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de soie rouges et jaunes, et la traînèrent au milieu des cris d'allégresse. On entendait l'artillerie des remparts et le son des cloches de toutes les églises. Le treize, il couronna, dans la cathédrale, l'image de la Vierge sous le titre de Regina sanctorum omnium. Le quatorze, il partit pour Osimo; une garde d'honneur, vêtue de rouge, l'escorta jusqu'à Lorette. Dans son voyage, il ordonna d'accueillir avec bienveillance madame Lætitia, mère de Napoléon, qui venait demander un asile à Rome, et le cardinal Fesch, qu'il traita avec une bonté particulière. Au moment où il apprit que le cardinal Fesch approchait, le Pape dit : « Qu'il vienne, qu'il vienne; nous voyons encore ses grands-vicaires accourir à Grenoble au-devant de nous; Pie VII ne peut pas oublier le ton de courage avec lequel on a prêté le serment prescrit par Pie IV. »

Le vingt-quatre mai, le Pape fit son entrée solennelle à Rome, ayant sur le devant de sa voiture le cardinal Mattéi, doyen du sacré collége, et le même cardinal Pacca, qu'on avait enlevé de MonteCavallo. Dans Rome, quelques dispositions étaient incertaines; des hommes associés à la cause des Français, ou compromis par d'autres motifs, balançaient. Un prélat raconta en détail l'événement de Césène, et tous les esprits furent bientôt unanimes pour assurer au Pape une réception d'affection, de tendresse et de reconnaissance. Il ne manqua personne à cet appel, pas même les signataires du mémoire de Joachim. Le lendemain, on sut qu'un des seigneurs qui avaient apposé leur consentement à ce mémoire venait d'en demander pardon au Pape, et que le Saint-Père lui avait répondu : << Et nous, croyez-vous que nous n'ayons pas quelque faute à nous reprocher? Oublions de concert tout, tout ce qui s'est passé. » Ce qu'on a dit de saint Vincent de Paul, on peut le dire de Pie VII: lorsqu'il était à son aise avec les personnes qu'il entretenait, il leur ôtait leur âme pour leur donner la sienne. Bientôt l'allégresse dans l'Etat-Romain fut universelle 1.

Le voyage de Napoléon, de Fontainebleau à l'ile d'Elbe, ne fut pas si paisible ni si triomphal. Il était accompagné des quatre commissaires d'Angleterre, d'Autriche, de Prusse et de Russie. De Fontainebleau à Valence, on criait encore: Vive l'empereur! A Orange, où il arriva le vingt-cinq avril, on criait : Vive le roi! vive Louis XVIII! Plus loin, on ajoutait : A bas Nicolas! à bas le tyran! On prétendait alors que son nom véritable était Nicolas, et non pas Napoléon. A Orgon, petit village où l'on changea de chevaux, la fureur du peuple était à son comble. Devant l'auberge

'Artaud.

même où il devait s'arrêter, on avait élevé une potence à laquelle était suspendu un mannequin en uniforme français, couvert de sang, avec une inscription placée sur la poitrine et ainsi conçue : Tel sera tôt ou tard le sort du tyran! Le peuple se cramponnait après la voiture de Napoléon et cherchait à le voir pour lui adresser les plus fortes injures. L'empereur se cachait derrière son compagnon de voyage le plus qu'il pouvait; il était pâle et défait, ne disant pas un mot. A force de pérorer le peuple, les commissaires parvinrent à le sortir de ce mauvais pas. Plus loin, il se déguise en courrier, portant cocarde blanche, et court devant sa propre voiture. Les commissaires le trouvèrent plus d'une fois le visage baigné de larmes. Sa vie était réellement en danger; et il est sûr qu'à cette époque il y eut plusieurs projets formés contre sa personne, notamment par le royaliste Maubreuil, qui, pour cela, avait reçu, avant l'abdication, des ordres et des pouvoirs dont plus tard il se servit pour une escroquerie '.

Il arriva le quatre mai à l'île d'Elbe, dont on lui avait laissé la souveraineté, avec le titre d'empereur, et un revenu de deux millions de francs que devait lui payer la France. Il sort de cette île le vingt-six février 1815, débarque le premier mars dans le port de Cannes avec onze cents hommes, il passe à Grenoble, à Lyon, et arrive le vingt mars à Paris, après avoir gagné toutes les troupes qu'on avait envoyées pour le combattre. Cependant la première tentative de Napoléon, après son débarquement, n'avait point été heureuse. De Cannes, il envoya vingt-cinq hommes de sa garde pour prendre possession d'Antibes au nom de l'empereur; mais le commandant de cette petite place les fit prisonniers, et ferma les portes de la ville sur eux. Napoléon, au lieu de perdre le temps à prendre cette place de vive force, comme quelques-uns de ses officiers voulaient, leur dit : « C'est à Paris que nous prendrons Antibes. A quelques lieues de Grenoble, il rencontre un bataillon d'infanterie qui va tirer sur les siens. Aussitôt il s'avance tout seul, vêtu de sa capote grise; puis, s'approchant du bataillon, il découvre sa poitrine et s'écrie: « Qu'il tire, celui qui veut tuer son empereur; le voilà! > Tous aussitôt abaissent leurs armes et l'entourent en criant: Vive l'empereur!

