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four-à-tour, couler des flots de sang; on vit les Français, comme égarés d'un fanatisme patriotique, s'égorger les uns les autres, et rappeller les fureurs des guerres de religion. Ah! puissent-ils enfin, dans les douceurs d'une longue paix, se rappeller à jamais qu'ils sont frères !

ANECDOTES

Sur les Détenus et les Victimes condamnées à mort pendant la tyrannie de Robespierre.

AINSI que cent-mille exemples l'ont prouvé;

ce n'est pas seulement des maisons d'arrêt de Patis que le terrorisme avoit banni la douce humanité; on se faisoit aussi un jeu, dans les prisons des départemens, de tourmenter les citoyens qu'un caprice des proconsuls ou de leurs agens y avoit précipités. A Verneuil, il prit envie à un misérable savetier, membre du comité révolutionnaire, de mettre en arrestation trois porcs pour faire compagnie aux prisonniers, paître l'herbe de leur cour et infecter la maison d'arrêt, de leurs immondices. Un de ces animaux se blessa en pâturant; on s'apperçut qu'il saignoit au pied; aussi-tôt le comité révolutionnaire est averti; il se transporte à la maison d'arrêt, dresse un procès-verbal dans lequel il est spécifié que les détenus ont frappé le cochon avec des intentions contre-révolutionnaires. Le comité fait ensuite une visite très-sévère, dans Qa

toute la maison, pour connoître les auteurs du complot. Les recherches étant infructueuses, le comité s'organisa en tribunal; des jurés furent nommés pour prononcer sur le délir. La déclaration du juri porta qu'il étoit constant que le cochon s'étoit blessé en marchant sur des verres cassés qui étoient dans la cour. L'affaire heureusement en resta là; les porcs disparurent et firent place à des chevaux qu'un autre membre du comité révolutionnaire plaça dans la cour. Ce n'est qu'après le 9 thermidor que les pri sonniers furent enfin délivrés de la présence de ces animaux, et remis en liberté. Il seroit difficile de se figurer l'insolence des membres du comité révolutionnaire de Verneuil. La plupart étoit dans un état d'ivresse perpétuelle; c'étoit roujours les injures à la bouche, qu'il abordoient les prisonniers; et ils ne répondoient à leurs plaintes qu'en les menaçant de Dumas et de Son tribunal révolutionnaire. Grâces éternelles soient rendues à la Convention qui a enfin déli vré la France de ces tyranneaux qui y avoient implanté la terreur et la mort,

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dit

J'ETOIS dans une famille où je voyois pratiquer toutes les vertus et cultiver tous les talens, le citoyen ; nous jouissions d'un bon feu, d'une douce réunion, des plaisirs de l'intimité. Un sentiment pénible comprimoit cependant notre âme; nous nous peignions les maux de ceux que le besoin condamnoit à un travail pénible, et qui ne pouvoient se procurer da bois. L'un de nous pense à inviter la famille

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un voisin pauvre, à venir se réunir avec nous pour passer la journée entière. Cette idée est saisie avec empressement; nous ramenons au milieu de nous un bon vieillard, une femme active et deux filles. Ce malheureux ménage souffroit et pleuroit dans un triste réduit, ес s'efforçoit en vain de continuer l'ouvrage qui devoit servir à l'entretien de leur journée. Réunis auprès de nous, il reprennent de la gaîté, de la confiance. Je souffrois, dit la femme bien moins pour moi que pour cette jeune persoune que j'ai adoptée, et que j'ai donné pour, sœur à ma fille. Elle n'a point passé ces jours comme moi dans l'indigence; elle est fille d'unpère condamné dans ces derniers tems. L'hiver dernier, lorsque son malheureux pèrè fut traduit à la Conciergerie de Paris, elle fit 200 lieues à pied pour le suivre. Elle accompagnoit la charrette où il étoit traîné avec ses compagnons. La malheureuse alloit dans chaque ville préparer des alimens, mendier une couverture ou du moins un peu de paille pour reposer son. père dans les différens cachots qu'il habitoit. Elle ne cessa point un moment de le suivre, de le consoler par sa présence, jusqu'à ce que la prison de la Conciergerie la séparât pour jamais, de son pauvre père. Habituée à fléchir des geoliers, elle essaya l'empire de la pitié sur des bourreaux, Pendant trois mois elle veilla tous les matins à la porte d'anciens membres du comité de salut-public et de sûreté-générale; pendant trois mois elle vécut de promesses perfides, de refus injurieux, de menaces mêmes. Son père a para devant les juges assassins. Au moment

