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se passionner un instant pour ce qui était quelquefois l'objet du mépris public et du sien; et entassant avec harmonie des mensonges mercenaires, flattait longuement les morts, pour être loué lui-même, ou récompensé par les vivants. Alors on ne louait pas l'humanité d'un général qui avait été cruel, le désintéressement d'un magistrat qui avait vendu les lois; tout était simple et vrai. Les princes eux-mêmes étaient soumis au jugement, comme le reste des hommes, et ils n'étaient loués que lorsqu'ils l'avaient mérité. Il est juste que la tombe soit une barrière entre la flatterie et le prince, et que la vérité commence où le pouvoir cesse. Nous savons par l'histoire, que plusieurs des rois d'Egypte, qui avaient foulé leurs peuples pour élever ces pyramides immenses, furent flétris par la loi et privés des tombeaux qu'ils s'étaient eux-mêmes construits.

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Depuis trois mille ans ces usages ne subsistent plus, et il n'y a dans aucun pays du monde des magistrats établis pour juger la mémoire des rois, mais la renommée fait la fonction de ce tribunal: plus terrible, parcequ'on ne peut la corrompre, elle dicte les arrêts, la postérité les écoute, et l'histoire les écrit.

tatosis tiszal, „av} THOMAS. Essai sur les Éloges. 19 noigilor sa varge radi

L'Orage et la Caverne des Serpents au Pérou.

Un murmure profond donne le signal de la guerre que les vents vont se déclarer. Tout à coup leur fureur s'annonce par d'effroyables sifflements. Une épaisse nuit enveloppe le ciel et le confond avec la terre; la foudre, en déchirant ce voile ténébreux, en redouble encore la noirceur; cent tonnerres qui roulent et semblent rebondir şur une chaîne de montagnes, en se succédant l'un à l'autre,

ne forment qu'un mugissement qui s'abaisse et qui se renfle comme celui des vagues. Aux secousses que la montagne reçoit du tonnerre et des vents, elle s'ébranle, elle s'entr'ouvre; et de ses flancs, avec un bruit horrible, tombent de rapides torrents. Les animaux épouvantés s'élançaient des bois dans la plaine; et à la clarté de la foudre, les trois voyageurs pâlissant, voyaient passer à côté d'eux le lion, le tigre, le lynx, le léopard, aussi tremblants qu'eux-mêmes: dans ce péril universel de la nature, il n'y a plus de férocité, et la crainte a tout adouci.

L'un des guides d'Alonzo avait, dans sa frayeur, gagné la cime d'une roche. Un torrent qui se précipite en bondissant la déracine et l'entraîne, et le sauvage qui l'embrasse roule avec elle dans les flots. L'autre Indien croyait avoir trouvé son salut dans le creux d'un arbre; mais une colonne de feu, dont le sommet touche à la nue, descend sur l'arbre, et le consume avec le malheureux qui - s'y était sauvé.

Cependant Molina s'épuisait à lutter contre la violence des eaux; il gravissait dans les ténèbres, saisissant tour à tour les branches, les racines des bois qu'il rencontrait, sans songer à ses guides, sans autre sentiment que le soin de sa propre vie car il est des moments d'effroi où toute compassion cesse, où l'homme, absorbé en lui-même n'est plus sensible que pour lui.

Enfin il arrive en rampant au bas d'une roche escarpée, et, à la lueur des éclairs, il voit une caverne dont la profonde et ténébreuse horreur l'aurait glacé dans tout autre moment. Meurtri, épuisé de fatigue, il se jette au fond de cet antre; et là, rendant graces au ciel, il tombe dans l'accablement.

L'orage enfin s'apaise; les tonnerres, les vents cessent d'ébranler la montagne; les eaux des torrents, moins ra

pides, ne mugissent plus à l'entour; et Molina sent couler dans ses veines le baume du sommeil. Mais un bruit, plus terrible que celui des tempêtes, le frappe au moment même qu'il allait s'endormir.

Ce bruit, pareil au broiement des cailloux, est celui d'une multitude de serpents (1), dont la caverne est le refuge. La voûte en est revêtue; et, entrelacés l'un à l'autre, ils forment, dans leurs mouvements, ce bruit qu'Alonzo reconnaît. Il sait que le venin de ces serpents est le plus subtil des poisons; qu'il allume soudain, et dans toutes les veines, un feu qui dévore et consume au milieu des douleurs, les plus intolérables le malheureux qui en est atteint. Il les entend, il croit les voir rampants autour de lui, ou pendus sur sa tête, ou roulés sur euxmèmes, et prêts à s'élancer sur lui. Son courage épuisé succombe; son sang se glace de frayeur; à peine il ose respirer. S'il veut se traîner hors de l'antre, sous ses mains, sous ses pas, il tremble de presser un de ces dangereux reptiles. Transi, frissonnant, immobile, environné de mille morts, il passe la plus longue nuit dans une pénible agonie, désirant, frémissant de revoir la lumière, se reprochant la crainte qui le tient enchaîné, et faisant sur lui-même d'inutiles efforts pour surmonter cette faiblesse.

