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sous le couvert de ce vieux nom, et de forcer chacun d'applaudir tout haut un auteur que chacun lit tout bas. C'était une sorte de défi malicieux dont l'habile écrivain s'est tiré à merveille. Tout son discours est d'une justesse de ton parfaite et je n'ai surpris qu'une seule note qui m'ait arrêté. A un endroit, M. Mérimée, regrettant que son prédécesseur n'eût pas cultivé ce don des vers qui se révèle dans quelques pièces exquises échappées çà et là à sa muse indolente, dit que « cette voix mélodieuse nous eût rendu peut-être André Chénier. » Ce rapprochement de deux noms qui rappellent des pinceaux si contraires surprend de la part d'un juge délicat; j'oserai demander à M. Mérimée ce qu'ont de commun l'harmonieuse clarté, la grâce facile de quelques strophes de Nodier, avec cet art savant, avec ce parfum de la Grèce dont sont imprégnés les vers de l'Aveugle? Mais ce n'est là qu'une vétille, une chicane de critique dont l'humeur est de toujours chercher noise sur quelque point.

M. Étienne a répondu à M. Mérimée par l'organe sonore de M. Viennet. On s'est vite aperçu que M. Victor Hugo, dans sa réponse à M. Saint-Marc Girardin, nous avait transportés, en vrai poëte, plutôt au paradis de Dante qu'à l'Académie française sa peinture idéale des béatitudes de l'Institut s'est trouvée bientôt démentie. Il y a encore, à ce qu'il paraît, guerre civile dans l'Élysée. M. Étienne est venu déclarer que la célèbre compagnie n'avait renié ni ses lois, ni ses dieux. De quelle Académie s'agit-il? Est-ce de celle de M. Victor Hugo, où l'on est frères plutôt que confrères? J'en doute un peu. Il y a donc l'Académie de M. Étienne et l'Académie de M. Hugo: à laquelle croire? Peut-être que, si on interrogeait les quarante membres, on trouverait quarante académies différentes. Hélas! l'éloquent poëte nous avait arrêtés devant un mirage.

Les allusions de l'auteur de la Jeune Femme colère avaient évidemment bonne intention d'atteindre l'auteur de NotreDame de Paris. C'était une riposte au manifeste de la précédente séance; car M. Mérimée, dans son discours, avait soigneusement évité tous les prétextes de rencontre; il n'avait même

pas caractérisé l'influence toute singulière et le rôle à part de Charles Nodier dans les rénovations du romantisme. M. Victor Hugo a donc payé pour les méfaits de Nodier et même pour ceux de M. Mérimée : heureusement l'illustre auteur des Feuilles d'automne est assez riche pour solder, si lourds qu'ils soient, ses comptes à la critique. Quand M. Étienne est arrivé à l'auteur de Colomba, ses rancunes classiques étaient satisfaites; il a pu ne pas marchander les louanges au récipiendaire. On le devine, nous acceptons sans aucun scrupule tous les éloges donnés par M. Étienne avec une bonne grâce dont il faut lui savoir gré; seulement nous les aurions voulu plus choisis, plus nuancés, mieux appropriés aux mérites originaux, au talent si français de M. Mérimée. M. Étienne avait une belle occasion de faire, par l'apologie même du nouvel académicien, la satire de nos mœurs littéraires. Les contrastes ironiques eussent fait saillie à chaque instant. Quelle est, en effet, la plaie de presque tous les écrivains d'aujourd'hui? N'est-ce pas qu'au lieu de guider leur imagination, ils se laissent guider par elle? Eh bien! M. Mérimée a fait l'opposé toute sa vie, et c'est même là l'une des qualités qui constituent sa force. Nous avons des génies qui étalent de grandes théories et qui les contredisent par de médiocres ouvrages; M. Mérimée, au contraire, n'affecte pas d'avoir une haute esthétique, il se contente de composer des récits charmants. Voyez si ce sceptique heureux et circonspect a eu aucun de nos engouements enthousiastes, aucune de nos maladies poétiques. Tandis qu'autour de lui on prodiguait sans compter et qu'on distendait les petits sujets en nombreux volumes, il a toujours enfermé l'émotion et comme concentré l'intérêt; tandis qu'en vrais Byzantins nous sacrifiions tout à l'image et que nous passions le temps à damasquiner notre style, à brillanter nos périodes, il se contentait du nécessaire et préférait le burin au pinceau; enfin, tandis que la plupart se perdaient dans des ambitions sans bornes et s'épuisaient à construire des tours de Babel littéraires, lui il circonscrivait son domaine, il se tenait heureux d'être l'un de nos conteurs les

plus goûtés. Voilà comment M. Mérimée, au milieu des conflits d'école, sut se faire accepter de tout le monde et se rendre incontesté : son art consista à mettre en relief les qualités excellentes qu'il avait et à ne jamais prétendre aux qualités qu'il n'avait pas. Sa réserve fit son originalité, sa prudence fit son succès.