où l'exécrable Dumas ferma la bouche à ce malheureux qui alloit prouver qu'on le prenoit pour un autre la fille voulut faire entendre le cri de la nature; elle fut entraînée avec violence. Le père vit cet affreux spectacle; il marcha à l'échafaud en pensa t que sa fille alloit rester seule dans le monde, livrée à son désespoir et aux horreurs de l'indigence. Elle les a déjà cruellement senties. Elle habitoit à côté de moi nous ajouta cette femme ), une petite chambre où elle vivoit et travailloit seule. Ma fille l'a connue et l'a aimée; elle apprendra à ma fille quelques talens agréables, si jamais le travail nous procure quelqu'aisance; et nous lui apprendrons, nous, les talens nécessaires pour gagner son pain de chaque jour.

Un bon vieillard qui ajoutoit à la dignité de ses cheveux blancs, beaucoup de franchise et de sensibilité, nous parla de ses malheurs, et sure tour de ceux dont il avoit été témoin: ceux-là avoient fait la plus forte impression sur son âme, Je vais vous rendre ses paroles.

<< Pauvre et vieux comme je suis, j'ai paru suspect à l'ancien gouvernement; je vivois d'une pension que me faisoit une famille à laquelle j'avois été attaché. Ce n'étoit point ce bienfait qui me lioit à elle. J'aimois dans cette famille des vieillards avec lesquels j'avois passé mes premiers jours, et des enfans que j'avois élevé; tous furent arrêtés, des membres des comités révolutionnaires me menacèrent pour me faire déposer contre mes bienfaiteurs et mes amis, -et me punirent pour ne l'avoir point fait.

J'étois depuis un mois à la prison, dite Port

Libre; je voyois là se former une société de malheureux qui, chaque jour, se convenoient davan tage. J'étois traité avec humanité à cause de mon indigence, et avec respect à cause de mon âge. Vous savez qu'on se réunissoit souvent dans cette prison. Un soir, on avoit réussi à se diştraire par une conversation pleine d'intérêt toutà coup on annouça l'arrivée de Malesherbes et de toute sa famille; personne ne fut plus rassuré sur son sort quand on vit que la vertu, de Malesherbes ne pouvoit le garantir, ni lui, ni sa famille. Il entra, et le premier mouvement au milieu de la douleur générale, fut de lui céder une place d'honneur au milieu de nous. Je vois encore sa sérénité. Cette place que vous m'offrez, dit-il, elle appartient à ce vieillard que j'apperçois; car je le crois plus âgé que moi. C'étoit moi qu'il désignoit. Nous fondimes en larmes, et lui-même avoit peine à contenir celles que lui causoit notre émotion.

Je veux vous citer encore un autre trait à l'occasion de cet homme, qui, certes, ne put jamais former des vœux contre sa patrie.

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Il étoit condamné à mourir avec toute sa famille; sa fille, la citoyenne Rosambau au moment où elle nous faisoit ses adieux, apperçoit la citoyenne Sombreuil, qui sauva la vie à son père, lors du 2 septembre, son père, qui fut condamné depuis par un tribunal plus assassin que celui des prisons; la fille de Malesherbes lui dit: Vous avez eu la gloire de sauver votre père, et moi j'ai du moins la consolation d'accom pagner le mien à l'échafaud. »

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