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devant qui toutes les réputations se sont évanouies, l'homme qui restera et restera seul, l'homme de la postérité, l'homme de la rénovation des choses, l'homme de l'avenir. Heureux le jour qui nous a vus naître ! Heureuse la société qui nous a portés dans ses entrailles ! Il arrive qu'au milieu de notre superbe, les bonnes gens courent le risque d'être étouffés: ils sont presque obligés de s'armer eux-mêmes de vanité pour se défendre de celle du passant, comme on fume dans un estaminet pour repousser la fumée de la pipe du voisin.

Cependant il faut dire, afin d'être juste, que si la critique de détail a perdu sa puissance par le manque de règles reconnues, par la révolte de l'amour-propre endurci, la critique historique et générale a fait des progrès considérables: je ne sache pas qu'à aucune époque on ait jamais rencontré dans un même pays une réunion d'hommes aussi savans, aussi distingués que ceux qui honorent aujourd'hui, en France, les chaires publiques.

Que deviendra la Langue anglaise ? Ce que deviennent toutes les Langues. Vers l'an 1400 un poète prussien, au banquet du Grand-Maître de l'Ordre Teutonique, chanta, en vieux prussien, les faits héroïques des anciens guer

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riers du pays personne ne le comprit, et on lui donna à titre de récompense, cent noix vides. Aujourd'hui le Bas-Breton, le Basque, le Gallique, meurent de cabane en cabane, à mesure que meurent les chevriers et les laboureurs. Dans la province anglaise de Cornouailles, la langue des indigènes s'éteignait vers l'an 1676: un pêcheur disait à des voyageurs Je ne connais guère que quatre ou cinq personnes qui parlent breton, et ce sont » de vieilles gens comme moi, de soixante à quatre-vingts ans. »

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Des peuplades de l'Orénoque n'existent plus; il n'est resté de leur dialecte qu'une douzaine de mots prononcés dans la cime des arbres, par des perroquets redevenus libres : la grive d'Agrippine gazouillait des mots grecs sur les balustrades des palais Latins. Tel sera tôt ou tard le sort de nos jargons modernes : quelque sansonnet de New-Place sifflera sur un pommier des vers de Shakspeare, inintelligibles au passant; quelque corbeau envolé de la cage du dernier curé franco-gaulois, dira, du haut de la tour en ruines d'une cathédrale abandonnée, dira à des peuples étrangers, nos successeurs Agréez les accens d'une voix qui vous fut

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» connue; vous mettrez fin à tous ces discours.

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Soyez donc Shakspeare ou Bossuet, pour qu'en dernier résultat votre chef-d'œuvre survive, dans la mémoire d'un oiseau, à votre langage et à votre souvenir chez les hommes.

QU'IL N'Y AURA PLUS DE RENOMMÉES LITTÉ

RAIRES UNIVERSELLES, ET POURQUOI.

La multiplicité et la diversité des Langues modernes doivent faire faire cette triste question aux hommes tourmentés de la soif de vivre Peut-il y avoir maintenant dans les lettres, des réputations universelles, comme celles qui nous sont venues de l'antiquité ?

Dans l'ancien monde civilisé deux Langues dominaient, deux peuples jugeaient seuls et en dernier ressort, les monumens de leur génie. Victorieuse des Grecs, Rome eut pour les travaux de l'intelligence des vaincus le même respect qu'avaient Alexandrie et Athènes. La gloire d'Homère et de Virgile nous fut religieusement transmise par les moines, les prêtres et les clercs, instituteurs des Barbares dans les écoles ecclésiastiques, les monastères, les sé

minaires et les universités. Une admiration héréditaire descendit de race en race jusqu'à nous, en vertu des leçons d'un professorat dont la chaire, ouverte depuis quatorze siècles, confirme sans cesse le même arrêt.

Il n'en est plus ainsi dans le monde moderne civilisé cinq Langues y fleurissent; chacune de ces cinq Langues a des chefs-d'œuvre qui ne sont pas reconnus tels dans les pays où se parlent les quatre autres Langues : il ne s'en faut pas étonner.

Nul, dans une littérature vivante, n'est juge compétent que des ouvrages écrits dans sa propre Langue. En vain vous croyez posséder à fond un idiome étranger; le lait de la nourrice vous manque, ainsi que les premières paroles qu'elle vous apprit à son sein et dans vos langes certains accens ne sont que de la patrie. Les Anglais et les Allemands ont de nos gens de lettres les notions les plus baroques; ils adorent ce que nous méprisons; ils méprisent ce que nous adorons: ils n'entendent ni Racine, ni La Fontaine, ni même complétement Molière. C'est à rire de savoir quels sont nos grands écrivains à Londres, à Vienne, à Berlin, à Pétersbourg, à Munich, à Leipsick, à Goettingue, à Cologne, de savoir ce qu'on y

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