Page images
PDF
EPUB

droits à l'estime publique. Un décret plus spécial désigna comme chefs de l'insurrection les prêtres et ci-devant nobles, les fonctionnaires publics et hommes-de-loi, qui se trouvèrent dans les murs de Lyon, et les condamna à périr. Tous les officiers, tous ceux qui furent casernés pendant le siége, devoient éprouver le même sort. Dorfeuille (1), après avoir parcouru les départemens environnans, pour y établir des clubs, pour y animer contre les propriétaires la classe indigente, toujours prête à se réveiller aux mots de concession, d'égalité, de partage; Dorfeuille, à la tête d'une commission, commença d'appliquer cette loi à un grand nombre de citoyens arrêtés, et les envoya à l'échafaud. Par-tout on établit des sections redoutables, ne s'occupant qu'à accueillir quiconque y venoit dénoncer, qu'à saisir et séquestrer les biens de ceux qui

(1) Ce n'est point l'homme estimable du même nom, qui fut directeur des spectacles de plusieurs grandes villes, avec le citoyen Gaillard, entr'autres, à Paris, des Variétés amusantes, maintenant Théâtre de la République, et qui vient d'établir, auprès du directoire exécutif, un spectacle bisarrement désigné par un nom grec, Odéon; le comédien qui a rendu sa mémoire à jamais exécrable dans l'histoire du terrorisme, eut le bonheur, il y a quelques années, de mourir effrayé de ses crimes et de ses remords. (Note de l'Editeur.)

étoient dans les fers, ou qui avoient eu le bonheur de fuir. Les uns se cachèrent dans des antres solitaires, où ils regrétèrent d'avoir acquis des talens qui les faisoient proscrire. Les autres pénétrèrent chez l'étranger; ils lui portèrent les modèles de nos métiers, les dessins de nos manufactures,

Réfugié dans un pays entrecoupé de monts revêtus de sapins et de chênes, je m'y croyois en sûreté. Là, j'oubliois toutes les passions qui agitent l'âme, pour ne desirer que la paix. Là, je cherchois à ignorer tous les évènemens, puisqu'ils n'étoient que funestes, à vivre avec les livres plutôt qu'avec les hommes, à me perdre dans l'histoire des siècles passés, pour ne plus appercevoir le siècle présent.

Ces instans de calme ne furent pas de durée; on vint m'avertir qu'on avoit arrêté deux ou trois habitans de ces montagnes, et qu'on devoit y revenir pour en arrêter encore. Les premiers, conduits à Feurs, y gémissoient dans des prisons obscures et mal-saines. Un tribunal redoutable y avoit déjà commencé sa terrible mission. Déjà, de la sommité de ces rocs, à diverses fois, des coups de feu s'étoient faits entendre; et l'on assuroit dans le village que ces coups avoient privé de la vie plusieurs hommes dans la fleur de l'âge. On me dit mais je ne

pus le croire, qu'ainsi venoient de périr le boa Rochefort et son fils, se tevant embrassés l'un et l'autre pour tomber et mourir ensemble. On immola ainsi Lattard, sortant à peine de l'enfance, à côté du vertueux de Meaux, ayant passé soixante ans de sa vie à rendre à ses concitoyens une impartiale justice: la Chaize renommé pour la variété de ses connoissances et l'agrément de son entretien: l'honnête Clorobert; Bigni; la Barre faisant le plus généreux usage de ses biens Saint-Polgue un peu bisarre, mais à qui l'annonce de la mort ne parut que celle d'un voyage ordinaire: Pariat-Civen, jeune médecin instruit, dont la perte plongea dans le deuil une famille inconsolable: Géni, attaché comme lui à l'art de guérir, voulut délivrer ses juges d'un crime de plus. Il connoissoit les plantes amies de l'homme affaissé sous la tyrannie et qui peuvent l'en affranchir : une boisson mortelle, préparée de ses mains, termina son existence......

Un vieillard couvert de sueur traversoit le vallon. C'étoit l'honnête Laurent. Je l'appelle, il accourt. Son cœur étoit oppressé, son œil 'humide. « J'arrive de Feurs, me dit-il; n'en doutez pas, Dieu punit les hommes de l'oubli de ses saintes lois. Il ôte à ce monde pervers tous ceux qui sont doux, bienfaisans, pieux. La France entière ne renfermera bientôt plus

que des forcenés et des tigres. Il n'est que trop vrai, l'affreuse guillotine étincèle dans le lieu que je viens de fuir. Cette allée du Rosier, seule promenade où la jeunesse alloit se livrer à d'innocens plaisirs, cette allée est couverte de sang, de cadavres et de tonbes. Sous ces arbres verdoyans, asyle de la douce joie, on a creusé une vaste fosse; l'herbe est blanchie par la chaux qu'on y a transportée pour y dissoudre promptement les corps. Triste allée du Rosier! tu ne reverras plus que le voyageur égaré; on ne se promènera plus sous ton ombre..... >>

[ocr errors]
[ocr errors]

Ainsi me parla ce malheureux vieillard, et la frayeur vint glacer mon âme, que l'innocence auroit dû rassurer. Bouleversement complet des mœurs et des sentimens, qui jette sur la yerta les angoisses du crime, et sur la modération et la probité, les dangers qui ne devroient suivre que l'assassin! Combien de fois, après un soupé attendrissant où ma famille offroit tous les âges, j'ai dit adieu à mon père, à ma mère, à mon épouse, à mes enfans qui soupiroient, et suis-je allé dans les ténèbres, coucher sous le chaume du pauvre qui m'accueilloit avec transport, ou dans un pavillon éloigné, tout en ruines, ouvert à tous les vents, mais du moins au sommeil! C'étoit sur-tout en apprenant une arres

tation nouvelle, et qui se faisoit toujours la nuit, qu'on me forçoit d'aller hors de la maison paternelle chercher un peu de repos.

Avois-je par malheur resté dans ma chambre, dont la vue s'étend sur une terrasse et plus loin dans la campagne, le moindre bruit m'y réveilloit. Je croyois m'être entendu appeller; j'ouvrois ma fenêtre pour savoir si l'on m'avertissoit de prendre la fuite....

Enfin, on vint me prévenir, avec effroi, au milieu des ténèbres, que des hommes vêtus de bleu ont frappé à la grande porte, et veulent entrer sur-le-champ. Il étoit deux heures après minuit; la nuit est devenue froide, orageuse, sans la moindre clarté. Je me précipite sur la terrasse. Un fidèle serviteur place l'échelle pour que je puisse en descendre le mur..... On heurte plus loin à coups redoublés; mais je vais échapper par ce lieu solitaire : l'obscurité me favorise. Je descends en silence et avec une sorte de joie. Au dernier échellon, je tombe dans les bras de deux gendarmes. Aussi-tôt, me plaçant leurs sabres sur le col, ils me crient: «Scélérat, arrête !.... »

Tout le village est bientôt réveillé; les ha bitans consternés m'entourent: leurs larmes m'ont déjà consolé. Je deviens beaucoup plus

« PreviousContinue »