Les écrivains royalistes eux-mêmes conviennent que les Bourbons donnèrent lieu à ce retour de Napoléon, par leur faiblesse, leur aveuglement, leur négligence. Ils n'avaient pas un navire dans la Méditerranée pour veiller autour de l'île d'Elbe, sur les côtes de

'Michaud jeune. Biog. univ., t. 75, art. Napoléon, p. 244, col. 1.

Provence, et empêcher un débarquement; ils n'étaient informés de rien, leurs ministres n'ouvrant pas même les lettres qu'on leur adressait à cet égard; tandis que Napoléon savait tout, même ce qui se passait dans le conseil de Louis XVIII. Ce dernier lui donna même sujet de tenter une entreprise, en négligeant ou refusant de lui payer les deux millions auxquels cependant le gouvernement français s'était engagé. Enfin, le jour même que Napoléon rentra dans Paris, Louis XVIII s'en était sauvé jusqu'à Gand en Flandre.

Avec une armée aussi dévouée que brave, Napoléon avait des chances. Son beau-fère Murat, roi de Naples, s'étant réconcilié avec lui, devait, à un signal donné de Paris, commencer la guerre en Italic. Murat n'a pas la patience d'attendre le signal, commence la guerre trop tôt, se fait battre en Lombardie, puis chasser de son royaume. De plus, it se forme des insurrections royalistes dans le midi et dans l'ouest de la France. Enfin, le dix-huit juin 1815, a lieu la bataille de Waterloo, entre l'armée française commandée par Napoléon, et les armées de l'Europe commandées par l'Anglais ou plutôt l'Irlandais Wellington. A la suite de cette bataille mémorable, Napoléon abdique une seconde fois, et puis, le quinze juillet, dans la rade de Rochefort, se livre à la générosité de l'Angleterre, qui, sur la décision de l'Europe politique, le confina dans l'île de Sainte-Hélène, où il arriva le quinze octobre 1815, et mourut chrétiennement le cinq mai 1821, réconcilié avec Dieu, avec son Eglise, avec le pape Pie VII, et avec le genre humain. En 1840, son corps a été transporté à Paris et déposé dans l'église des Invalides; en 1848, Jérôme Bonaparte, ex-roi de Westphalie, seul frère survivant de Napoléon, a été constitué gardien de son tombeau par le gouvernement provisoire de la république française, improvisée au mois de février de cette année. Leçon parlante de Dieu aux rois et aux peuples, et qui résume assez bien l'état présent de la société humaine.

Lorsqu'au mois de mars 1815, on apprit à Rome que Napoléon avait quitté l'île d'Elbe et qu'il avait débarqué en France, ce fut une sorte de désolation universelle. A cette époque, on rapporta que madame Elisa, précédemment gouvernante générale de la Toscane, avait dit à Bologne: « Bonaparte est en France; si on l'arrête, nous chercherons à faire arrêter le Pape comme ôtage. » En ce moment, le roi Joachim Murat de Naples demande officiellement le passage pour douze mille hommes. Le Pape refuse toute autorisation, et se décide à quitter Rome. Il part le vingt-deux mars, quand il apprend que les Napolitains sont entrés à Terracine. Il dit à l'am

bassadeur français de Louis XVIII: « Monsieur l'ambassadeur, ne craignez rien; ceci est un orage qui durera trois mois. » Il dura effectivement cent jours. Le Pape se retira à Gênes, d'où il retourna à Rome, lorsque Murat, qui avait attaqué les Autrichiens en Lombardie, eut été battu par eux et même chassé de son royaume. Le huit octobre de la même année 1815, Murat, ayant débarqué en Calabre dans l'espoir de remonter sur le trône, fut arrêté par des paysans, livré à une commission militaire et fusillé le treize du même mois.

