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A la même1.

Je suis assez satisfaite que vous fassiez semblant de me vouloir voir je vous garderai ce respect de ne vous prendre point au mot. Mais, ma très chère, imaginez-vous que Mme d'Aiguillon vit hier Mile de Bourbon, et que je tire de là cette conséquence nécessaire que l'on ne craint jamais de voir ceux que l'on aime. Je voudrois avoir donné beaucoup pour votre intérêt, et que cela ne fût point arrivé.

A la même2.

Je suis ravie de voir que la plus honnête personne du monde ait pris une fois dans sa vie une raillerie de mauvais biais; car si cela m'arrive jamais, je me sauverai par un si bel exemple, et, s'il ne m'arrive point, j'en tirerai une grande vanité. Enfin, ma belle mignonne, quand vous devriez être plus mal satisfaite de cette lettre que de l'autre, il faut que je vous die que votre colère est un reste de cette humeur que vous aviez du temps de la première présidente de Verdun, et qu'elle a si peu de rapport à tout ce que vous êtes maintenant, que j'ai fait jurer cent fois Voiture pour croire ce qu'il me disait; et à l'heure qu'il est, il vient de me venir à l'esprit que vous me voulez attraper tous deux. Je ne vous dis point, pour me justifier, des raisons que j'avais préparées; elles sont trop claires pour que vous ne les

1. Sur le même sujet. M. de Sablé ayant répondu par une lettre aigredouce, en personne qui prend assez mal la leçon, Me de Rambouillet, dans cette réplique, change de ton et devient plus sévère, quoique toujours polie.

2. Entre le second billet et celui-ci, M. de Sablé, prenant à deux mains son courage, avait été voir la convalescente mais elle avait sur le cœur les deux lettres qu'on vient de lire, et Voiture, dans une visite à l'hôtel de Rambouillet, s'était fait l'interprète de son mécontentement.

3. Charlotte du Gué, première femme de Nicolas de Verdun, premier président du parlement de Paris.

4. Nous jouer tous les deux par une fâcherie simulée.

voyiez pas comme moi. Bonsoir, j'en dormirai en repos, ce que je n'aurais pas fait, si mon esprit ne se fût ouvert à la fourbe que vous me voulez faire'. Mme la princesse 2 m'a dit ce soir qu'elle vous a des obligations très grandes du soin que vous avez eu de Mme sa fille 3.

1. Façon adroite de donner à tout ce qui s'est passé un air de plaisanterie, pour terminer cette petite querelle.

2. Charlotte de Montmorency, princesse de Condé, mère de M. de Bourbon et du grand Condé.

3. C'est-à-dire, de la visite que M. de Sablé s'était enfin décidée à faire.

MADEMOISELLE DE SCUDÉRY

(1608-1701)

Madeleine de Scudéry naquit au Havre, d'une famille noble, originaire de Provence. Orpheline à six ans, et sans fortune, elle fut recueillie, avec son frère Georges, par un oncle qui les éleva paternellement et leur fit donner une éducation très soignée. Vers sa vingtième année, elle vint retrouver à Paris son frère, qui, après avoir quelque temps servi dans les armées du roi, avait embrassé la carrière d'auteur, et déjà s'était fait quelque renom par ses premiers écrits. Dès 1630, tous deux comptaient parmi les habitués de l'hôtel de Rambouillet, et Madeleine surtout y trouvait faveur par son humeur aimable, ses lumières et son bien dire. Avant même qu'elle eût rien publié, Chapelain écrivait d'elle, dans une de ses lettres : « Il faut avouer que c'est une des plus spirituelles et tout ensemble des plus judicieuses filles qui soient en France. Elle sait très bien l'italien et l'espagnol; elle fait très passablement des vers; elle est très civile et de très exquise conversation. Enfin, ce serait une personne accomplie, si elle n'était un peu beaucoup laide mais vous savez que nous autres philosophes nous ne connaissons de vraie beauté que celle de l'âme, qui ne passe point, et qu'un jour Mlle de Scudéry aura la consolation de voir Mme de Montbazon aussi peu belle qu'elle. » (A Balzac, 10 avril 1639.) La grande réputation vint à l'excellente demoiselle aussitôt qu'elle eut commencé à publier ses romans (Ibrahim ou l'Illustre Bassa, le Grand Cyrus, la Clélie), ou du moins à les avouer pour siens, car ils virent d'abord le jour sous le nom de son frère, qui, sans doute aussi, y collabora quelque peu pour le plan et le tissu de l'action. La brillante fortune de ces compositions se soutint durant longues années, même auprès de délicats esprits et de très graves lecteurs. Mme de Sévigné, en 1671, donnait encore place au Cyrus parmi les livres qui charmaient sa solitude des Rochers; l'évèque

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de Tulle, Mascaron, écrivait à l'auteur, vers le même temps : L'occupation de mon automne est la lecture de Cyrus, de Clélie, d'Ibrahim. J'y trouve tant de choses propres pour réformer le monde, que je ne vous fais point difficulté de vous avouer que, dans le sermon que je prépare pour la cour, vous serez très souvent à côté de saint Augustin et de saint Bernard. » (12 octobre 1672.)

