'abbé Frayssinous, ayant fait rédiger cette déclaration par les quatorze évêques, l'envoya aux autres évêques de France pour y donner leur adhésion. Sur quoi, les uns adhèrent purement et simplement. Les autres, sans faire mention de l'acte du trois avril, renouvellent en termes plus

'Henrion. His. gén. de l'Eglise, 1. 102, t. 13, p. 367, notes 2 et 3. rial catholique, t. 7, p. 407.

2 Mémo

[ocr errors]

ou moins clairs l'opinion énoncée dans le premier article de 1682. D'autres se bornent à reconnaître l'indépendance du pouvoir temporel dans les matières purement civiles. Aucun catholique ne ferait difficulté de souscrire à une semblable déclaration. Cependant ces signataires figuraient dans le journal officiel comme ayant adhéré à la déclaration des quatorze. C'est, comme nous en avons déjà cu plus d'une preuve, que parmi les libertés gallicanes il y a celle de supprimer la vérité, et d'y substituer le contraire. D'autres évêques firent observer que, s'il s'agissait d'établir un point de doctrine, il fallait nécessairement recourir au chef de l'Eglise, sans lequel on ne peut rien définir. Les autres, enfin, ne voulurent point s'expliquer. Voici ce que disait un de ces évêques dans une lettre qui nous fut communiquée dans le temps: « Je m'empresserai de répondre à un appel canonique quand les évêques seront invités à s'assembler in Spiritu sancto. Mais un appel ministériel, dans le temps où nous sommes, m'inspire trop de méfiance. En vérité, si l'on avait osé, on nous aurait demandé une réponse par le télégraphe. Je m'applaudis beaucoup de n'avoir pas agi avec précipitation, et de m'être ressouvenu du temps où l'on mettait sur les listes des jurcurs des prêtres qui pourtant s'étaient convenablement expliqués : ce qu'à la vérité je n'oserais pas tout-à-fait appliquer au temps présent. Il n'en est pas moins vrai que ce souvenir m'a retenu, et a peut-être empêché un acte que je n'aurais pas supporté, et contre lequel j'aurais réclamé avec éclat... J'étais loin de m'attendre, quoique notre situation permette que l'on s'attende à tout, à la déclaration des quatorze évêques. Elle est venue me fendre le cœur elle y reste comme le poids le plus lourd que j'aie eu de ma vie à porter. »

Le ministre des affaires ecclésiastiques, M. Frayssinous, ayant fait condamner le propagateur des doctrines ultramontaines, et par les quatorze évêques et par le tribunal de police correctionnelle, crut devoir encore parler contre lui à la tribune parlementaire. De plus, quatre de ses parents, les trois frères Clausel et l'abbé Boyer, vinrent à son secours, au secours du ministre, par des lettres et d'autres écrits. A quoi il parut deux réponses: Lettres d'un anglican à un gallican; Lettre d'un membre du jeune clergé à monseigneur l'évêque de Chartres. Ces lettres, réimprimées plus tard dans un recueil périodique, sont demeurées sans réponse.

Pour empêcher les doctrines ultramontaines, autrement papistiques, de gagner parmi le jeune clergé comme la gangrène, M.

' Mémorial catholique, t. 5, p. 264.

[ocr errors][ocr errors]

Frayssinous entreprit de créer une nouvelle Sorbonne, qui serait, disait-il, la gardienne des maximes françaises, et aurait pour mission de rallier tous les esprits aux opinions gallicanes. C'est ce qu'il annonça lui-même à la chambre des députés dans les séances des vingt-cinq et vingt-six mai 1826. Mais au nom de qui cette nouvelle école enseignera-t-elle? Sera-ce au nom du Pape, comme l'ancienne Sorbonne, et comme toutes les universités catholiques? Mais c'est contre le Pape même qu'est dirigée la nouvelle école : comment exiger de lui qu'il l'approuve? Enseignera-t-elle au nom de l'archevêque de Paris? Ce sera une école purement diocésaine. Deux membres de la commission, M. de Bovet, ancien archevêque de Toulouse, et l'abbé de la Chapelle, secrétaire du ministre des affaires ecclésiastiques, proposèrent un moyen terme : c'est que la nouvelle école de théologie fût instituée, non par le Pape ni par l'archevêque, mais par le roi, comme le sont les écoles anglicanes. L'archevêque ayant menacé d'interdire les professeurs qu'il n'aurait pas nommés lui-même, la nouvelle Sorbonne se trouva morte avant de naître.

