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murmure; elle lui répondoit avec douceur: S'abandonnant alors à un mouvement d'ivresse, Corchand prit la main de celle qui l'avoit charmé, et osa y porter ses lèvres. Aussi-tôt, l'éclair n'ess pas plus prompt; elle se lève, elle essuie l'endroit que les lèvres ont effleuré, elle s'écrie: Quoi, ta main a pu saisir la mienne, ta main qui sigue la mort ! ne m'a-t-elle pas marquée de sang?" Corchand baissa la tête, et ne put que bégayer quelques mots,

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Parrein siégeoit au milieu des juges. Fernex et Corchand à sa gauche; Lafaye et Brugnière à sa droite. Cette position, le penchant qu'a voient ces derniers à être plus doux les fit surnommer le côté droit et les arristocrates du tribunal.

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Parrein, au milieu des juges qui condamnoient sans cesse des deux autres qui tendoient à absoudre, ne savoit souvent à quoi se décider. 11 Aottoit irrésolu. La vie et la mort dépendoient alors de lui seul, dé sa bonne ou mauvaise humeur, des nouvelles publiques qu'il avoit reçues, de sa facile ou fatiguante digestion. Dans son incertitude, je l'entendis dire à voix basse à mon égard: « Deux contre deux; que faire donc ?» Lafaye lui répliqua ton devoir. Corchand tenoit déjà la fatale plume; mais le devoir de Parrein lui prescrivit sans doute en cet instant

de me sauver.... De me sauver ! hélas ! pourrai-je vivre encore au milieu de la destruction générale, de la perte de tout ce qui fut bon, de la proscription de ceux que j'aimai!

Devant ce tribunal, sur cette sellette, se plaça l'honnête Rivérieux, plein de connoissances. et d'amour de l'ordre. Il marquoit ses jours par des bienfaits; il versoit sa fortune dans le sein des pauvres. On l'a puni de mort pour avoir acheté du riz, pour avoir fourni des secours aux blessés comme si dans toutes les guerres et parmi les hordes les plus sauvages, l'homme qui souffre n'est pas sacré ! Comme si la pitié qu'il inspire peut être un crime, et le secours qu'il reçoit un attentat digne du supplice!

Vous y parûtes donc aussi sur la sellette, vous qui y fites asseoir de véritables coupables, Basset et Barou-du-Soleil, vous qui sûtes êtres amis sincères, magistrats éclairés, hommes serviables, recherchant l'occasion d'obliger comme les autres cherchent le repos. Basset reprocha aux juges lear insouciante cruauté; et en leur prédisant à eux-mêmes la mort il sembla en cet instant devenir leur propre juge et les y condamner.Barou aimé de quiconque l'approchoit, exilé sous l'ancien régime pour son courage, fut immolé sous le nouveau pour ses vertus.

Au moment que je croyois marcher à l'écha

faud, avant mon interrogatoire, je composai un hymne, que j'intitulai CHANT DE MORT, et dont voici la dernière strophe:

J'aimai le bien, j'ai servi ma Patrie;
Tout est détruit; ma Patrie est aux fers:
Avec plaisir, tyrans, je perds la vie,
Pour vous ouvrir la porte des enfers.

La plupart des prisonniers alloient à la mort en chantant; et je me promettois de les imiter en chantant ce couplet lorsque je marcherois vers la guillotine. L'air que je fis sur cette romance, retenu par un effort de mémoire, ainsi que celui de la chanson intitulée LE BATTEAU, se sont vendus à Lyon chez les marchands de musique.

Si l'on eût pu choisir le moment de son interrogatoire, de son jugement, c'est le matin qu'il auroit fallu préférer. Le soir, les juges étoient harassés, ennuyés, tourmentés de sollicitations ou d'ivresse ; mais en général les interrogatoires. étoient précis et courts, Sonvent, ils se bornoient à ces trois questions: Quel est ton nom ?.... Ta profession? Qu'as-tu fait pendant le siége? Es-tu dénoncé? On vérifioit la réponse à cette dernière question d'après les pièces envoyées au tri→ bunal par la commission temporaire. Cette derhière tenoit l'énorme registre sur lequel on

Es

portoit les reproches et les actes accusâtéurs, Les dénonciations les plus ordinaires étoient d'avoir porté les armes, d'être fanatique et d'aimer les prêtres, de dédaigner les sans-culottes, d'être riche et de ne pouvoir ainsi aimer l'égalité, d'avoir été apperçu avec un chapeau sans cocarde.... On admettoit sur ce livre tout ce qui pouvoit nuire, l'interprétation cruelle des discours les plus innocens, le moindre geste, l'in discrétion la plus légère.

Marie Adrian, jeune fille de seize ans, vêtue en homme, avoit rempli, pendant tout le siége, le pénible emploi de canonnier. Elle parut à l'interrogatoire, Comment, lui dit-on, as-tu pu braver, le feu et tirer le canon contre ta Patrie ? »

C'étoit, au contraire, pour la défendre, répondit-elle, et la sauver de l'oppression. » Une autre aussi jeune, d'une figure intéressante, ne vouloit pas porter la cocarde. On lui en demanda la raison. « Ce n'est point la cocarde que je hais, dit-elle ; mais puisque vous la portez, elle me paroît le signal des crimes et elle ne peut plus aller sur mon front, » Lafaye fit signe au guichetier, placé derrière elle, d'attacher une cocarde au bonnet de l'accusée. « Vas, lui dit-il, en portant celle-ci tu es sauvée, » Aussi-tôt, l'accusée se lève avec sang-froid, détache la cocarde, et ne répond aux juges que par ces mots:

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« Je vous la rends. » Elle sort à l'instant même et

va mourir.

on

Un commandant de bataillon de la garde nationale étoit parvenu près du tribunal et y réclamoit la liberté de son frère. Avant de le laisser entrer, l'avoit forcé de remettre au corps-de-garde la vieille épée qu'il portoit. La curiosité des soldats la fit tirer du fourreau, et on y apperçut l'empreinte de trois fleurs-de-lys. Aussi-tôt, l'épée est portée devant les juges, Le commandant étonné ne songe plus qu'à se défendre; il se trouble, «Tu venois, lui dit-on, réclamer ton frère, tu partageras sa prison et son jagement. » Il périt aussi sur l'échafaud.

K***, accusé d'agiotage, n'employa pour toute défense qu'une réponse- unique et toujours la même. Elle fut bornée à ces mots : comme YOUS. Aimes-tu l'argent ? Comme vous. As-tu porté les armes dans le siége? Comine yous. Es-tu patriote ? Comme vous. Comment faire périr un homme qui se comparoit à ses juges? Ils l'acquittèrent.

Une jeune fille éplorée, dans les transports da désespoir, pénètre dans la salle et s'écrie: Mes frères sont fusillés; mon père vient de périr; par vous, je n'ai plus de famille. Que faire seule au monde ? Je m'y déteste; terminez mon malheur; ah! de grâce, faites-moi mourir, A

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