Assurément M. Étienne est un homme d'esprit : tout le monde se souvient de sa vive et libérale polémique de la Restauration. Comment la réponse qu'il a faite à M. Mérimée a-t-elle un peu trompé notre attente? Des expressions vieillies s'y étaient glissées et on passait trop souvent des bruits du forum au poignard du fanatisme. M. Étienne, qui avait beaucoup connu Nodier, n'a rien trouvé à ajouter à ce que venait de raconter M. Mérimée qui ne l'avait jamais vu; il s'est contenté de redire la même chose en moins bons termes. Ce morceau, où l'emphase n'est pas toujours évitée, ne rappelait guère, il en faut convenir, l'agréable discours de réception dans lequel l'honorable académicien avait avancé, et très-spirituellement prouvé, il y a trente ans, que, si l'histoire de France se perdait, on pourrait la reconstruire avec les comédies. Pourquoi M. Étienne n'a-t-il pas retrouvé seulement cette verve sobre et élégante qui, naguère encore, à l'inauguration de la statue de Molière, se distingua si heureusement de la harangue maussade et lourde de M. Arago? Y aurait-il donc aussi pour l'esprit des modes qui vieillissent, et le don qu'eut Nodier de rester toujours jeune était-il une exception? J'en veux douter, et je vais relire les Deux Gendres.

SAINTE-BEUVE.

RÉCEPTION A L'ACADÉMIE FRANÇAISE.

Il y a précisément vingt ans qu'avait lieu à l'Académie française la réception de M. Casimir Delavigne. C'était au lendemain de cette agréable comédie de l'École des Vieillards dont les soixante premières représentations avaient donné un chiffre de recettes supérieur à celui des recettes de Figaro. Le nom populaire du jeune écrivain brillait alors de son plus serein éclat; l'opinion émue puisait dans son émotion même un plus reconnaissant souvenir pour les patriotiques Messéniennes; les sourires excités par les spirituelles saillies des Comédiens étaient encore sur bien des lèvres, et tous les esprits dévots au culte de la poésie chaste admiraient les chœurs du Paria. Jusque-là, M. Delavigne n'avait pas quitté sa voie propre; fidèle à ses

(1) Voir Revue des Deux Mondes, 1er mars 1845.

instincts, il ne s'était pas très-inquiété du besoin d'innovations littéraires qui commençait à se produire avec vivacité autour de lui. Et, en effet, comme poëte lyrique, on l'avait vu adopter une manière dès le lendemain de Waterloo, c'est-à-dire avant les Méditations de M. de Lamartine, avant les premières Odes de M. Victor Hugo; comme poëte dramatique, il avait tout de suite, dans la tragédie, essayé de continuer Andromaque par la pureté du style, Zaïre par le mouvement et l'intention philosophique; dans la comédie, il avait ressaisi et fondu avec esprit et grâce l'aimable genre de la Métromanie et du Méchant. En un mot, c'était de nature un classique ingénieux, élégant, distingué, d'une imagination facile, qui tour à tour savait attraper avec un égal bonheur l'éloquence harmonieuse à la suite de Racine, le · facile enjouement à côté de Gresset. Il semble que son entrée à l'Académie française, dans l'asile même et comme dans la citadelle (alors jugée imprenable) des traditions, aurait dû affermir à sa place M. Delavigne et l'éloigner moins que jamais de la route sûre où jusque-là il avait marché au milieu des applaudissements. Ce fut l'opposé. D'autres eussent songé à dépouiller toute hérésie, même légère, sur le seuil orthodoxe de l'Institut : l'auteur des Vêpres siciliennes, au contraire, prit possession du classique fauteuil en levant, pour la première fois en pareil lieu, la bannière de l'innovation. A dire vrai, il s'agissait d'une innovation bien modeste : l'honnête écrivain voulait viser désormais à un rôle intermédiaire, au rôle de conquérant pacifique, et il laissait deviner ses projets :

Aimons les nouveautés en novateurs prudents.

Le Victor de ses Comédiens avait déjà trahi le faible du poëte à flatter le goût public, son penchant prochain à l'imitation discrète, à une sorte d'approbation modérée des beautés hasardeuses qui allaient être risquées sur la scène. En 1825, c'est-àdire avant Cromwell et Henri III, au moment même où paraissait Clara Gazul, M. Delavigne déclarait timidement à ses nouveaux confrères de l'Académie qu'il y avait des poëtes dé

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