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Le jour qui vint l'éclairer justifia sa frayeur, Il vitréellement tout le danger qu'il avait pressenti; il le vit plus horrible encore. Il fallait mourir ou s'échapper. Il ramasse péniblement le peu de forcés qui lui restent; il se soulève. avec lenteur, se courbe, et, les mains appuyées sur ses genoux tremblants, il sort de la caverne, aussi défait, aussi pâle qu'un spectre qui sortirait de son tombeau. Le même orage qui l'avait jeté dans le péril l'en préserva; car les serpents.

(1) Les serpents à sonnettes.

25 2971 en avaient eu autant de frayeur que lui-même ; et c'est l'instinct de tous les animaux, dès que le péril les occupe, de cesser d'être malfaisants.

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Un jour serein consolait la nature des ravages de la nuit. La terre, échappée comme d'un naufrage, en offrait partout les débris. Des forêts, qui, la veille, s'élançaient jusqu'aux nues, étaient courbées vers la terre; d'autres semblaient se hérisser encore d'horreur. Des collines qu'Alonzo avait vues s'arrondir sous leur verdoyante.parure, entr'ouvertes en précipices, lui montraient leurs flancs déchirés. De vieux arbres déracinés, précipités du haut des monts, le pin, le palmier, le gayac, le caobo, le cèdre, étendus, épars dans la plaine, la couvraient de leurs troncs brisés et de leurs branches fracassées. Des dents de rochers, détachées, marquaient la place des torrents; leur lit profond était bordé d'un nombre effrayant d'animaux doux, cruels, timides, féroces, qui avaient été submergés et revomis par les eaux.

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Cependant ces eaux écoulées laissaient les bois et les campagnes se ranimer aux feux du jour naissant. Le ciel semblait avoir fait la paix avec la terre, et lui sourire en signe de faveur et d'amour: Tout ce qui respirait encore, recommençait à jouir de la vie; les oiseaux, les bêtes sauvages, avaient oublié leur effroi; car le prompt oubli des maux est un don que la nature leur a fait, et qu'elle a refusé à l'homme (1).

MARMONTEL. Les Incas.

Mort du fils d'Idoménée.

En ce moment Idoménée, tout hors de lui, et comme

(1) Voyez, dans la prose et les vers, les Narrations, Tableaux, Descriptions d'ouragans, d'orages et de serpents.

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déchiré par les Furies infernales, surprend tous ceux qui l'observaient de près; il enfonce son épée dans le cœur de cet enfant; il la tire toute fumante et toute pleine de sang pour la plonger dans ses propres entrailles il est encore une fois retenu par ceux qui l'environnent. L'enfant tombe dans son sang, ses yeux se couvrent des ombres de la mort; il les entr'ouvre à la lumière; mais. à peine l'a-t-il trouvée, qu'il ne peut plus la supporter. Tel qu'un beau lis au milieu des champs, coupé dans la racine par le tranchant de la charrue, languit et ne se soutient plus, il n'a pas encore perdu cette vive blancheur et cet éclat qui charme les yeux; mais la terre ne le nourrit plus, et sa vie est éteinte. Ainsi le fils d'Idoménée, comme une jeune et tendre fleur, est cruellement moissonné dès son premier âge. Le père, dans l'excès de sa douleur, devient insensible; il ne sait où il est, ni ce qu'il fait, ni ce qu'il doit faire; il marche chancelant vers la ville, et demande son fils. Cependant le peuple, touché de compassion pour l'enfant, et d'horreur pour Taction barbare du père, s'écrie que les Dieux justes l'ont livré aux Furies: la fureur leur fournit des armes ; ils prennent des bâtons, des pierres. La discorde souffle dans. tous les cœurs un venin mortel; les Crétois, les sages Crétois oublient la sagesse qu'ils ont tant aimée; ils ne reconnaissent plus le petit-fils du sage Minos.

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FENELON. Télémaque, liv. V..

La Peste d'Athènes.

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Jamais ce fléau terrible ne ravagea tant de climats. Sorti de l'Éthiopie, il avait parcouru l'Égypte, la Libye une partie de la Perse, l'île de Lemnos, et d'autres lieux encore. Un vaisseau marchand l'introduisit sans doute au

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