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étoit son propre ouvrage et causa sa perte, avoit été l'agent d'un emprunt fait par le prince de Galles avant la guerre et la révolution. Un notaire de Paris et ses autres associés avoient déjà été condamnés pour le même objet. Evrard, arrêté dans une campagne près de Lyon, par Fordre de Fouquier-Tinville, fut déposé quelques jours aux Recluses, avant d'être conduit à Paris et à la mort. Rien de plus majestueux que sa figure; rien de plus doux que son cacaractère. Au milieu de la nuit je le vis se lever pour écrire à sa femme, et la prévenir sur son inévitable sort; je le vis appliquer au dernier mot de sa lettre un long baiser. Qu'il fut expressif ce baiser! comme il retentit sur mon cœur ! Non, celui donné par l'amour en délire ne vaut pas celui qu'accorde l'auguste infortune!

et

Bourbon, curé d'Agni, avoit passé quarante années dans l'exercice de toutes les vertus, au milieu des pauvres dont il fut le père. Tranquille, décidé à périr, il ne regrettoit de la vie que le bien qu'il auroit pu faire. Il prit pour écrire la place d'Evrard. Sa lettre finie, il la bénit, puis joignant avec force les mains, et les levant au ciel, il lui adressa une prière fervente. J'étois ému; mon âme partageoit, sans

les connoître, et ses sentimens, et sa prière. Bourbon vint trouver son lit près de moi. Je lui demandai le sujet de sa lettre; il refusoit; j'osai insister, « Mon ami, me dit-il, mon sacrifice est fait; j'attends sans crainte qu'il se consomme. Depuis plus de trente ans, j'ai eu le bonheur de considérer la mort et de m'y préparer. Irois-je acheter quelques foibles jours qui me resteroient à parcourir en rejettant publiquement des principes que j'ai annoncés toute ma vie aux hommes, et qui m'ont paru dignes de les rendre bons et de les consoler? Avant de finir ma carrière j'avois oublié un devoir. Je viens de le remplir avec transport. J'ai écrit à celui qui m'a fait arrêter, qui m'a dénoncé. L'infortuné il est bien plus à plaindre que moi. J'ai songé à ses tourmens; j'ai voulu les adoucir, lui pardonner. J'ai béni son existence; j'ai souhaité qu'elle fut heureuse et tranquille à son dernier jour. Bientôt j'irai le demander moimême au Dieu clément, au Dieu des miséricordes." Bourbon parloit ainsi, et un rayon de la gloire divine sembloit étinceler sur son front. Je l'ai vu quelques jours ensuite me forcer d'accepter un lir plus commode, pour coucher lui-même sur un simple banc. Je l'ai vu, malgré le poids de l'âge, aider, servir à chaque instant le

paralitique Rey, aumônier de St.-Pierre. Je l'ai vu le soutenir avec courage en allant au tribunal et à la nort......

O ciel! Les ordres sont arrivés; il faut partir pour l'hôtel-commun, et s'approcher du tribunal. Tous les prisonniers devant former la chaîne sont appellés dans la cour, suivant une liste nominale qui en comprend ordinairement une centaine. Tous sont attentifs, perplex, dans les corridors et aux fenêtres, pour savoir quels sont les noms qui y sont inscrits. Après l'appel, ceux qui restent ont un sentiment indéfini de tristesse et de joie. Le retard est pour eux une prolongation de la vie; mais ils voient partir leurs amis. Les appellés font de rapides adieux. Ils embrassent leurs plus chères connoissances; des soupirs sont mutuellement étouffés, et des ́ larmes coulent de part et d'autre. C'est le moment où ils donnent de secrettes commissions...... « Si elle vient, dis - lui.... Si une lettre arrive, conserve-la.... » Déjà ils ont plié leur grosso, couverture de laine; ils l'ont attachée sur le dos. D'un bras ils soutiennent leur panier, et ils tendent l'autre à la chaîne.

Dans les premiers jours des jugemens, le Lyonnais marchoit libre vers le tribunal et à la mort. Aucune corde, nul lien ne l'entrayoient, ne l'unissoit dans sa marche à ses come

pagnons d'infortune; mais on a pris cette prés caution depuis qu'un des condamnés à la fusillade, sortant de la prison de Roanne pour aller périr aux Brotteaux, a eu l'adresse de fendre brusquement les rangs des soldats et des cavaliers qui l'entouroient, de se jetter, près Saint-Côme, dans une allée de traverse, et de se sauver.

Le brave Volet, commandant de la CroixRousse pendant le siége, eut le même bonheur, Percé de dix blessures non encore cicatrisées, il étoit conduit de Roanne avec quinze autres prisonniers. Il s'apperçut que le soldat qui le joignoit étoit ivre et trébuchoit à chaque pas. Aussi-tôt, saisissant le moment où il paroissoit tomber, il s'avance pour le soutenir passe derrière lui, se glisse entre les specta teurs, et s'évade dans la rue des Trois-Maries par l'allée de la maison Rivoiron. Déguisé, il gagne la Savoie, parlant un patois barbare, et offrant de vendre aux comités revolutionnaires

qui l'arrêtent sur sa route les peaux de lapin

dont il est porteur.

Les orages, la glace, la pluie à verse ne suspendent point le départ de la chaîne. Les malades à qui il reste un léger degré de force la suivent en chancellant. Le grand air les suffoque; ils tombent de défaillance sur leurs voisins; ce

pendant le chemin se parcourt à petits pas. Un léger accident survenu à Baraillon, pendant ce trajet, lui fut utile. Après avoir servi avec distinction, il jouissoit dans sa patrie de l'estime générale que lui méritoient sa franchise et sa probité. Arrêté, comme tous les militaires de l'ancien tems restés dans la ville, son sort ne pouvoit qu'être funeste. Au milieu d'une neige abondante, il perdit dans la marche un de ses souliers. Vainement voulut-il faire un pas rétrograde pour le rattraper, la corde qui l'unissoit au gros de la chaîne ne lui permit pas de reculer. Le pied couvert d'une boue épaisse, mouillé, hors d'haleine, on le place en arrivant à l'HôtelCommun sur le banc en face du tribunal, pour y être appellé sur-le-champ à l'interrogatoire. Là, il attendoit avec résignation l'instant de comparoître, lorsqu'un soldat devenu officier de l'armée révolutionnaire, le reconnoît pour son an cien capitaine. L'état effroyable où il le trouve, sa fermeté, son air tranquille touchent l'âme du sol dat. Capitaine Baraillon, lui dit-il, vous ne reconnoissez pas en moi l'un de vos soldats? Sa◄ credié! tout est changé; mais ceci est de trop. Par la mort de mille diables! vous êtes sans soulier; prenez un des miens, et ne me faites pas l'affront de me refuser. » A l'instant, nouvel officier commençoit à se déchausser,

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