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passage de saint Paul, on a cru que si la partie infidèle voulait se séparer, la partie chrétienne devenait libre, et qu'elles pouvaient l'une et l'autre convoler à d'autres mariages. Le grand nombre des théologiens a cru, pendant long-temps, que saint Paul autorisait un véritable divorce. Ils ont été entraînés dans ce sentiment par une décrétale du pape Innocent HI, lequel avait été engagé lui-même par un canon du décret de Gratien. Cette question a été éclaircie assez récemment dans une cause célèbre (celle du juif Borach Lévi, de Metz). Le principe de l'erreur dans laquelle sont tombés beaucoup de théologiens ayant été développé, un arrêt (du parlement de Paris) du deux janvier 1758, a jugé que la conversion d'un infidèle et le refus fait par sa femme de se réunir à lui ne rompaient point le nœud conjugal, et ne pouvaient opérer qu'une séparation d'habitation.

< Ainsi, reprend le journaliste, dans une question où se trouvent d'un côté saint Paul, Innocent III et le grand nombre de théologiens, et de l'autre côté le parlement de Paris, c'est celuici qui a raison, et son jugement, appuyé de l'autorité de quelques avocats, l'emporte sur les autorités contraires. J'avoue que cette décision m'étonne sous la plume d'un évêque si judicieux et si éclairé, et dans des Instructions sur le rituel. M. de la Luzerne ne peut ignorer quel était le sentiment de Benoit XIV sur la même question. Ce Pape si savant l'a traitée en plusieurs endroits de son Bullaire. Nous y trouvons un bref, du seize janvier 1745, adressé à son nonce à Venise, dans lequel il l'autorise à remarier les juifs, Turcs et autres infidèles reçus dans l'hospice des catéchumènes à Venise, lorsqu'ils se seraient convertis, si l'épouse infidèle ne pouvait se réunir à eux. Dans un autre bref, du vingt-huit février 1747, adressé à l'archevêque de Tarse, vice-gérant de Rome, le même Pontife déclare, comme une chose notoire, que si la femme d'un juif refuse le baptême, le mariage contracté pendant le judaïsme est tout-à-fait dissous. Il cite à ce sujet saint Paul et les décrétales, et dit que la dissolution du mariage se fait au moment où le juif converti passe à d'autres noces, comme il l'a prouvé par une longue dissertation dans une cause proposée le vingt-sept juillet 1726, lorsqu'il était secrétaire de la congrégation du concile. Dans une bulle du seize septembre 1747, qui commence par ces mots : Apos-" tolici muneris, le même Pape trace la marche que doit suivre un juif converti dont la femme ne veut pas habiter avec lui; ce n'est qu'après l'avoir interpellée de revenir qu'il pourra contracter un nouveau mariage, et il déclare que ce qu'il vient de dire d'un juif à l'égard d'une juive, est applicable à la femme à l'égard de son

mari. Enfin, dans un bref du neuf février 1749, adressé au cardinalduc d'Yorck, le savant Pontife ordonne de remarier un juif converti dont la femme, née protestante, allait faire abjuration, et dit que l'empêchement de la disparité de culte, quoiqu'il n'ait pas été proprement établi par un canon exprès, est regardé néanmoins comme tel par l'usage et la pratique constante de l'Eglise, qui a force de loi. Tel était donc le sentiment de Benoit XIV, et les connaissances du théologien et du canoniste ne laissaient pas que d'ajouter, dans cette occasion, à l'autorité du Pontife1. » Ainsi parle le journaliste catholique Picot.

Au surplus, depuis l'année 1682, où trente-six évêques de cour, pour se venger du Pape qui les avait rappelés à leur devoir, s'assemblèrent par ordre du roi et mirent en latin quatre propositions odieuses du ministre Colbert, afin de rabaisser l'autorité du Pontife romain dans le sens des parlements et des jansénistes; depuis cette époque, on voit en France plus d'un évêque, plus d'un prêtre, plus d'un théologien, se faisant comme une gloire de laisser de côté, d'ignorer même les doctrines du Saint-Siége, et de leur préférer les hétérodoxies du jansénisme, non-seulement sur des questions particulières, mais sur les fondements de la philosophie et de la théologie, de la raison et de la révélation. Le fond du jansénisme, nous l'avons vu, se réduit à confondre, dans le premier homme, la nature et la grâce, la raison et la révélation; en sorte que, dans le premier homme, il n'y avait point de fin proprement surnaturelle nommée la gloire, ni de moyen proprement surnaturel nommé la grâce, mais une fin et des moyens purement naturels à l'homme primitif; et que dans l'homme déchu et réparé, la grâce n'est que la restauration de la nature, et la révélation que la restauration de la raison naturelle. Or, à plusieurs reprises, l'Eglise de Dieu a condamné cette confusion hérétique, et dans Baïus, et dans Jansénius, et dans Quesnel; à plusieurs reprises, l'Eglise a rappelé et confirmé la distinction essentielle entre la nature et la grâce, si clairement enseignée par saint Thomas, et d'ailleurs conséquence évidente de la distance infinie qu'il y a entre Dieu et l'homme. La gloire consiste à voir Dieu en lui-même, chose naturellement impossible à l'homme et même à toute créature possible: donc la gloire est une fin essentiellement surnaturelle à l'homme; donc la grâce proprement dite, qui est le moyen pour arriver à cette fin, est un moyen, un don essentiellement surnaturel à l'homme dans tout état de nature. Cependant, il y a très-peu d'auteurs modernes, même parmi

