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trouvoit-là des enfans du soleil (1), armés de sabres, de pistolets, et paroissant plutôt nos bourreaux que nos gardes.

Le premier prairial, une menace long-tems répétée s'exécute; on ne reçoir plus nos diners; nous sommes réduits au pain et à l'eau; nous gémissons; on nous insulte; et un sceptre de fer s'appesantit sur nous.

Dans une visite faite avec là tyrannie la mieux prononcée, on nous enlève nos lits de sangle, les cordes de nos matelas; ni les malades, ni la vieillesse ne sont point considérés: on brise nos meubles les plus utiles, et nous ne pouvons même réclamer.

Un jour les enfans du soleil entrent dans notre cachot; ils nous font ranger d'un côté; à leurs regards furieux, à la vue de leurs armes, nous craignîmes d'être assassinés; mais leur chef prenant la parole, nous dit qu'à Aix le jour de la

(1) Les enfans du Soleil, ainsi que les compagnies de Jésus, étoient une réunion de citoyens dans les départemens du Midi, qui prétendoient que la vengeance étoit une vertu, lorsqu'on la dirigeoit contre les terroristes. On voit que, sur-tout dans le midi de la France, on a cherché à rendre aux Robespierristes tous les maux qu'ils avoient fait souffrir. Mais que ne s'en est-on tenu aux incarcérations! (Note de l'Editeur.)

vengeance s'étoit fait entendre, que les terroristes buveurs de sang détenus avoient été massacrés dans les prisons, de même qu'à Lyon, qu'à Tarascon et ailleurs; et qu'aussi coupables que ces scélérats, nous pouvions nous attendre au même sort; qu'à Toulon des conspirateurs vouloient livrer la ville aux Anglais; que toutes les troupes étoient parties pour l'enlever aux ememis; et que notre existence dépendoit du sort de cette place; que d'ailleurs ils attendoient les Lyonnais, et que, de concert avec eux, notre crime seroit étouffé dans notre sang, et que nous pouvions nous at tendre à périr à leur arrivée.

Après ce discours, on nous fouille avec sévé rité, déjà affoibli par le jeûne, étant au pain et à l'eau, tourmenté par des vexations et des persé cutions de tous les genres, j'étois malade, un de mes compagnons étoit attaqué d'une fièvre conti nue; nous implorons du secours, on nous refuse même de l'eau chaude, et un officier de santé.

Dans cet état de foiblesse, de mépris, de danger et d'abandon, un jour la compagnie de jesus pa roît et nous ordonne impérieusement de prendre nos matelas, rien que nos matelas et de les suivre. Nous obéissons comme des victimes que l'on traîne; sur trente que nous étions, quinze sont mis dans un cachot affreux, et les autres quinze, dont j'étois du nombre, suivent leurs bourreaux

jusques devant le cachot n. 15. C'est là que; livrés à l'insulte, à la dérision, assis par terre pendant que l'on ôtoit le fumier qui étoit dans ce sépulcre no. 15, nous fûmes apostrophés, injuriés par les enfans du soleil, la garde nationale, la femme du commandant elle-même, ect.: une heure entière nous subîmes le supplice moral le plus affreux: enfin on nous enferma dans un cachot obscur, à trente pieds sous terre, livrés à nos réflexions, toujours au pain et à l'eau, nous attendions à chaque instant la mort dont on nous menaçoit journellement, comme le terme de nos alarmes et de nos souffrances.

Après quatre ou cinq jours, on nous ramène à la tour avec des provocations, de nouvelles menaces; et je ne trouve plus mon linge......

Lorsque nous allions puiser de l'eau, nous entendions les enfans du soleil se dire entr'eux:

« Je me réserve celui-là pour le jour du travail. »

Enfin on vint nous annoncer que les Lyonnais arrivent, et que notre sort va bientôt être décidé. Des orgies ont lieu dans l'appartement du commandant, chaque soir, avec les enfans du soleil, et après ces orgies, à minuit, on accouroit dissiper notre sommeil par le chant du Réveil du peuple, et par les menaces qui nous étoient faites à notre porte.

Le 17 prairial, à midi, la compagnie du soleil vient s'emparer du fort; sur les trois heures nous entendons du tumulce, des cris; à quatre heures on relève le pont....... Nous voyons des sentinelles répandues sur les toîts; nous entendons des coups de fusils, de pistolets, des coups de canon, des cris des victimes immolées, et nous n'attendons que l'instant où nous allons être

massacrés.

A dix heures du soir, on crie à la porte da fort: Ouvrez; où est le commandant?

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Ouvrez, scélérats, votre tête en répond. » Après bien des menaces, on obéit, on baisse le pont, et à l'instant ces mots parviennent jusqu'à nous: «Le commandant de la place est commandant du fort; qu'on lui obéisse..... Citoyens au nom de la Loi, cessez ces massacres, cessez. Nous entendons haranguer, et sortir enfin les enfans du soleil en chantant. Nous apprenons indirectement que quatorze ou quinze de nos assassins sont arrêtés, et que le lendemain on les mit en liberté.

Après une journée aussi terrible, après des massacres aussi inouïs, après tant de dangers, nous ne voyons personne pour nous rassurer; on nous laisse dans l'incertitude; toujours un morne silence est ordonné. Nous allons le lendemain puiser de l'eau, yers les quatre heures de l'après

midi; nous voyons dans les cours une boucherie affreuse; des cadavres ça et là, et des blessés qui invoquoient la mort par leurs gémissemens, n'ayant encore été ni pansés, ni transportés, ni même vus par des chirurgiens.

Nous avons continué d'ètre au pain et à l'eau, et d'être traités avec la mème barbarie, jusqu'à la fin de prairial, époque où il a été per mis de laisser entrer de la nourriture. »

PRÉCIS HISTORIQUE

SUR LES INCARCERATIONS, LES MASSACRES

ET LES MASSACREURS.

Par P. J. B. NOUGARET (1).

JE me suis apperçu, en rccueillant tout ce qu'on a imprimé de relatif aux détenus, aux malheureuses victimes de la tyrannie des démagogues, soit à Paris, soit dans les départemens, que ces divers ouvrages étoient défectueux à plusieurs égards; qu'un grand nom. bre d'évènemens ne s'y trouvoient point rap

(1) On voit que c'est l'Editeur de cet ouvrage.

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