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en faveur et pour tout autre une sécheresse de pulmo nique sila des formules de compliments pour l'entrée et pour la sortie, à l'égard de ceux qu'il visite, ou dont il est visité, et il n'y a personne de ceux qui se payent de mines et de façons de parler, qui ne sorte d'avec lui fort satisfait. Il vise également à se faire des patrons et des créatures: il est médiateur, confident, entremetteur : il veut gouverner : il a une ferveur de novice pour toutes les petites pratiques de cour: il sait où il faut se placer pour être vu il sait vous embrasser, prendre part à votre joie, vous faire coup sur coup des questions empressées sur votre santé, sur vos affaires; et pendant que vons lui répondez, il perd le fil de sa curiosité, vous interrompt, entame un autre sujet; ou s'il survient quelqu'un à qui il doive un discours tout différent, il sait, en achevant de vous congratuler, lui faire un compliment de condoléance; il pleure d'un œil, et il rit de l'autre. Se formant quelquefois sur les ministres ou sur le favori, il parle en public de choses frivoles, du vent, de la gelée ; il se tait au contraire, et fait le mystérieux sur ce qu'il sait de plus important, et plus volontiers encore sur ce qu'il ne sait point.

La Curiosité, ou Manie des fleurs, des fruits, des médailles, estampes, livres, etc.

La curiosité n'est pas un goût pour ce qui est bon ou ce qui est beau, mais pour ce qui est rare, unique, pour ce qu'on a, et ce que les autres n'ont point. Ce n'est pas un attachement à ce qui est parfait, mais à ce qui est couru, à ce qui est à la mode; ce n'est pas un amusement, mais une passion, et souvent si violente, qu'elle ne cède à l'amour et à l'ambition que par la petitesse de son objet. Ce n'est pas une passion qu'on a généralement pour les choses

rares et qui ont cours, mais qu'on a seulement pour une certaine chose qui est rare, et pourtant à la mode..

Le fleuriste a un jardin dans un faubourg, il y court au lever du soleil, et il en revient à son coucher. Vous le voyez planté, et qui a pris racine au milieu de ses tulipes et devant la solitaire. Il ouvre de grands yeux, il frotte ses mains, il se baisse, il la voit de plus près, il ne l'a jamais vue si belle, il a le cœur épanoui de joie : il la quitte pour l'orientale ; de là il va à la veuve ; il passe au drap d'or ; de celle-ci à l'agathe, d'où il revient enfin à la solitaire, où il se fixe, où il se lasse, où il s'assied, où il oublie de dîner, aussi est-elle nuancée, bordée, huilée, à pièces emportées; elle a un beau vase, ou un beau calice: il la contemple, il l'admire: Dieu et la nature sont en tout cela ce qu'il n'admire point; il ne va pas plus loin l'oignon de sa tulipe, qu'il ne livrerait pas pour mille écus, et qu'il donnera pour rien quand les tulipes seront négligées, et que les œillets auront prévalu. Cet homme raisonnable, qui a une ame, qui a un culte et une religion, revient chez soi, fatigué, affamé, mais fort content de sa journée : il a vu des tulipes.

que

Parlez à cet autre de la richesse des moissons, d'une ample récolte, d'une bonne vendange, il est curieux de fruits; vous n'articulez pas, vous ne vous faites pas entendre parlez-lui de figues et de melons, dites que les poiriers rompent de fruits cette année, que les pêchers ont donné avec abondance, c'est pour lui un idiome inconnu, il s'attache aux seuls pruniers, il ne vous répond pas. Ne l'entretenez pas même de vos pruniers : il n'a de l'amour que pour une certaine espèce : toute autre que vous lui nommez le fait sourire et se moquer. Il vous mène à l'arbre, cueille artistement cette prune exquise, il l'ouvre, vous en donne une moitié, et prend l'autre. Quelle chair! ditil; goûtez-vous cela? cela est divin! voilà ce que vous ne

trouverez pas ailleurs ! Et là-dessus ses narines s'enflent, il cache avec peine sa joie et sa vanité, par quelque dehors de modestie. O l'homme divin en effet ! homme qu'on ne peut jamais assez louer et admirer! homme dont il sera parlé dans plusieurs siècles! Que je voie sa taille et son visage, pendant qu'il vit ! que j'observe les traits et la contenance d'un homme qui, seul entre les mortels, possède une telle prune !

Un troisième que vous allez voir, vous parle des curieux ses confrères, et sur-tout de Diognète. Je l'admire, dit-il, mais je le comprends moins que jamais. Pensez-vous qu'il cherche à s'instruire par les médailles, et qu'il les regarde comme des preuves parlantes de certains faits et des monuments fixes et indubitables de l'ancienne histoire ? rien moins. Vous croyez peut-être que toute la peine qu'il se donne pour recouvrer une tête vient du plaisir qu'il se fait de ne voir pas une suite d'empereurs interrompue ? c'est encore moins. Diognète sait d'une médaille le fruste, le flou et la fleur du coin: il a une tablette dont toutes les places sont garnies, à l'exception d'une seule ; ce vide lui blesse la vue, et c'est précisément et à la lettre pour le remplir qu'il emploie son bien et sa vie.