' Ami de la Religion, t. 44, p. 371.

les apologistes du christianisme, qui rappellent et exposent nettement cette distinction fondamentale; plusieurs ramènent plus ou moins la confusion jansénienne, sans peut-être s'en douter: ce qui répand du vague, du louche, de l'incohérence dans le fond même dé de leurs apologies, ce qui rend à peu près impossible qu'on parvienne à bien s'entendre de part et d'autre. Cet incovénient se trouve entre autres dans les dissertations apologétiques de M. de la Luzerne. Nulle part on n'y trouve nettement exposée cette distinction fondamentale de l'Eglise entre la nature et la grâce, et par suite entre la raison et la révélation proprement dite, qui est la manifestation de l'ordre surnaturel. Il y a même tel de ses ouvrages, Eclaircissements sur l'amour pur de Dieu, où il semble admettre formellement la confusion jansénienne de la nature et de la grâce. Cet inconvénient se trouve même, jusqu'à un certain point, dans les conférences, d'ailleurs fort utiles, de l'abbé Frayssinous, depuis évêque in partibus infidelium, et ministre du roi Charles X. Un autre inconvénient, commun aux deux écrivains, c'est que parmi leurs nombreuses conférences ou dissertations contre les incrédules, les athées, les matérialistes, les protestants, ils en ont aussi contre ce qu'ils appellent les prétentions de la cour romaine la Luzerne, sa Dissertation sur la déclaration du clergé de France en 1682; Frayssinous, son Essai sur les vrais principes de l'église gallicane. Tout cela fait que l'ensemble de leurs ouvrages n'est pas tout-à-fait propre ni à donner aux esprits une idée nette et complète de la religion véritable, ni à inspirer aux cœurs un grand amour de Dieu et de son Eglise.

Ces nouveautés gallicanes, plus ou moins antiromaines, ne se concentraient point dans les livres ; elles avaient une influence plus ou moins fâcheuse sur la marche du gouvernement français vis-àvis de l'Eglise et de son chef. Nous avons vu des évêques de cour aider Napoléon à circonvenir le pape Pie VII, à lui tendre des piéges, à lasser sa patience de manière à lui faire commettre quelque faiblesse déshonorante. Les évêques courtisans des Bourbons suivirent les mêmes errements. Louis XVIII, qui comptait les années de son exil comme des années de règne, persistait à voir dans le concordat une brèche faite à ses droits. Les évêques qui, en 1801, avaient refusé leurs démissions au Pape, dans l'intérêt du roi, pensaient de même. Une commission d'évêques et d'ecclésiastiques fut établie en 1814, pour aviser aux moyens de replacer l'église de France sur ses anciennes bases. Cortois de Pressigny, ancien évêque de Saint-Malo, fut envoyé à Rome pour négocier cette affaire. Pie VII demanda que Louis XVIII indiquát les siéges dont il désirait le

rétablissement. Mais le point essentiel pour le roi et ses évêques de cour, était d'amener le Pape à déclarer nul le concordat de 1801. Une commission plus nombreuse d'évêques et de prêtres travaillait à Paris dans ce sens, lorsque Napoléon revint de l'île d'Elbe et força les Bourbons à émigrer de nouveau.

