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même. En effet, étoiles, planètes; grèle, vents, pluies; arbres, plantes, fleurs ; métaux, minéraux ; animaux de toute espèce, terrestres, aquatiques, volatiles; description, géographie de villes et de

pays, il embrasse tout, et ne laisse dans la nature et dans les arts aucune partie qu'il n'examine avec soin. Pour composer cet ouvrage, il avait parcouru près de deux mille volumes.

Il a soin d'avertir qu'il prenait le temps de ce travail, non sur celui des affaires publiques dont il était chargé, mais sur son propre repos, et qu'il y employait seulement certaines heures perdues. Pline le Jeune, son neveu, nous apprend qu'il menait une vie simple et frugale, dormait peu et mettait tout le temps à profit : celui des repas, pendant lesquels il se faisait lire; celui même des voyages, où il avait toujours à ses côtés son livre, ses tablettes, son copiste; car il ne lisait rien dont il ne fit des extraits. Il comptait que ménager ainsi le temps, c'était prolonger sa vie, dont le sommeil abrège beaucoup la durée : «< Pluribus horis vivimus: profectò enim vita vigilia est. >>

Pline était bien éloigné de la fastueuse vanité de certains auteurs, qui ne rougissent point de copier les autres sans les nommer. « Il me semble, dit-il, que la probité et l'honneur demandent que, par un aveu sincère, on rende une sorte d'hommage à ceux de qui l'on a tiré quelque secours et quelques lumières. » Il compare un auteur qui profite du travail d'autrui, à une personne qui emprunte de l'argent dont elle paye l'intérêt: avec cette diffé

rence pourtant, que le débiteur, par l'intérêt qu'il paye, n'acquitte point le fonds de la somme qu'on lui a prêtée; au lieu qu'un auteur, par l'aveu ingénu de ce qu'il emprunte, l'acquiert en quelque sorte, et se le rend propre. D'où il conclut qu'il y a de la petitesse d'esprit et de la bassesse, d'aimer mieux être surpris honteusement dans le vol, que d'avouer ingénument sa dette. Je me suis bien enrichi de la sorte, et à bon marché.

Il sentait parfaitement toute la difficulté et tous les inconvénients d'une entreprise comme la sienne, où la matière qu'on traite est par elle-même ingrate, stérile, ennuyeuse, et ne laisse aucun lieu de faire paraître de l'esprit. Mais il était persuadé qu'on sait quelque gré aux auteurs qui préfèrent le désir d'être utiles au public, à celui de plaire, et qui, dans cette vue, ont le courage de surmonter et de dévorer toutes les peines d'un travail ennuyeux et rebu

tant.

Il se flatte qu'on lui pardonnera toutes les fautes qui lui seront échappées, et on y en trouve beaucoup en effet, comme cela est inévitable dans un ouvrage d'une si vaste étendue et d'une si prodigieuse variété.

Pline dédia son ouvrage à Tite, alors associé presque à l'empire par Vespasien, son père, et qui devint depuis les délices du genre humain. Ilen fait un éloge magnifique et abrégé, en lui disant : « Votre élévation n'a causé en vous d'autre changement, sinon de vous mettre en état de faire tout le bien vous désirez, en égalant votre pouvoir à votre bonne

que

volonté : « Nec quicquam in te mutavit fortunæ amplitudo, nisi ut prodesse tantumdem posses et << velles. >>