Dans la France d'autrefois, il y avait un grand nombre de facultés de théologie, autorisées et favorisées par le Pontife romain, où les catholiques pouvaient aller prendre des degrés en théologie et en droit canon, valables par toute l'Eglise. Dans la France d'aujourd'hui, il n'y en a pas une seule. Nous espérions, dans le temps, qu'il y en aurait une à Besançon, par suite d'un legs du cardinal-archevêque de Rohan. Depuis, il paraît qu'on n'y pense pas même. Nous aurions bien voulu trouver une réunion de docteurs, reconnus tels par le Pontife romain, afin de les consulter sur l'ensemble et les principales parties de cette histoire. Pour cela, nous avons été obligés de chercher hors de France.

M. Frayssinous réussit mieux dans une autre affaire, mais sans le vouloir. Ce fut d'ôter aux évêques la liberté de confier l'enseignement des écoles ecclésiastiques aux hommes qu'ils jugeraient le plus à propos. M. Frayssinous donna l'éveil à cet égard aux ennemis de la religion; son successeur, M. Feutrier, évêque de Beauvais, leur donna aide et conseil pour parvenir à leurs fins. Voici en deux mots la chose. Sept à huit évêques avaient confié l'enseignement de leurs écoles ecclésiastiques aux religieux de saint Ignace, les mêmes qui avaient présidé à l'éducation du siècle de Louis XIV. Beaucoup de familles en profitaient, pour y faire donner une éducation chrétienne à leurs enfauts, et les préserver de la corruption qui, d'après la renommée publique, régnait dans 'es institutions de l'université gouvernementale fondée par Bona

TOME XXVIII.

19

parte. Pour y mettre obstacle, il y eut, le seize juin 1828, deux ordonnances du roi Charles X, l'une contre-signée Portalis, l'autre Feutrier, qui défendaient aux évêques d'employer dans leurs écoles les religieux de leur confiance, d'y recevoir aucun externe, et même des pensionnaires au-delà d'un nombre fixé. Ce qui mettait beaucoup de familles chrétiennes dans la fâcheuse alternative, ou d'exposer leurs enfants aux écoles légitimement suspectes du gouvernement, ou de les envoyer à l'étranger, comme les catholiques d'Angleterre, d'Ecosse et d'Irlande, pour leur conserver la foi et les mœurs, au risque de perdre plusieurs avantages de citoyens français. Voilà comme le bon, mais faible Charles X, commença une persécution contre les évêques, contre les religieux et contre les familles qui lui étaient le plus dévouées, et cela sur les instances de l'évêque Feutrier, ministre des affaires ecclésiastiques. Ces ordonnances de Charles X sont le digne pendant de celles de son frère Louis XVIII, amnistiant les Français qui l'avaient suivi dans l'émigration, les déclarant ainsi des rebelles, soi-même un usurpateur, et Bonaparte seul souverain légitime.

