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Dont la muse eût un jour de son terrible vers
Châtié la sottise et fouetté nos travers:

Peut-être qu'un rival des Molés, des Prévilles,

Nous peint les sots des champs, qui peindroit ceux des ville
Peut-être enfin un Pope, un Locke, un Addisson

N'attend qu'un bienfaiteur de sa jeune raison :
Ainsi ce jeune œillet n'attendoit pour éclore
Qu'un des rayons du jour, qu'un des pleurs de l'Aurore.
Aujourd'hui, sans songer à son renom futur,

Son cœur est satisfait si, lancé d'un bras sûr,
Le caillou sous les eaux court, tombe et se relève,
Ou si par un bon vent son cerf- volant s'élève.

Dès qu'un heureux hasard vient l'offrir à vos yeux,
Hâtez-vous, saisissez ce germe précieux.
Cultivés, protégés par vos secours propices,
Ces jeunes sauvageons croîtront sous vos auspices:
Hâtés par vos bienfaits, leurs fruits seront plus doux,
Et leur succès flatteur reviendra jusqu'à vous.
Des préjugés aussi préservez le jeune âge.
Naguère des esprits hantoient chaque village;
Tout hameau consultoit son sorcier, son devin;
Tout château renfermoit son spectre, son lutin,
Et dans de longs récits la vieillesse conteuse
En troubloit le repos de l'enfance peureuse.

Surtout, lorsqu'aux lueurs d'un nocturne flambeau
L'heure de la veillée assembloit le hameau,

Toujours de revenans quelque effrayante histoire
Resserroit de frayeur le crédule auditoire.
Loin d'eux ces fictions qui sèment la terreur,
Filles des préjugés et mères de l'erreur!
Ah! contons-leur plutôt la bonne moissonneuse,
Soigneuse d'oublier l'épi de la glaneuse;
Le bon fils, le bon père, et l'invisible main
Qui punit l'homicide et nourrit l'orphelin.

Ainsi vous assurez, bienfaiteur du village, Des secours au vieillard, des leçons au jeune âge. Ce n'est pas tout encor; que d'heureux passe-temps De leurs jours désœuvrés amusent les instans. Hélas qui l'eût pu croire ? une bonté barbare De ces jours consolans est devenue avare. Ces jours, leur dites-vous, de stériles loisirs, Ces jours sont au travail volés par les plaisirs. Ainsi votre bonté du repos les dispense, Et l'excès du travail en est la récompense! Hélas! au laboureur, à l'utile ouvrier, Dans les jours solennels pouvons-nous envier Le vin et les chansons, le fifre et la musette; A leur fille l'honneur de sa simple toilette?

Non, laissons-leur du moins, pour prix de leur labeur, Une part à la vie, une part au bonheur.

Vous-même secondez leur naïve allégresse.
Déjà je crois en voir la scène enchanteresse.
Pour peindre leurs plaisirs et leurs groupes divers,
Donnez, ah! donnez-moi le pinceau de Teniers.
Là des vieillards buvant content avec délices,
L'un ses jeunes amours, l'autre ses vieux services,
Et son grade à la guerre, et dans quel grand combat
Lui seul avec de Saxe il a sauvé l'état.

Plus loin, non sans frayeur dans les airs suspendue,
Églé monte et descend sur la corde tendue :
Zéphir vient se jouer dans ses flottans habits,
Et la pudeur craintive en arrange les plis.

Ailleurs s'ouvre un long cirque, où des boules rivales
Poursuivent vers le but leurs courses inégales,
Et leur fil à la main, des experts à genoux
Mesurent la distance et décident des coups.
Ici, sans employer l'élastique raquette,
La main jette la balle et la main la rejette.
Là, d'agiles rivaux sentent battre leur cœur;
Tout part, un cri lointain a nommé le vainqueur.
Plus loin, un bois roulant de la main qui le guide
S'élance, cherche, atteint, dans sa course rapide,

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Ces cônes alignés, qu'il renverse en son cours,
Et qui, toujours tombant, se redressent toujours;
Quelquefois, de leurs rangs parcourant l'intervalle,
Il hésite, il prélude à leur chute fatale ;
Il les menace tous, aucun n'a succombé;

Enfin il se décide, et le neuf est tombé.

Et vous, archers adroits, prenez le trait rapide;
Un pigeon est le but. L'un de l'oiseau timide
Effleure le plumage, un autre rompt ses nœuds;
L'autre le suit de l'œil, et l'atteint dans les cieux.
L'oiseau tourne dans l'air sur son aile sanglante,
Et rapporte, en tombant, la flèche triomphante.
Mais c'est auprès du temple, au pied du grand ormeau,
Que s'assemble la fleur et l'amour du hameau.
L'archet rustique part, chacun choisit sa belle;
On s'enlace, on s'élève, on retombe avec elle.
Plus d'un cœur bat, pressé d'une furtive main,
Et le folâtre amour prélude au sage hymen.
Partout rit le bonheur, partout brille la joie;
L'adresse s'entretient, la vigueur se déploie :
Leurs jeux sont innocens, leur plaisir acheté,
Et même le repos bannit l'oisiveté.

Vous, charmé de ces jeux, riche de leur aisance,
Vous goûtez le bonheur qui suit la bienfaisance.

Heureux, vous unissez, dans votre heureux hameau,
Le riche à l'indigent, la cabane au château.

Vous créez des plaisirs, vous soulagez des peines,
Du lien social vous resserrez les chaînes,
Et satisfait de tout, et ne regrettant rien,

Vous dites comme Dieu : ce que j'ai fait est bien.

Fin du premier Chant.

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