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récents volumes de l'Histoire littéraire, qui a paru après sa mort. A propos de l'Histoire de Pie VII, de son collègue M. Artaud, il écrivait au Journal des Savants, il y a quelques mois, ce parallèle entre l'empereur et le pontife; la haine du vieux citoyen dévoué à la liberté, et peut-être aussi un peu d'amour-propre de poëte blessé et mal guéri, y apparaissent, malgré la sévère austérité du savant :

*Napoléon s'éleva lui-même au rang suprême avec une hardiesse préméditée; il n'attendit pas que la fortune vint à lui, il la brusqua avec succès, et, renversant tour à tour les barrières qui le séparaient du pouvoir, il se fit premier consul, il se fit empereur. Chiaramonte, modeste dans ses voeux, heureux de son obscurité, fut appelé successivement, et presque malgré lui, à des dignités ecclésiastiques; et, quand tous les suffrages se réunissaient pour lui offrir la tiare pontificale, il se refusait encore le sien... L'un, fils de la liberté, parvenu en se déclarant son défenseur, l'a étouffée dès qu'il a pu le faire avec impunité; l'autre, fils de la religion, n'a cessé de lui consacrer tous ses instants, tous ses vœux, et, acceptant pour elle les chagrins, l'exil, la prison, lui est demeuré fidèle jusqu'au dernier soupir. »

Puis à la mort résignée de Pie VII, jouissant du sentiment de sa vertu et de cette espérance qui n'abandonne jamais l'opprimé, Raynouard oppose la fin inquiète de Napoléon dans l'exil. Après avoir montré le captif de Sainte-Hélène, par un de ces retours de fortune qui sont la leçon de l'histoire, envoyant demander un confesseur à ce même pontife auquel ses agents avaient refusé l'accomplissement de cette consolation religieuse, il finit par conclure, comme cela n'est pas étonnant de sa part, que Bonaparte a su subjuguer l'admiration, mais qu'il ne mérite pas la reconnaissance. Il ne faut pas croire que tous les articles de Raynouard, au Journal des Savants, soient écrits du même style que le fragment qui précède. Mêlé sans cesse de citations, et loin d'être plein et nourri comme ici, il tourne souvent à la concision. On eût même dit, dans les derniers temps surtout, qu'à force de parler des vieux poëtes, il leur emprun

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tait quelques-unes de ces vieilles formes elliptiques, où le verbe fait presque défaut.

Raynouard, affligé et triste des places vides que la mort laissait chaque jour à côté de lui, et sentant sa santé s'altérer de plus en plus, mourut à Passy le 27 octobre 1836. Son convoi nous a laissé une impression triste. L'auteur des Templiers était, depuis trente ans, membre de l'Académie, dont il pouvait passer, ainsi qu'on l'a fort bien dit, pour la loi vivante. Toujours associé à ses travaux, il avait formé pour elle la collection complète des œuvres des académiciens depuis la fondation. Eh bien! nous le disons à regret, quatre membres seulement assistèrent à cette cérémonie dernière. Encore M. de Pongerville, directeur, et M. Villemain, secrétaire perpétuel, y étaient-ils désignés par leur charge. On assure qu'un des deux autres membres, habitant Passy (Michaud), et qui sait aiguiser tout l'esprit mordant du XVIIIe siècle sous le couvert des convictions politiques d'une autre époque, ne put s'empêcher de dire en voyant ce nombre de quatre : « Il ne nous manque qu'un zéro pour être au complet. » Le premier corps littéraire d'Europe avait-il oublié son ancien secrétaire perpétuel au milieu des travaux d'érudition qui ont occupé exclusivement toute la dernière partie de sa vie, et voulut-il le punir sur sa tombe de cette prédilection pour l'Académie des Inscriptions, dont les membres ont assisté en grand nombre aux obsèques de leur confrère assidu? Nous ne savons. Mais quand Raynouard, il y a quelques mois, devinant sa fin prochaine, insista pour faire accepter à son ami, M. de Pongerville, la présidence de l'Académie française, ne pressentait-il pas cette triste indifférence? ne voulait-il pas au moins qu'une voix aimée retentît sur sa tombe? Nous serions presque tenté de le croire.

Jusqu'ici et à dessein, nous n'avons guère été que simple narrateur. Nous convient-il en effet, à nous qui n'avons connu Raynouard que dans les derniers temps, de tracer le portrait de cette nature rude au dehors, peu faite au monde, un peu rugueuse en ses contours, mais bonne et facile sous l'écorce, et

cachant aux secrets replis une sensibilité d'autant plus vive, qu'elle était conservée et refoulée à l'intérieur, sans jamais percer ce qu'il y avait de sauvage et d'inculte dans l'enveloppe?

