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«Ma souricière un peu plus longue que large était haute de 7 à 8 pieds (1). La prose et les vers de mes devanciers, barbouillaient les cloisons tachées et nues. Un grabat à draps sales remplissait les trois quarts de ma loge; une planche supportée par deux tasseaux, placée à deux pieds au-dessus du lit contre le mur, servait d'armoire au linge, bottes et souliers des détenus. Une chaise, une table et un petit tonneau, meuble infâme, composaient le reste de l'ameublement. Une fenêtre grillée s'ouvrait fort haut; j'étais obligé de montrer sur la table pour respirer l'air et jouir de la lumière. A travers les barreaux de ma cage à voleur, je n'apercevais qu'une cour sombre, étroite, des bâtimens noirs autour desquels tremblotaient des chauve-souris. J'entendais le cliquetis des clés et des chaînes, le bruit des sergens de ville et des espions, le pas des soldats, le mouvement des armes, les cris, rires, les chansons dévergondées des prisonniers mes voisins, les hurlemens de Benoît condamné à mort comme meurtrier de sa mère et de son obscène ami. Je distinguais ces mots de Benoît, entre les exclamations confuses de la peur et du repentir : « Ah! ma mère! ma (1) Mes Mémoires.

les

» pauvre mère! »Je voyais l'envers de la société, les plaies de l'humanité, les hideuses machines qui font mouvoir ce monde, si beau à regarder en face quand la toile est levée.

« Le Génie de mes grandeurs passées et de ma gloire âgée de trente ans ne m'apparut point; mais ma Muse d'autrefois, bien pauvre, bien ignorée, vint rayonnante m'embrasser par ma fenêtre : elle était charmée de mon gîte et tout inspirée; elle me retrouvait comme elle m'avait vu dans ma misère à Londres, lorsque les premiers songes de René flottaient dans ma tête. Qu'allions-nous faire, le Solitaire du Pinde et moi ? Une chanson à l'instar de Lovelace? Sur qui? Sur un roi? non! La voix d'un prisonnier eût été de mauvais augure : c'est du pied des autels qu'il faut adresser des hymnes au malheur. Et puis il faudrait être un grand poète pour être écouté en disant :

O toi, de ma pitié profonde

Reçois l'hommage solennel,

Humble objet des regards du monde,
Privé du regard paternel!

Puisses-tu, né dans la souffrance,
Et de ta mère et de la France
Consoler la longue douleur (1)!

(1) V. Hugo, Odes et Ballades.

■ Je ne chantai done pas la couronne tombée d'un front innocent; je me contentai de dire une autre couronne, blanche aussi, déposée sur le cercueil d'une jeune fille (1).

Tu dors, pauvre Élisa, si légère d'années !
Tu ne sens plus du jour le poids et la chaleur :
Vous avez achevé vos fraiches matinées,

Jeune fille et jeune fleur.

» M. Le Préfet de police, des procédés duquel je n'ai qu'à me louer, m'offrit un meilleur asile aussitôt qu'il eut connu le lieu de plaisance où les amis de la liberté de la presse avaient eu la bonté de me loger pour avoir usé de la liberté de la presse. La fenêtre de mon nouveau réduit s'ouvrait sur un joli jardin. La linote de Lovelace n'y gazouillait pas; mais il y avait force moineaux frigans, lestes, babillards, effrontés, querelleurs on les trouve partout, à la campagne, à la ville, aux balustrades d'un château, à la gouttière d'une geôle, ils se perchent tout aussi gaiement sur l'instrument de mort que sur un rosier. A qui peut s'envoler, qu'importe les souffrances de la terre? »

Ma chanson ne vivra pas plus que celle de

(1) Élisa Trisell.

Lovelace. Les Jacobites n'ont laissé à l'Angleterre que le motet du God save the King. L'histoire de cet air est singulière : on le croit de Lulli; les jeunes filles des chœurs d'Esther, charmèrent à Saint-Cyr l'oreille et l'orgueil du grand roi par les accords du Domine, salvum fac Regem. Les serviteurs de Jacques emportèrent la majestueuse invocation dans leur patrie; ils l'adressaient au Dieu des armées, en allant au combat pour leur souverain banni. Les Anglais de la faction de Guillaume, frappés de la beauté du Bardit des Fidèles, s'en emparèrent. Il resta à l'Usurpation et à la Souveraineté du peuple, lesquelles ignorent aujourd'hui qu'elles chantent un air étranger, l'hymne des Stuarts, le cantique du Droit Divin et de la Légitimité. Combien de temps l'Angleterre priera-t-elle encore le maître des hommes de sauver le Roi ? Comptez les révolutions entassées dans une douzaine de notes, survivantes à ces révolutions!

Le Domine salvum du rite catholique est aussi un chant admirable on l'entonnait en grec au x siècle, lorsque l'empereur de Constantinople paraissait dans l'hippodrome. Du spectacle il passa à l'église : autre temps fini.

PROSE.

TILLOTSON. TEMPLE. BURNET.

SIDNEY.

CLARENDON. ALGERNON

Avec le règne de Charles II, une révolution s'opéra dans le goût et dans la manière des écrivains anglais. Abandonnant les traditions nationales, ils commencèrent à prendre quelque chose de la régularité et du caractère de la littérature française. Charles avait retenu de ses courses un penchant aux mœurs étrangères : Madame Henriette, sœur du roi, la duchesse de Portsmouth, maîtresse de ce roi, SaintEvremont et le chevalier de Grammont, exilés à Londres, poussèrent de plus en plus la restauration des Stuarts, à l'imitation de la cour de Louis XIV: la prose gagna à ce mouvement du dehors, la poésie y perdit.

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