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Pline le jeune nous apprend dans une lettre qu'il adresse à Tacite l'historien, le triste accident qui fit périr son oncle. Il était à Misène, où il commandait la flotte. Ayant appris qu'il paraissait un nuage d'une grandeur et d'une figure extraordinaires, il se mit sur mer, et s'aperçut bientôt qu'il sortait du mont Vésuve. Il se presse d'arriver au lieu d'où tout le monde fuyait, et où le péril paraissait le plus grand, mais avec une telle liberté d'esprit, qu'à mesure qu'il apercevait quelque mouvement extraordinaire, il faisait ses observations et les dictait : déjà sur ses vaisseaux volait la cendre plus épaisse et plus chaude à mesure qu'ils approchaient: déjà tombaient autour d'eux des pierres calcinées et des cailloux tout noirs, tout brûlés, tout pulvérisés par la violence du feu. Pline délibéra quelque temps s'il retournerait en arrière; mais s'étant rassuré, il continua sa route, mit pied à terre à Stabie, et s'arrêta chez Pomponianus, son ami, qu'il trouva tout tremblant et qu'il tâcha d'encourager. Après le repas, il se coucha et dormit d'un profond sommeil. L'approche du danger obligea de l'éveiller. Les maisons étaient tellement ébranlées par les fréquents tremblements de terre, que l'on aurait dit qu'elles étaient arrachées de leurs fondements. Ils s'avancèrent tous dans la campagne. Je passe beaucoup de circonstances. La nuit sombre et affreuse qui couvrait tout, n'était un peu dissipée que par

la lueur de l'incendie. Des flammes qui parurent plus grandes, et une odeur de soufre qui annonçait leur approche, mirent le monde en fuite. Pline se lève appuyé sur deux valets, et dans le moment tombe mort, suffoqué apparemment par l'épaisseur de la fumée.

Telle fut la fin du savant Pline. On ne peut savoir mauvais gré à un neveu d'avoir peint en beau la mort de son oncle, et de n'y avoir vu que de la force, du courage, de l'intrépidité et de la grandeur d'âme. Mais, si nous en voulons juger sainement, peut-on excuser de témérité une entreprise, où un homme expose sa vie, et ce qui est encore plus condamnable, celle des autres, pour satisfaire une simple curiosité ?

ROLLIN, Histoire ancienne.

JUGEMENTS.

I.

Il me reste, pour terminer cet article, à dire un mot du style de Pline: il lui est tout particulier, et ne ressemble à aucun autre. Il ne faut pas s'attendre à y trouver ni la pureté, ni l'élégance, ni l'admirable simplicité du siècle d'Auguste, dont il n'était pourtant éloigné que d'assez peu d'années. Son caractère propre est la force, l'énergie, la vivacité, je puis même dire la hardiesse, tant pour les expressions que pour les pensées, et une merveilleuse fécondité d'imagination pour peindre et rendre sensibles les objets qu'il décrit : mais il faut avouer aussi que son style est dur et serré, et par

là souvent obscur, que ses pensées sont fréquemment poussées au-delà du vrai, outrées, et même fausses jessayerai d'en donner quelques exemples.

Pline développe les merveilles renfermées dans la matière dont les voiles de vaisseaux sont composées. L'homme jette dans la terre une petite semence qui lui servira à se rendre maître des vents et à les convertir à ses besoins. Sans parler d'une infinité de secours qu'on tire du lin ou du chanvre pour tous les usages de la vie, quoi de plus merveilleux que de voir une herbe rapprocher l'Égypte de l'Italie, malgré la mer qui les sépare ? et quelle herbe encore ? petite, mince, faible, qui s'élève à peine de terre, qui d'elle-même ne forme ni corps, ni substance ferme, et qui a besoin pour servir à nos usages, d'être brisée et réduite à la souplesse de la laine. C'est à cette plante, toute médiocre qu'elle est, qu'on doit la facilité de se transporter d'un bout du monde à l'autre : « Seritur linum. Sed <«< in quâ non occurrit vitæ parte? quodve miracu«<lum majus, herbam esse quæ admoveat Ægyptum « Italiæ..... Denique tam parvo semine nasci, quod << orbem terrarum ultrò citròque portet, tam gra«< cili avenâ, tam non altè à terrâ tolli ; neque id vi<< ribus suis necti, sed passum, tusumque, et in mol<< litiem lanæ coactum ! >>

Il donne une idée magnifique de la grandeur et de la majesté de l'empire romain. Rome, selon lui, est en même temps la mère de l'univers et lui doit sa nourriture; choisie exprès par les dieux pour illustrer le ciel même, pour réunir tous les empires

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