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les détails les plus satisfaisans sur l'intérieur du roi, et, entre autres preuves des sentimens de ce prince sur la révolution, et de la fatigue qu'il éprouvait de sa position, il me cita que le jour où il avait sanctionné dernièrement le décret relatif au serment du clergé, il avait dit au comte de Fersen: « J'aimerais mieux être roi de Metz que de de>> meurer roi de France dans une telle position; >> mais cela finira bientôt. » Il me confia en outre que, depuis le 6 octobre, ce prince avait envoyé au roi d'Espagne sa protestation contre tout ce qu'il pourrait sanctionner par la suite comme n'étant point libre de ses volontés: je n'ai pas entendu parler depuis de cette protestation.

Nous passàmes ensuite rapidement sur l'état des négociations entamées. Il me confirma les bonnes dispositions du corps helvétique, celles de l'Espagne qui promettait de faire avancer incessamment des troupes pour appuyer la démarche du roi, et les promesses de secours d'hommes et d'argent de la part de l'empereur.

Les émigrés qui se trouvaient alors à Turin et leurs projets nous occupèrent un moment. Je témoignai mes craintes à leur égard, et persuadé que, dans toute grande combinaison, rien ne nuit plus au but général que la multiplicité des moyens, je représentai à l'évêque combien toute entreprise mal concertée de leur part embarrasserait et pourrait même rendre impossible la conduite du plan adopté par le roi. Il me répondit que ce prince en

était si convaincu et si inquiet, surtout d'après la fausse démarche que l'on venait d'essayer à Lyon, qu'il avait envoyé à Turin trois courriers dont le dernier avait été adressé au roi de Sardaigne directement, pour défendre à ceux que les plus chers intérêts unissaient à sa cause dans ce pays, de rien tenter pour entrer en France dans la conjoncture actuelle, et qu'il avait mandé qu'il gardait copie de sa lettre pour lui servir de justification vis-à-vis de la France, en cas que l'on refusât de se rendre à ses ordres et à ses prières. La connaissance de cette démarche me rassura d'autant plus qu'elle fut appuyée de l'expression de la volonté formelle du roi de ne rien communiquer de son projet actuel aux chefs des émigrés, dans la crainte d'une indiscrétion que l'excès même de leur zèle pouvait occasioner. Il avait fait part en même temps de son message à Turin aux meneurs du parti révolutionnaire, et cette ouverture lui avait attiré une popularité momentanée qui ne laissa pas d'être utile à cacher ses desseins.

Cependant la position du roi était toujours la même dans Paris. Prisonnier dans son palais, décrédité aux yeux du peuple, humilié à chaque occasion par l'Assemblée nationale, par la municipalité et par le chef de la force armée, il ne présentait plus que le fantôme d'un monarque qué tous les succès de ses partisans eussent pu difficilement rendre à son existence première. Au reste, il s'était occupé, quoique trop tard encore, de gagner Mira

beau, et il y était parvenu. Ce factieux le servait lentement en travaillant les esprits, principalement par les moyens de séduction que lui fournissait l'argent qu'on lui donnait à répandre pour cet objet, et dont il faisait plus souvent un emploi personnel. Il s'apercevait facilement que la cour n'avait en lui qu'une demi-confiance, calcul bien faux dans toute affaire de parti et bien dangereux surtout avec des esprits de la trempe de celui-ci. Aussi Mirabeau disait-il assez plaisamment pour justifier la méfiance que lui inspiraient les allures secrètes du château, qu'il en était là comme dans les cuisines de grandes maisons qui ont toujours quelque pot-au-feu caché. M. de Montmorin, ministre des affaires étrangères, était un de ceux qui travaillaient au rapprochement de cet homme important avec la cour, et il essayait de réparer par ce genre de service les torts réels ou apparens qu'il avait eus envers le roi, son bienfaiteur et même son

ami.

Tel est le tableau de la situation tant extérieure qu'intérieure de Louis XVI, ainsi qu'il me fut présenté à mon arrivée à Paris. M. l'évêque de Pamiers termina notre première entrevue par me dire qu'étant au moment de se retirer lui-même en Suisse, Leurs Majestés désiraient que je traitasse dorénavant avec M. de Fersen qui avait toutes leurs instructions. Ce fut donc chez celui-ci qu'il me promit d'arranger le premier rendez-vous.

Pour détourner de moi les soupçons que pouvait

occasioner ce voyage, je me montrai dans le monde et dans les sociétés les plus opposées. J'évitai d'aller aux clubs d'aucun parti, malgré les instances que j'en reçus; et quoique mon opinion fût bien connue, tout jeune que j'étais, je travaillai à établir celle de ma modération.

M. Du Portail, officier du corps du génie, qui avait aidé M. de La Fayette en Amérique, et que celui-ci avait à son tour fait connaître, était alors ministre de la guerre. Je lui portai des lettres que j'avais pour lui. Dans une conversation assez patriotique qu'il eut avec moi, je ne vis dans ce ministre qu'un homme nul qui cachait sous un air dur et sévère une profonde médiocrité. Ses dispositions défavorables pour M. de Bouillé, et dont sa liaison avec M. de La Fayette m'était un garant suffisant, ne l'empêchèrent pas de me communiquer avec une apparente confiance un projet de divisions pour l'armée, qui réduisait infiniment le commandement du premier. Il faut convenir que ce commandement était en effet d'une étendue bien extraordinaire dans un temps où un homme du caractère de ce général, et qui avait acquis tant d'influence, pouvait être si dangereux pour le parti dominant: aussi ce projet n'avait-il d'autre but que de remédier à cet inconvénient. Quoique M. Du Portail m'assurât que le général ferait lui-même sa part, il n'était pas difficile de sentir la portée du coup qu'on lui préparait. C'est pourquoi M. de Bouillé, pour qui il était essentiel de rester dans les

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Evêchés où l'habitude et sa conduite lui avaient donné une grande consistance, s'empressa, sur le rapport que je lui en fis, de marquer un désintéressement bien étonnant aux yeux de ses ennemis, en renonçant à l'espèce de dictature qui lui était confiée. J'en fis avertir en même temps le roi pour qu'il lui fit conserver le commandement des Evêchés, et évitât qu'on l'éloignât davantage de Paris, comme auraient pu et même dû le faire les démocrates, s'ils avaient été conséquens à leurs principes.

Pour mieux cacher l'objet de mon voyage, j'avais aussi des lettres de M. de Bouillé pour M. de La Fayette, et quoique je susse combien celui-ci était dangereux à nos projets, j'avais eu l'imprudence de passer trois jours à Paris sans les lui remettre. Il me fit témoigner son regret de ne m'avoir pas encore vu et son désir de me parler. Je m'empressai de réparer la faute où m'avait entraîné mon sentiment sur le rôle qu'il jouait. Je me rendis chez lui. Il me demanda d'abord l'objet qui m'amenait à Paris. Ma jeunesse, le goût des plaisirs, etc., m'offraient de bons prétextes dont je me servis pour éluder une question sur laquelle il ne pouvait espérer de moi une réponse franche.

Comme je pensais que mon accès chez lui pouvait être utile aux intérêts du roi, j'en fis prévenir ce prince, et je demandai son agrément que j'obtins facilement, ainsi que j'avais fait lors de mon voyage à Paris l'été précédent.

Dès notre premier abord, M. de La Fayette

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