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inquiet et troublé, ses naseaux fument; ses regards brûlants errent sur les amphithéâtres; il semble également en proie à la surprise, à la fureur. Tout à coup il se précipite sur un cavalier qui le blesse, et fuit rapidement à l'autre bout. Le taureau s'irrite, le poursuit de près, frappe à coups redoublés la terre, et fond sur le voile éclatant que lui présente un combattant à pied. L'adroit Espagnol, dans le même instant, évite à la fois sa rencontre, suspend à ses cornes le voile léger, et lui darde une flèche aiguë qui de nouveau fait couler son sang. Percé bientôt de toutes les lances, blessé de ces traits pénétrants dont le fer courbé reste dans la plaie, l'animal bondit dans l'arène, pousse d'horribles mugissements, s'agite en parcourant le cirque, secoue les flèches nombreuses enfoncées sur son large cou, fait voler ensemble les cailloux broyés, les lambeaux de pourpre sanglants, les flots d'écume rougie, et tombe enfin épuisé d'efforts, de colère et de douleur,

FLORIAN. Gonzalve de Cordoue, liv. V.

Funérailles d'Hippias.

Télémaque fit laver le corps dans des liqueurs odoriférantes; puis on prépara par son ordre un bûcher. Les grands pins, gémissant sous les coups des haches, tombent en roulant du haut des montagnes. Les chênes, ces vieux enfants de la terre, qui semblaient menacer le ciel ; les hauts peupliers, les ormeaux, dont les têtes sont si vertes et si ornées d'un épais feuillage; les hêtres qui font l'honneur des forêts, viennent tomber sur les bords du fleuve Galèse. Là, s'élève avee ordre un bûcher qui ressemble à un bâtiment régulier: la flamme commence à paraître; an tourbillon de fumée monte jusqu'au ciel. Les Lacédé

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moniens s'avancent d'un pas lent et lugubre, tenant leurs piques renversées et les yeux baissés la douleur amère est peinte sur ces visages farouches, et les larmes coulent abondamment ; puis on voyait venir Phérécyde, vieillard moins abattu par le nombre des années que par la douleur de survivre à Hippias qu'il avait élevé depuis son enfance. Il levait vers le ciel ses mains et ses yeux noyés de larmes. Depuis la mort d'Hippias, il refusait toute nourriture; Je doux sommeil n'avait pu appesantir ses paupièrès, ni le suspendre un moment sa cuisante peine. Il marchait d'un pas tremblant, suivant la foule, et ne sachant où il allait. Nulle parole ne sortait de sa bouche, car son cœur était trop serré; c'était un silence de désespoir et d'abattement. Mais quand il vit le bûcher allumé, il parut tout à coup furieux, et s'écria; «O Hippias, Hippias, je ne te verrai plus! Hippias n'est plus, et je vis encore ! O mon cher Hippias, c'est moi cruel, moi impitoyable, qui t'ai appris à mépriser la mort; je croyais que tes mains fermeraient mes yeux, et que tu recueillerais mon dernier soupir. O Dieux cruels ! vous prolongez ma vie pour me faire voir la fin de celle d'Hippias! O cher enfant que j'ai nourri, et qui m'a coûté tant de soin, je ne te verrai plus; mais je verrai ta mère, qui mourra de tristesse en me reprochant ta mort; je verrai ta jeune épouse frappant sa poitrine, arrachant ses cheveux, et j'en serai cause. O chère ombre ! appelle-moi sur les rives du Styx, la lumière m'est odieuse; c'est toi seul, mon cher Hippias, que je veux revoir! Hippias! Hippias! ô mon cher Hippias! je ne vis encore que pour rendre à tes cendres le dernier devoir. »

Cependant on voyait le corps du jeune Hippias étendu, qu'on portait dans un cercueil orné de pourpre, d'or et d'argent; la mort qui avait éteint ses yeux n'avait pu effacer toute sa beauté, et les graces étaient encore à demi

peintes sur son visage pâle; on voyait flotter autour de son cou, plus blanc que la neige, mais penché sur l'épaule, ses longs cheveux noirs, plus beaux que ceux d'Atis. ou de Ganymede, qui allaient être réduits en cendre: on remarquait dans le côté la blessure profonde par où tout son sang s'était écoulé, et qui l'avait fait descendre dans. le royaume sombre de Pluton.

!

Télémaque, triste et abattu', suivait de près le corps, et lui jetait des fleurs. Quand on fut arrivé au bûcher, le fils d'Ulysse ne put voir la flamme pénétrer les étoffes qui enveloppaient le corps sans répandre de nouvelles larmes. « Adieu, dit-il, ô magnanime Hippias, car je n'ose te nommer mon ami; apaise-toi, ô ombré qui as mérité tant de gloire ! si je ne t'aimais, j'envierais ton bonheur; tu es délivré des misères où nous sommes encore, et tu es sorti par le chemin le plus glorieux. Hélas! que je serais heureux de finir de même ! Que le Styx n'arrête point ton ombre; que les Champs-Élysées lui soient ouverts; que la renommée conserve ton nom dans tous les siècles, et que tes cendres reposent en paix!»