Comme homme privé, il possédait ce dévouement inviolable en amitié, cette sincérité d'enfant, cette religion du devoir, ce langage mâle et bref, ces reparties tranchées, ce caractère tout en dehors, qu'un grand critique note chez Corneille. Vif et sans hésitation dans ses mouvements comme dans ses actions, là il rompt subitement un mariage noué, à cause d'une crème demandée d'un ton de colère; ici, avec une aussi prompte et aussi irrévocable résolution, il donne, sans cause apparente, sa démission de sécrétaire perpétuel. Jamais il ne regretta ces dernières fonctions, et récemment encore, a dit une voix éloquente sur sa tombe, il se félicitait que son brillant héritage fût passé entre des mains faites pour en augmenter l'éclat. Philosophe pratique, rempli de franchise et de simplicité dans ses conseils littéraires, facile aux jeunes gens, et plein d'obligeance, sans démonstration vaine, Raynouard vivait depuis longtemps loin du monde, adonné aux travaux d'érudition, auxquels il se mettait avant le jour, ce qui le renvoyait au sommeil à l'heure où nos soirées commencent. On ne l'y rencontrait jamais. C'est à peine si dans les premiers temps il avait fréquenté les dîners de Cambacérès, qu'il connaissait d'autrefois. Il vit cependant, vers 1815, Mme de Staël, et ses Mémoires contiennent le récit fort curieux de cette entrevue piquante avec l'auteur de Corinne. M. Guérard lui a aussi entendu raconter avec infiniment d'esprit un voyage d'agrément (l'unique sans doute de sa vie) où les couplets, l'impétueuse gaieté et la boutade provençale si incisive ne firent point défaut.

Érudit, Raynouard mit toujours autant de franchise dans ses systèmes que de persévérance dans ses travaux. Les contradictions ne le fachaient pas, et en fait de discussions scientifiques il disait : « Tirez des étincelles des cailloux, tant que vous voudrez, mais ne vous les jetez pas à la tête. » Poëte, il avait cette manière forte et simple, solennelle et sobrement arrêtée, qui

le séparait de l'école descriptive de l'Empire. Sa poésie, pourtant, était de celles qui se lient en quelque sorte à un certain mouvement du sang, à la chaleur et au nerf de la jeunesse. Plus tard il se retira absolument vers l'érudition et les travaux sévères. Après avoir, à son beau moment, éclaté avec l'accent sonore de l'hémistiche cornélien, après avoir déployé la vigueur serrée, le coup de fouet, comme il disait avec son accent provençal fortement prononcé, son talent se sépara du public par une austère réserve, par une noble susceptibilité; il se mit sous la rémise, ainsi qu'il disait encore, pour ne plus s'adresser à la foule, mais aux hommes rares et sérieux que préoccupe l'histoire du passé. -- A propos d'accent provençal, Daunou disait que Raynouard en avait l'esprit rude, de même que Sieyes, dans son parler agréable, en avait l'esprit doux.

En mourant, Raynouard laisse presque la dernière place vide parmi ces écrivains laborieux et infatigables comme dom Bouquet, Ducange, Godefroy, et dont Daunou, peut-être, fut le dernier et vénérable représentant. Pour le travail, en ajoutant la sagacité, c'était le Daru de la science littéraire. Avec la vie brisée, répandue et sans suite, comme elle le devient de plus en plus en ce siècle, les grands monuments paraissent presque impossibles à édifier. Y a-t-il beaucoup d'écrivains de notre époque dont on pourrait dire à la fois comme de Raynouard : Il a reconstruit une langue, il a produit la dernière tragédie française, et, avec un caractère désintéressé et intègre, il a défendu la liberté?

MICHAUD.

RÉCEPTION DE M. Flourens a L'ACADÉMIE FRANÇAISE.'

M. Michaud était un des plus malicieux causeurs de notre temps, et, s'il avait jamais pu deviner que M. Flourens lui succéderait à l'Académie française, nous aurions quelques mots piquants de plus. Ce n'est pas que M. Michaud eût le droit d'exiger qu'on fût excellent orateur. Il racontait lui-même, avec cette fine bonhomie qui donnait tant de charmes aimables à son commerce, que, nommé, en 1815, à la chambre des députés par le département de l'Ain, il avait voulu monter à la tribune, et était resté court. L'échec était déconcertant, et M. Michaud se crut perdu. Mais, en avouant sa déconvenue, il ajoutait : « J'avais tort... Bon, s'écrièrent les autres, celui-là ne parlera pas, et c'est de ce jour que data mon crédit. »

(1) Voir Revue de Paris, 5 décembre 1840.

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