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LORD BYRON. ORME D'HARROW (1).

On retrouve dans les premiers vers de lord Byron des imitations frappantes du minstrel. A l'époque de mon exil en Angleterre, lord Byron habitait l'école de Harrow, dans un village à dix milles de Londres. Il était enfant; j'étais jeune et aussi inconnu que lui: je le devais précéder dans la carrière des lettres et

(1) Tout ce qui suit, jusqu'à la conclusion, est tiré de mes Mémoires; j'ai seulement abrégé quelques passages quand il s'est agi de moi, ne pouvant dire de mon vivant tout ce que j'en dirai dans ma tombe : c'est une chose fort commode que d'être mort, pour parler à son aise. Je n'ai point cette fois guillemetté le commencement des paragraphes pour annoncer la citation des Mémoires, parce que, des citations de lord Byron étant insérées dans le texte même des Mémoires, il y aurait eu confusion de guillemets.

y rester après lui. Il avait été élevé sur les bruyères de l'Écosse, au bord de la mer, comme moi dans les landes de la Bretagne, au bord de la mer; il aima d'abord la Bible et Ossian, comme je les aimais: il chanta dans Newstead-Abbey les souvenirs de l'enfance, comme je les chantai dans le château de Combourg.

When I roved, a young highlander, o'er the dark heath, And climb'd thy stoop summit, oh! Morven of snow, etc.

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. Lorsque j'explorais, jeune montagnard, » la noire bruyère et gravissais ta cime penchée, ô Morven couronné de neiges, pour » m'ébahir au torrent qui tonnait au-dessous » de moi, ou aux vapeurs de la tempête qui » s'amoncelaient à mes pieds.

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Je me levais avec l'aube. Mon chien pour guide, je bondissais de montagne en mon»tagne. Je fendais avec ma poitrine les vagues » de la marée envahissante de la Dee, et j'é>coutais de loin la chanson du highlander. Le * soir, à mon repos, sur ma couche de bruyère, aucun songe, si ce n'est celui de

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▾ Marie, ne se présentait à ma vue.

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» J'ai quitté ma givreuse demeure ; mes vi»sions sont passées, mes montagnes évanouies: » ma jeunesse n'est plus. Comme le dernier de

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ma race, je dois me faner seul et ne trouver » de délices qu'aux jours dont je fus jadis le » témoin. Ah! l'éclat est venu, mais il a rendu » mon lot amer! Plus chères furent les scènes que mon enfance a connues!

» Adieu donc, vous collines où mon enfance fut nourrie! et toi, douce fluente Dee, adieu » à tes eaux! Aucun toit dans la forêt n'abri» tera ma tête. Ah! Marie, aucun toit ne peut » être le mien qu'avec vous! »

Dans mes longues courses solitaires aux environs de Londres, j'ai traversé plusieurs fois le village de Harrow, sans savoir quel génie il renfermait. Je me suis assis dans le cimetière, au pied de l'orme sous lequel, en 1807, lord Byron écrivait ces vers au moment où je revenais de la Palestine:

Spot of my youth! whose hoary branches sigh, Swept by the breeze that fans they cloudless sky; etc.

Lieu de ma jeunesse, où soupirent les » branches chenues effleurées par la brise qui

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rafraîchit ton ciel sans nuage! Lieu où je va» gue aujourd'hui seul, moi qui souvent ai » foulé, avec ceux que j'aimais, ton gazon » mol et vert, avec ceux qui, dispersés au » loin, regrettent comme moi par aventure, » les heureuses scènes qu'ils connurent jadis! » Oh! lorsque de nouveau je fais le tour de ta » colline arrondie, mes yeux t'admirent, mon cœur t'adore, ô toi, orme affaissé sous les rameaux duquel je m'étendais, en livrant aux songes les heures du crépuscule! J'y délasse aujourd'hui mes membres fatigués comme j'avais coutume, mais, hélas ! sans » mes pensées d'autrefois!

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Quand la destinée glacera ce sein qu'une » fièvre dévore; quand elle en aura calmé les » soucis et les passions; . . ici où il

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palpita, ici mon cœur pourra reposer. Puissé

je m'endormir où s'éveillèrent mes espé

»rances,

» mêlé à la terre où coururent mes pas,

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pleuré de ceux qui furent en société avec mes jeunes années, oublié du » reste du monde ! »

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Et moi je dirai : Salut, antique ormeau des songes, au pied duquel Byron enfant s'abandonnait aux caprices de son âge, alors que je

rêvais René sous ton ombre, sous cette même ombre où, plus tard, le poète vint, à son tour, rêver Chidle-Harold! Byron demandait au cimetière témoin des premiers jeux de sa vie, une tombe ignorée : inutile prière que n'a point exaucée la gloire.

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