Grande aussi et de longue durée fut la vogue des Samedis, de ces soirées hebdomadaires dans lesquelles, à partir de 1652, Mile de Scudéry réunissait en sa modeste demeure du Marais (rue de Beauce) ses amis, des auteurs ses confrères, des académiciens, et tout un monde choisi de bourgeoisie lettrée, auquel se joignaient de temps en temps quelques grands seigneurs et quelques nobles dames; sorte d'hôtel de Rambouillet au petit pied, et, à vrai dire, moins un salon qu'un bureau d'esprit, où fleurissait et s'épanouissait à l'aise en badinages de tout genre le précieux, qui dans les divertissements de l'illustre hôtel ne s'était introduit qu'à dose modérée.

La Muse du Marais, comme on disait alors, vécut longtemps, assez pour assister au déclin de sa gloire de romancier, et pour voir le public se ranger enfin, ou peu s'en faut, à l'avis de Boileau sur le compte de ses fictions. Sa vieillesse ne fut pas trop affectée de ce revers, consolée qu'elle était par de fidèles et très honorables amitiés, par les pensions du roi, et par l'universel témoignage de l'estime qu'inspiraient, même aux censeurs de ses écrits, l'élévation de ses sentiments, la bonté de son cœur et la dignité de sa vie. Elle mourut en 1701, âgée de 93 ans.

Son principal ouvrage, le Grand Cyrus, en dix tomes, est l'histoire des nobles et pures amours du héros persan et de la princesse Mandane, sa cousine, amours traversées par toutes sortes d'oppositions, d'infortunes, de catastrophes, rivalités, combats, rapts successifs, incendies, etc. Le tout se complique des histoires particulières que les moindres personnages eux-mêmes narrent pour leur propre compte avec complaisance. Ces récits, qui nous paraissent fastidieux, auraient sans doute moins attaché les contemporains, si le Cyrus ne leur avait présenté qu'un long tissu d'aventures romanesques. Ils y trouvaient encore autre chose.

Cyrus n'est pas Cyrus, Mandane n'est pas Mandane, les autres personnages ne sont, comme eux, que des prête-noms ou des masques. Ce monde qui s'agite à Ecbatane ou à Babylone, et qui dans l'intervalle des événements, assez espacés, de l'action, passe son temps tout à loisir en conversations prolongées, c'est le monde même où vivait l'auteur, c'est la cour d'Anne d'Autriche, ou l'hôtel de Rambouillet, ou même le cercle de la rue de Beauce. On se rend compte de l'intérêt que pouvait offrir au public de Mlle de Scudéry une collection de portraits élégamment tracés, et une suite d'entretiens où l'on disserte à qui mieux mieux, et très délicatement, non seulement sur la belle galanterie, mais sur toutes sortes de questions se rapportant à la morale des honnêtes gens. Même aujourd'hui, à condition de ne pas trop se choquer de cet amalgame d'histoire et de roman, de peintures modernes et de souvenirs antiques, de figures françaises et de noms persans, on peut encore trouver quelque saveur à ce singulier livre, écrit d'ailleurs avec un talent incontestable. Néanmoins, la teinte de beauté trop uniforme répandue sur tous ces portraits par les complaisances de l'auteur pour les modèles, l'ingéniosité quintessenciée et la prolixité des conversations, les interminables échanges de compliments entre interlocuteurs, l'allure trop lente d'un style où la pensée s'étend et se développe à l'aide d'une prodigieuse consommation de car, d'en effet, de joint que, d'encore que, ne tardent guère à lasser la curiosité et à décourager l'attention. Il arrive assez vite que le livre échappe des mains du lecteur menacé d'assoupissement, ou qu'il le rejette d'impatience, en murmurant quelqu'une des sorties irritées de Boileau. Pour goûter encore Mlle de Scudéry, et demeurer juste à son égard, il est nécessaire de ne la lire qu'à petites doses et par extraits.

...

De l'instruction des femmes.

Je voudrais bien que toutes les personnes qui sont ici examinassent si en effet il serait bien que les femmes en général sussent plus qu'elles ne savent. Ah! pour cette question, je pense qu'elle est aisée à résoudre, car il faut que j'avoue, qu'en

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