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après que nous avons éprouvé quelque malheur. profond; dans ces momens, le passé revient, et se précipite, pour ainsi dire, sur notre âme, avec une irrésistible violence; et ce ne fut qu'après avoir tenu long-tems son oncle dans ses bras, avec une angoisse et des palpitations qui ne laissoient sortir aucun mot de sa bouche, qu'enfin elle put prononcer, de l'accent du désespoir, les noins de père et de mère.

M. de M** fit tout au monde pour remplacer auprès de sa malheureuse nièce, les parens qu'elle avoit perdus: il oublia ses propres douleurs, pour essayer d'adoucir la désolation de cette intéressante orpheline, qui, à l'âge de 19 ans, et dans la fleur de la beauté, devenoit la proie d'une profonde et incurable mélancolie. Elle étoit trop sensible pour n'être pas touchée de ses tendres soins; souvent en sa présence, elle retenoir ses larmes, voyant combien il en étoit affecté. Mais lorsqu'elle ne pouvoit plus se contenir, elle erroit au loin dans les bois, s'asseyoit sur quelque fragment de rocher, et là, loin de tout témoin, elle se livroit sans réserve à sa douleur, qui cependant, adoucie par le murmure sourd des vents et des eaux plaintives, trouvoit son unique soulagement dans des pleurs intarissables. Au milieu de ses courses' solitaires, consacrées à ses souvenirs, un jour

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elle fut retirée tout-à-coup de ses sombres méditations par l'apparition soudaine de son cousin le fils de M. de M**, qui, après avoir plusieurs fois exposé sa vie pour son pays, dans une longue et périlleuse campagne, étoit revenu chez lui pour trouver sa maison déserte et son père en exil. Telle étoit la récompense que les braves défenseurs de la liberté recevoient de la main des tyrans. Le jeune homme courut à la retraite de son père, où le premier objet qui frappa ses regards fut son aimable cousine, que quelques mois auparavant il avoit vue dans toute la fraîcheur de la jeunesse et de la beauté, les joucs animées de cet éclat que répand sur la jeunesse une santé brillante, les yeux étincelans de bonheur et d'espérance.... Hélas! ces joues étoient maintenant couvertes d'une pâleur habituelle ! Ces yeux étoient noyés de pleurs amers! Mais mademoiselle de M** ne lui avoit jamais paru si intéressante.

Le fils de M. de M** et Adélaïde, doués également d'une sensibilité rare, éprouvèrent bientôt que dans un tems où tout, hors le petit vallon qui les séparoit du reste du monde, étoit misère et désordre; rien ne pouvoit, au sein de ce désert sauvage, donner pour eux de prix à l'existence, que cette affection mu tuelle qui adoucit tous les maux passés et fait

briller quelques rayons d'espoir et de joie à tra vers les obscurités de l'avenir.

Le jeune de M** considéroit la défense de son pays comme un devoir sacré qui passoit avant tout: il partit sans retard, Ce fut avec des larmes exprimées du fond d'un cœur déchiré, qu'il se sépara de son père et d'Adélaïde, et l'effort avec lequel il s'arracha de ce lieu si cher, exigea toute l'énergie de son courage. Après avoir franchi l'ouverture de la vallée, il se retourna pour contempler encore une fois l'asyle qui renfermoit tous ses trésors.

Après son départ, Adélaïde n'eut d'autre consolation que cet abandon triste, mais doux, aux souvenirs du passé et l'habitude journalière d'aller répandre des larmes sur les sentiers qu'ils avoient parcourus ensemble, et sur les livres qu'ils y avoient las.

Hélas! cette jeune infortunée eut bientôt d'autres douleurs à ressentir que ses tendres regrets sur l'absence d'un objet chéri. Quelques semaines après le départ de son amant, les départemens de Vaucluse et des Bouches-du-Rhône furent désolés par Maignet. Deux victimes proscrites par ses fureurs, deux amis de M. de M**, qui connoissoient sa retraite, vinrent y chercher un asyle. M. de M** reçut ses amis fugitifs avee toute la tendresse d'un cœur généreux et dévoué.

Mais peu de jours après leur arrivée, les émissaires de Maignet découvrirent cette retraite. L'étroit passage de la vallée fut gardé par des soldats, la maison fut entourée par une grande force militaire, et M. de M** reçut l'ordre de partir avec les prétendus conspirateurs qu'il avoit accueillis, pour aller comparoître devant la commission établie à Orange.

Ce dernier coup, l'infortunée Adélaïde n'eût pas la force de le soutenir. Toutes les blessures de son âme se rouvrirent, ou plutôt se déchirèrent à l'instant, de la manière la plus cruelle; et bouleversée dans toutes les parties de son être, par cette nouvelle calamité tertible, inattendue, qui combloit la mesure de ses afflictions, sa raison l'abandonna tout-à-fait. Dans les convulsions de l'égarement, elle se jetta aux pieds de celui qui commandoit la troupe elle l'implora, versa des pleurs, poussa des cris. Tout à-coup se relevant, elle s'élance, se suspend au coup de son oncle. Elle le presse avet une espèce de fureur dans ses bras. Quelques soldats proposoient de la conduire elle-même au tribunal mais le chef, soit qu'il fut touché dé ses angoisses, soit qu'il craignît que son déses poir ne produisit en chemin quelque scène embarrassante, leur persuada de la laisser, On l'arracha de son oncle, et on l'enferma dans une

chambre, d'où ses cris aigus se firent entendre du malheureux vieillard, jusqu'à ce qu'il eût franchi l'entrée du vallon qu'il ne devoit plus revoir. Les souvenirs dont il étoit accompagné, les maux qui pesoient sur son cœur étoient sans doute cruels; mais ils ne furent pas de longue durée. Le jour même de son arrivée à Orange, on le conduisit avec ses amis, devant la commis sion, et de-là il fut traîné à l'échafaud.

Cependant mademoiselle de M**, retirée par Marianne de la chambre où l'avoient enfermée ces gardes barbares, er:oit du matin au soir dans les réduits les plus sauvages du vallon. Elle étoit constamment suivie par la fidelle servante, qui ne la perdit pas de vue, et qui conserve encore dans sa mémoire plusieurs sombres complaintes de cette âme égarée, plusieurs expressions furieuses de son désespoir. L'infortunée se retiroit souvent dans un lieu solitaire, où son oncle avoit mis un siège, et où chaque jour il venoit passer quelques heures. Par fois, elle s'asseyoit elle-même sur le banc; mais tout-àp coup elle se relevoit impétueusement, et se jettant à genoux devant l'endroit où son oncle avoit coutume de se placer, elle l'inondoit d'un tor rent de larmes. Pauvre vieillard, s'écrioitelle. Quoi! votre tête vénérable !... on devoit me laisser au moins une boucle de ses cheveux

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