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A peine eut-il dit ces paroles entremêlées de soupirs, que toute l'armée poussa un cri: on s'attendrissait sur Hippias, dont on racontait les grandes actions; et la douleur de sa mort, rappelant toutes ses bonnes qualités, faisait oublier les défauts qu'une jeunesse impétueuse et une mauvaise éducation lui avaient donnés."

Le corps était déjà consumé par les flammes. Télémaque lui-même arrosa de liqueur parfumée ses cendres encore fumantes; puis il les mit dans une urne d'or qu'il couronna de fleurs, et il porta cette urne à Phalante : celui-ci était étendu, percé de diverses blessures, et, dans son extrême faiblesse, il entrevoyait près de lui les portes sombres des enfers.

FENELON. Télémaque', liv. XVII.

Catinat à l'Hôtel des Invalides.

L'enclos des Chartreux, qui n'était pas éloigné de sa demeure, était la promenade qu'il préférait d'ordinaire : tout ce qui inspirait le calme et le recueillement semblait lui plaire et l'appeler; et pour un homme qui avait tout fait et tout vu, des hommes qui ont renoncé à tout ne pouvaient pas être un spectacle indifférent. On fut surpris un jour de le voir dans cet enclos, comme autrefois le sage de Phrygie, jouer avec des enfants. Mais n'est-ce pas ce que fait tous les jours le philosophe, quand il vit avec les passions des hommes? La demeure royale de ces guerriers qui ont donné leurs jours à la patrie, et dont elle nourrit la vieillesse; ce prytanée militaire était aussi l'objet de ses fréquentes visites. Un enfant (c'était le fils de son homme d'affaires) qui l'avait entendu parler avec éloge de ce vénérable édifice, vint un jour, avec l'empressement naïf de son âge, prier le maréchal de Catinat de le mener à l'hôtel des Invalides; il y consent, prend l'enfant par la main, le mène avec lui, arrive aux portes. A la vue du maréchal, la garde se range sous les armes, les tambours se font entendre, les cours se remplissent; on répète de tous côtés: Voila le Père la Pensée! Ce mouvement, ce bruit, causént à l'enfant quelque frayeur. Catinat le rassure: « Ce sont, dit-il, des marques de l'amitié qu'ont pour moi ces hommes respectables. » Il le conduit par-tout, lui fait tout voir. L'heure du repas sonne; il entre dans la salle où les soldats s'assemblent; et, avec cette noble simplicité, cette franchise des mœurs guerrières, qui rapprochet ceux que le même courage et les mêmes périls ont rendus égaux: « A la santé, dit-il, de mes anciens camarades. » Il boit et fait boire l'enfant avec lui. Les soldats, debout et découverts, répondent par des accla

mations qui le suivent jusqu'aux portes, et il sort, emportant dans son cœur la douce émotion de cette scène, trop au-dessus de l'ame d'un enfant, mais dont le récit, conservé dans les Mémoires de sa vie, a pour nous encore aujourd'hui quelque chose d'attendrissant et d'auguste. LA HARPE. Éloge de Catinat.

Mort d'Épaminondas.

Les deux armées furent bientôt en présence: celle des Lacédémoniens et de leurs alliés était de plus de vingt mille hommes de pied, et de près de deux mille chevaux; celle de la ligue thébaine, de près de trente mille hommes d'infanterie, et d'environ trois mille de cavalerie.

Jamais Épaminondas n'avait déployé plus de talent que

dans cette circonstance. Il suivit dans son ordre de bataille les principes qui lui avaient procuré la victoire de Leuctres. Une de ses ailes, formée en colonne, tomba sur la phalange lacédémonienne, qu'elle n'aurait peut-être jamais enfoncée, s'il n'était venu lui-même fortifier ses troupes par son exemple, et par un corps d'élite dont il était suivi. Les ennemis, effrayés à son approche, s'ébranlent et prennent la fuite. Il les poursuit avec un courage dont il n'est plus le maître, et se trouve enveloppé par un corps de Spartiates qui font tomber sur lui une grêle de traits. Après avoir long-temps écarté la mort, et fait mordre la poussière à une foule de guerriers, il tomba percé d'un javelot, dont le fer lui resta dans la poitrine. L'honneur de l'enlever engagea une action aussi vive, aussi sanglante la première. Ses compagnons ayant redoublé leurs efforts, eurent la triste consolation de l'emporter dans sa

que

tente.

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