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> immobiles qui couvrent d'ombres un espace immense; des sentiers de sable glissent sous » les troncs des pins et présentent le sol le

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plus doux aux pieds des chevaux. Le reste » du terrain est couvert d'un léger duvet de ⚫ gazon semé de fleurs du rouge le plus éclatant; les oignons de jacinthes sauvages sont si gros, qu'ils ne s'écrasent pas sous le fer ⚫ des chevaux. A travers les colonnades de ces » troncs de sapin, on voit d'un côté les dunes ⚫ blanches et rougeâtres de sable, qui cachent ⚫ la mer, de l'autre la plaine de Bagdhad et le cours du fleuve dans cette plaine, et un coin du golfe, semblable à un petit lac, tant il est encadré par l'horizon des terres et les douze ou quinze villages arabes jetés sur les >> dernières pentes du Liban, et enfin les grou» pes du Liban même, qui font le rideau de » cette scène. La lumière est si nette et l'air si

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pur, qu'on distingue à plusieurs lieues d'é» lévation les formes des cèdres ou des caroubiers sur les montagnes, ou les grands aigles qui nagent sans remuer leurs ailes dans » l'océan de l'éther. Ce bois de pins est cer»tainement le plus magnifique de tous les sites » que j'ai vus dans ma vie. Le ciel, les monta»gnes, les neiges, l'horizon bleu de la mer,

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⚫ l'horizon rouge et funèbre du désert de sable; les lignes serpentantes du fleuve; les têtes isolées des cyprès; les grappes de palmiers épars dans la campagne; l'aspect gracieux » des chaumières couvertes d'orangers et de vignes retombant sur les toits; l'aspect sévère » des hauts monastères maronites faisant de larges taches d'ombre ou de larges jets de lumière sur les flancs ciselés du Liban; les › caravanes de chameaux chargés des marchan‣ dises de Damas, qui passent silencieusement » entre les troncs d'arbres; des bandes de » pauvres Juifs montés sur des ânes, tenant » deux enfans sur chaque bras; des femmes ⚫ enveloppées de voiles blancs, à cheval, mar» chant au son du fifre et du tambourin, »vironnées d'une foule d'enfans vêtus d'étoffes » rouges bordées d'or, et qui dansent devant » leurs chevaux; quelques cavaliers arabes » courant ledgerid autour de nous sur des che* vaux dont la crinière balaie littéralement le

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en

sable; quelques groupes de Turcs assis de» vant un café bâti en feuillage, et fumant la pipe ou faisant la prière; un peu plus loin >> les collines désertes de sable sans fin, qui se teignent d'or aux rayons du soleil du soir, » et où le vent soulève des nuages de poussière

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» enflammée; enfin, le sourd mugissement de » la mer qui se mêle au bruit musical du vent » dans les têtes de sapins, et au chant de mil»liers d'oiseaux inconnus; tout cela offre à » l'œil et à la pensée du promeneur le mélange » le plus sublime, le plus doux, et à la fois le plus mélancolique qui ait jamais enivré mon » ame; c'est le site de mes rêves, j'y revien»drais tous les

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Jours.

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Le lecteur sera sur ce site de l'avis du poète : il_y reviendra.

ROMANS. TRISTES VÉRITÉS QUI SORTENT DES LONGUES CORRESPONDANCES. STYLE ÉPISTOLAIRE.

Les romans, toujours à la fin du dernier siècle, avaient été compris dans la proscription générale. Richardson dormait oublié; ses compatriotes trouvaient dans son style des traces de la société inférieure, au sein de laquelle il avait vécu. Fielding se soutenait bien; Sterne, entrepreneur d'originalité, était passé. On lisait encore le Vicaire de Vakefield.

Si Richardson n'a pas de style ( ce dont nous ne sommes pas juges nous autres étrangers), il ne vivra pas, parce qu'on ne vit que par le style. En vain on se révolte contre cette vérité : l'ouvrage le mieux composé, orné de portraits d'une bonne ressemblance, rempli de mille autres perfections, est mort-né si le style manque. Le style, et il y en a de mille sortes, ne

s'apprend pas; c'est le don du ciel, c'est le talent. Mais si Richardson n'a été abandonné que pour certaines locutions bourgeoises, insupportables à une société élégante, il pourra renaître; la révolution qui s'opère en abaissant l'aristocratie et en élevant les classes moyennes, rendra moins sensibles, ou fera disparaître les traces des habitudes de ménage et d'un langage inférieur.

Les romans en lettres (vu l'espace étroit dans lequel l'action et les personnages sont renfermés) manquent d'un intérêt triste et d'une vérité philosophique qui sortent de la lecture des correspondances réelles. Prenez, par exemple, les œuvres de Voltaire; lisez la première lettre, adressée en 1715 à la marquise de Mimeure, et le dernier billet écrit le 26 mai 1778, quatre jours avant la mort de l'auteur, au comte de Lally Tolendal; réfléchissez sur tout ce qui a passé dans cette période de soixante-trois années.

Voyez défiler la longue procession des morts: Chaulieu, Cideville, Thiriot, Algarotti, Genonville, Helvétius; parmi les fenimes, la princesse de Bareith, la maréchale de Villars, la marquise de Pompadour, la comtesse de Fontaine, la marquise Du Châtelet, Mme Denis,

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