A la suite de l'interrègne, l'ambassadeur français à Rome, Cortois de Pressigny, écrivait au vénérable d'Aviau, archevêque de Bordeaux, que, dans la principale affaire, on était encore au premier pas. L'archevêque lui répondit dans une lettre du vingt-huit octobre 1815: « Vous me dites, avec un excès de modestie, que vous aimeriez à vous aider de mes conseils... Et qui suis-je, pour en donner à un prélat connu depuis long-temps par des lumières que l'expérience a nécessairement accrues? Mais si le chef suprême hiérarchique, dont le moindre droit est celui de nous en donner à tous, nous en donne en effet, s'il vient même à commander, se montre-t-on chez nous assez docile? Convenons-en de bonne foi: en général, nous avons là-dessus des reproches à nous faire. N'y cût-il que cette trop fameuse déclaration de 1682! Depuis plus de cent trente ans, douze Papes consécutifs ne cessent de l'improuver, et depuis cent trente ans on oppose à l'autorité pontificale des déclarations, des réquisitoires et des arrêts. A la vérité, on avertit et répète, de temps en temps, qu'il ne faut pas confondre le Pape avec la cour de Rome. De même, quand les autres nations catholiques se montrent étonnées de nos prétentions et s'élèvent contre, le reproche d'ultramontain répond à tout. Où en sommes-nous, si, avec quelques phrases, on peut rendre à peu près nulle l'action des successeurs de saint Pierre, sur qui Jésus-Christ a bâti son Eglise, le chargeant d'enseigner et de gouverner? Je me désole avec vous, monseigneur, de ce que dans la principale affaire nous en sommes encore au premier pas. Mais les obstacles, qui vous arrêtent et vous fatiguent à Rome, ne viennent-ils point la plupart de Paris? On vous en renvoyait des instructions, lorsque tout a été arrêté par les malheureux événements... Hélas! que n'envoyait-on plutôt un acquiescement filial à ce qui serait décidé par celui à qui appartiennent, et de droit divin, ces hautes décisions? On eût été moins distrait sur l'île d'Elbe et sur la trame infernale des malheureux événements. Les prélats italiens, dites-vous, jettent au travers de leurs longues circonlocutions des attaques sur les opinions gallicanes. Je présume qu'ils étendent et allongent leurs circonlocutions dans l'espoir qu'on abandonnera des systèmes dont une grande partie me semble peu digne d'être comptée désormais parmi les opinions. Et fallût-il des sacrifices de ce genre, devrions-nous cal

culer et les trouver coûteux, dès-lors qu'il s'agit d'arrêter l'effroyable dépérissement de nos églises? Dès à présent, combien ce rapprochement marqué et cordial donnerait de consolation aux vrais fidèles! Sans être prophète ni enfant de prophète, j'oserais même en attendre des bénédictions spéciales pour l'ordre civil et politique, qu'on ne voit pas sans inquiétude se rétablir lentement et péniblement sous un si bon roi. »

Ainsi parlait le saint archevêque de Bordeaux; mais tous les évêques ne lui ressemblaient pas. L'abbé de Salamon, évêque d'Orthosie in partibus, nommé auditeur de rote par Louis XVIII, mais non agréé par le Pape, mort enfin évêque de Saint-Flour en 1829, écrivait de Rome même, sur un tout autre ton, le huit mars 1815, au grand-aumônier de France, Talleyrand-Périgord, archevêque non démissionnaire de Reims. Cette lettre, publiée par le Journal de Paris le vingt-neuf mars 1815, reproduite en novembre de la même année par la Politique chrétienne qui la donne comme authentique et vraie dans toutes ses parties, fut insérée le dix janvier 1816 dans l'Ami de la Religion, qui en suspecte l'authenticité, par la raison qu'elle est plus digne d'un ministre de Bonaparte que d'un évêque. Mais comme cet évêque, quoique provoqué par cet article du journal, n'a point désavoué la lettre durant les treize ans qu'il vécut encore, on est bien en droit, avec la Politique chrétienne, de la regarder comme authentique et vraie dans toutes ses parties. L'évêque d'Orthosie, plus tard de Saint-Flour, dit donc dans cette missive que le premier principe de la négociation avec Rome doit être de regarder comme non avenu le concordat de 1801 et de rétablir l'ancienne circonscription des diocèses. « Il s'agit que le roi conserve les droits de sa couronne... Si on était inébranlable sur le projet que j'avais indiqué, et dans lequel je persiste, on obtiendrait. Avec cette cour, il faut avoir de la tenacité, de la fermeté. On n'a jamais mis en avant une chose qui les ferait trembler: c'est que le concordat de 1801 ayant été fait sans le roi, il ne peut le lier en aucune manière; car pour qu'un acte lie, il faut qu'il ait été consenti par toutes les parties intéressées: or, le roi est furieusement intéressé à ce que son ancienne église, si renommée, si belle, si illustre, ne fût pas bouleversée. Le roi a beau jeu à s'en tenir à son avis; son droit est incontestable. Le Pape a accordé tout au dernier gouvernement, et tout ce qu'il a demandé, parce qu'il a dit : Je veux, et a été invariable dans ses demandes. Nous avons négocié, voilà notre tort. Il fallait dire au Pape : Je ne veux que le concordat fait avec mes ancêtres et vos prédécesseurs; et je n'en veux pas d'autre, je n'en reconnais point d'autre, ou il

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