Les évêques de France protestèrent contre la persécution de leur collègue Feutrier. Dans un mémoire adressé à Charles X, ils relèvent l'usurpation de la puissance séculière sur les droits de l'Eglise. << L'une et l'autre ordonnance, disent-ils, semblent reposer sur ce principe bien contraire aux droits de l'épiscopat dans une matière évidemment spirituelle, puisqu'il regarde la perpétuité même du sacerdoce, savoir: que les écoles secondaires ecclésiastiques, autrement appelées petits séminaires, seraient tellement du ressort et sous la dépendance de l'autorité civile, qu'elle seule peut les instituer et y introduire la forme et les modifications qu'elle jugerait à propos, les créer, les détruire, les confier à son gré à des supérieurs de son choix, en transporter la direction, en changer le régime comme elle le voudra, sans le concours des évêques, même contre leur volonté, et cela sous prétexte que, les lettres humaines étant enseignées dans ces écoles, cet enseignement est du ressort exclusif de la puissance séculière. C'est en vertu de ce principe que huit écoles secondaires ecclésiastiques ont été tout d'un coup, sans avertissement, sans ces admonitions préalables qui conviennent si bien à une administration paternelle, arrachées au gouvernement des évêques sous lequel elles prospéraient, pour être soumises au régime de l'université. C'est encore par une conséquence immé– diate de ce principe qu'il est ordonné qu'à l'avenir, sans avoir égard à l'institution de l'évêque, non plus qu'à sa responsabilité devant Dieu et devant les hommes, nul ne pourra demeurer chargé

soit de la direction, soit de l'enseignement dans une des écoles secondaires ecclésiastiques, s'il n'a affirmé par écrit qu'il n'appartient à aucune congrégation religieuse non légalement établie en France. C'est toujours de ce principe que découlent les autres dispositions qui limitent au gré de l'autorité laïque le nombre des élèves qui doivent recevoir dans ces écoles l'éducation ecclésiastique, qui déterminent les conditions sans lesquelles ils ne peuvent la recevoir, et qui enfin statuent que désormais cette éducation ne sera donnée, que la vocation au sacerdoce ne pourra être reconnue et dirigée dès son commencement sans l'intervention de l'autorité laïque; car les supérieurs ou directeurs doivent obtenir l'agrément du roi avant de s'ingérer, après la mission des évêques, dans la connaissance et la direction de cette vocation. >>

[ocr errors]

Les évêques de France concluent qu'ils ne peuvent, non possumus, concourir d'une manière active à l'exécution de ces ordonnances. On consulta de part et d'autre le pape Léon XII, qui, dit-on, ne jugea point à propos de répondre aux évêques, mais seulement au ministre du roi, lequel ne jugea point à propos de faire connaître la réponse. On sait toutefois d'ailleurs comment ce Pontife jugeait les prétentions du gouvernement français. Une circulaire, rédigée par l'archevêque de Paris de concert avec quelques évêques, pour être adressée à M. Feutrier, reconnaissait au gouvernement des droits de surveillance. Le Pape souligna ces mots, et y joignit les observations suivantes : « Cette note tombe sur cette expression qui, dans le sens si large qu'elle peut présenter ici, ne doit certainement pas être soufferte dans l'Eglise du Christ, et a été rejetée d'une voix unanime dans plus d'un concile. La même expression ne peut être admise et employée maintenant par un illustre corps d'évêques; car elle ne peut l'être sans un grave scandale, et qu'au détriment de l'Eglise. » Enfin, après toutes leurs doléances, presque tous les évêques finirent par ployer sous la main impérieuse de leur collègue Feutrier. Pour leur adoucir la soumission, on alloua un certain secours à leurs petits séminaires : le secours a été retiré depuis, mais la servitude est restée. L'auteur de cette persécution, l'évêque Feutrier, fut trouvé mort dans son lit, le vingt-sept juin 1830, à l'âge de quarante-cinq ans.

Il régnait à cette époque, parmi les sommités du clergé et des royalistes, une étrange superstition de légitimisme. Des évêques, des aumôniers du roi, des nobles illustres regardaient Charles X comme un usurpateur. Tel de ses chapelains, que nous avons

'Mémorial catholique, t. 11, p. 130, et Henrion, t. 13, p. 457.

« PreviousContinue »