Vous voulez, ajoute Démocède, voir mes estampes? et bientôt il les étale, et vous les montre. Vous en rencontrez une qui n'est ni noire, ni nette, ni dessinée, et d'ailleurs moins propre à être gardée dans un cabinet, qu'à tapisser un jour de fête le Petit-Pont ou la rue Neuve. Il convient qu'elle est mal gravée, plus mal dessinée, mais il assure qu'elle est d'un Italien qui a travaillé peu, qu'elle n'a presque pas été tirée, que c'est la seule qui soit en France de ce dessin, qu'il l'a achetée très cher, et qu'il ne la changerait pas pour tout ce qu'il y a de meilleur. J'ai, continuet-il, une sensible affliction, et qui m'obligera de renoncer aux estampes pour le reste de mes jours. J'ai tout Calot,

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hormis une seule, qui n'est pas à la vérité de ses bons ouvrages, au contraire, c'est un des moindres, mais qui achèverait Calot ; je travaille depuis vingt ans à recouvrer cette estampe, et je désespère enfin d'y réussir : cela est bien rude!

Tel autre fait la satire de ces gens qui s'engagent par inquiétude, ou par curiosité, dans de longs voyages; qui ne font ni mémoires ni relations, qui ne portent point de tablettes; qui vont pour voir, et qui ne voient pas, ou qui oublient ce qu'ils ont vu; qui désirent seulement de connaître de nouvelles tours où de nouveaux clochers et de passer des rivières qu'on n'appelle ni la Seine, ni la Loire ; qui sortent de leur patrie pour y retourner, qui aiment à être absents, qui veulent un jour être revenus de loin, et ce satirique parle juste, et se fait écouter.

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Mais quand il ajoute que les livres en apprennent plus que les voyages, et qu'il m'a fait comprendre par ses discours qu'il a une bibliothèque, je souhaite de la voir. Je vais trouver cet homme, qui me reçoit dans une maison où, dès l'escalier, je tombe en faiblesse d'une odeur de maroquin noir dont ses livres sont tous couverts. Il a beau me crier aux oreilles, pour me ranimer, qu'ils sont dorés sur tranche, ornés de filets d'or, et de la bonne édition; me nommer les meilleurs l'un après l'autre ; dire que sa galerie est remplie, à quelques endroits près, qui sont peints de manière qu'on croit voir de vrais livres arrangés sur des tablettes, et que l'œil s'y trompe; ajouter qu'il ne lit jamais, qu'il ne met pas le pied dans cette galerie, qu'il y viendra pour me faire plaisir ; je le remercie de sa complaisance, et ne veux, non plus que lui, visiter sa tannerie, qu'il appelle bibliothèque.

Un bourgeois aime les bâtiments; il se fait bâtir un hôtel si beau, si riche et si orné, qu'il est inhabitable. Le maître, honteux de s'y loger, ne pouvant peut-être se ré

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soudre à le louer à un prince ou à un homme d'affaires se retire au galetas, où il achève sa vie, pendant que l'enfilade et les planchers de rapport sont en proie aux Anglais et aux Allemands qui voyagent, et qui viennent là du Palais-Royal, du palais L.... G.... et du Luxembourg. On heurte sans fin à cette belle porte; tous demandent à voir la maison, et personne à voir Monsieur.

Diphile commence par un oiseau, et finit par mille. Sa maison n'en est pas infectée, mais empestée; la cour, la salle, l'escalier, le vestibule, les chambres, le cabinet, tout est volière. Ce n'est plus un ramage, c'est un vacarme; les vents d'automne, et les eaux dans leurs plus grandes crues, ne font pas un bruit si perçant et si aigu; on ne s'entend non plus parler les uns et les autres, que dans ces chambres où il faut attendre, pour faire le compliment d'entrée, que les petits chiens aient aboyé. Ce n'est plus pour Diphile un agréable amusement, c'est une affaire laborieuse, et à laquelle à peine il peut suffire.

Il passe les jours, ces jours qui échappent et qui ne reviennent plus, à verser du grain et à nettoyer des ordures. Il donne pension à un homme, qui n'a point d'autre ministère que de siffler des serins au flageolet, et de faire couver des canaries. Il est vrai que ce qu'il dépense d'un côté, il l'épargne de l'autre; car ses enfants sont sans maître et sans éducation. Il se renferme le soir, fatigué de son propre plaisir, sans pouvoir jouir du moindre repos que ses oiseaux ne reposent, et que ce petit peuple qu'il n'aime que parcequ'il chante, ne cesse de chanter. Il retrouve ses oiseaux dans son sommeil: lui-même il est oiseau, il est hupé, il gazouille, il perche, il rêve la nuit qu'il mue, ou qu'il couve.

Cet autre aime les insectes, il en fait tous les jours de nouvelles emplettes : c'est sur-tout le premier homme de l'Europe pour les papillons, il en a de toutes les tailles et

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