Après tant de secousses et de bouleversements, l'Europe avait besoin d'un arrangement définitif pour concilier les intérêts divers, redresser les torts, régler le sort des peuples, et prévenir de nouveaux différends. Ce fut l'objet d'un congrès qui s'ouvrit à Vienne le premier novembre 1814. Il s'y trouva des ministres de toutes les puissances européennes, et des souverains mêmes s'y rendirent en personne. L'empereur de Russie, les rois de Prusse, de Danemarck, de Bavière et de Wurtemberg passèrent l'hiver dans la capitale de l'Autriche. Le Pape y envoya, en qualité de légat, le cardinal Consalvi, chargé de défendre les droits de l'Eglise. Les négociations durèrent plus de six mois par la complication des intérêts divers et la multiplicité des affaires. Survint la rentrée de Napoléon en France et son empire de cent jours. Dès le treize mars, à l'instigation du plénipotentiaire français Talleyrand, tous les membres du congrès de Vienne signèrent un manifeste dans lequel il était déclaré « qu'il ne pouvait y avoir ni paix ni trève avec Napoléon; qu'en détruisant le seul titre légal auquel l'exécution du traité de Fontainebleau se trouvait attachée, il s'était placé hors des lois civiles et sociales, qu'il s'était livré à la vindicte publique, etc. » Et le vingt-cinq du même mois, le jour où ses conseillers le proclamaient l'élu du peuple, ses plus redoutables ennemis, les quatre grandes puissances, prenaient l'engagement de ne déposer les armes qu'après l'avoir forcé à se désister de ses projets, « qu'après l'avoir mis hors d'état de troubler à l'avenir la paix de l'Europe. » Cependant un des émissaires de Napoléon lui apporta, de la part du cabinet autrichien, l'offre d'une principauté dans les pays héréditaires, soit en Bohême, soit en Hongrie, s'il consentait sur-le-champ et avant qu'il y eût un coup de canon de tiré, à la régence de Marie-Louise. A cette condition, l'Autriche promettait de se séparer immédiatement de ses alliés; elle déniait à l'instant même tous les engagements, tous les traités qu'elle venait de signer... En vérité, dit le biographe Michaud le jeune1, nous n'y croirions pas, si nous n'en avions la preuve

Art. Napoléon.

écrite et signée par le principal acteur lui-même, homme fort honorable, dont le témoignage ne peut être mis en doute, et si d'ailleurs tous les antécédents et subséquents de la politique autrichienne ne tendaient pas à appuyer ce fait. Beaucoup d'autres circonstances de la même époque prouvent encore assez clairement que les liens de cette coalition, en apparence si bien d'accord, si redoutable, n'étaient rien moins qu'indissolubles, et qu'il n'y avait guère plus de loyauté et de franchise dans les rapports de ces cabinets entre eux que dans ceux qu'ils avaient secrètement avec Bonaparte, qui, dans ce temps-là, surprit en flagrant délit son ministre Fouché, correspondant secrètement avec le prince de Metternich. On a vu comment l'Angleterre avait su garder Napoléon à l'île d'Elbe; on sait assez de quels avantages furent pour ses alliés, et surtout pour elle, les conséquences de cette évasion. Le czar lui-même, qu'en 1814 on avait vu si généreux, semblait alors fort mécontent de Louis XVIII, qui avait cependant suivi ses conseils. Mais au congrès de Vienne, il s'était permis de faire quelques efforts pour soustraire la Saxe, cette ancienne alliée de la France, à l'ambition et à la rapacité des Prussiens et des Russes '.

Enfin, après de longues conférences entre les divers ministres, ils signèrent, le neuf juin 1815, un grand traité en cent vingt articles. On rendit au Saint-Siége non-seulement les Marches et leurs dépendances qui avaient été usurpées par Bonaparte en 1808, non-seulement le duché de Bénévent et la principauté de Pontecorvo dont il s'était également emparé sans prétexte, mais encore les trois légations de Bologne, de Ravenne et de Ferrare, que Pie VII avait été forcé de céder par le traité de Tolentino. Ainsi l'Europe réunie renversait l'ouvrage de la violence, et proclamait les droits du souverain Pontife. Ainsi étaient dissipés les rêves de l'ambition, et les espérances du philosophisme, qui s'étaient donné le mot pour abattre la puissance temporelle des Papes, et la cour de Rome se trouvait rentrer à peu près dans tous ses domaines. Elle n'avait plus à regretter qu'Avignon, qui restait à la France, et la partie du Ferrarais, qui est au nord du Pô, territoire fort circonscrit et peu important. De plus, l'empereur d'Autriche stipula qu'il aurait droit de garnison dans Ferrare et dans Comachio. Ces dernières dispositions furent l'objet d'une protestation que fit le cardinal Consalvi pour le maintien des droits du Saint-Siége. D'ailleurs l'acte du neuf juin fut promptement exécuté à cet égard, et, le dix-huit juillet suivant, les trois légations furent remises par

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