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Le départ.

A M. A. DE L***1.

Quel est donc le secret de mes vagues alarmes?
Est-ce un nouveau malheur qu'il me faut pressentir?
D'où vient qu'hier mes yeux ont versé tant de larmes
En le voyant partir?

La nuit vint... et j'errais encor sur son passage.
Regardant l'horizon où l'éclair avait lui;
Sur la route, de loin, je vis tomber l'orage,
Et je tremblai pour lui.

J'aimais à contempler cette lueur ardente
Qu'il voyait comme moi dans le ciel obscurci,
A sentir sur mon front cette pluie abondante
Qui l'inondait aussi.

J'allai, cherchant un être ému de ma souffrance,
Interroger les yeux de son départ témoins...
Mais lui!... n'était pour eux, dans leur indifférence,
Qu'un voyageur de moins.

Nos amis m'attendaient au seuil de ma demeure;
Je lus dans leurs regards un reproche jaloux.
« L'ingrate! disaient-ils, elle souffre, elle pleure
Et ce n'est pas pour nous! »

Cependant pour tromper son âme généreuse,
J'ai caché ma douleur sous l'adieu le plus froid...
Pourquoi de son départ être si malheureuse?...

Je n'en ai pas le droit.

-

1. M. Alphonse de Lamartine. Il semble d'après l'émotion de ces vers, non datés, que le poète partait pour une longue absence.

Peut-être pour son voyage

d'Orient.

1

Quel est ce sentiment, ce charme de s'entendre,
Qui, montrant le bonheur, le détruit sans retour...
Qui dépasse en ardeur l'amitié la plus tendre...
Et qui n'est pas l'amour?

C'est l'attrait de deux cœurs, exilés de leur sphère,
Qui se sont d'un regard reconnus en passant,
Et que, dans les discours d'une langue étrangère,
Trahit le même accent.

Tels, voguant loin des bords d'une terre chérie, Deux navires perdus entre le ciel et l'eau, Reconnaissent leurs vœux, leurs destins, leur patrie, Aux couleurs d'un drapeau.

Noble et sainte union, en délices fertile!...
Pour nos cœurs fraternels rêvant le même bien,
Le champ de la pensée est un commun asile,
Et la gloire, un lien.

On parle à son ami des chagrins de la terre;
On confie à l'amour le secret d'un instant;
Mais, au poète aimé, l'on redit sans mystère
Ce que Dieu seul entend!

Aux jeunes filles.

Que vous dirai-je, moi, mes douces jeunes filles,
A vous qu'on voit régner au sein de vos familles,
Fières de vos beaux ans, riches de tant d'espoir?...
Hélas! ce que je sais est si triste à savoir!
Car le dégoût s'acquiert avec l'expérience,
Le désenchantement est toute ma science.

Quand je vous vois, je pleure, et mon cœur envieux
Sent, par tous ses regrets, comme il est déjà vieux.
Pas une illusion ne vit dans ma pensée...

Quoi! vous voulez quitter pour ce temps de misère1
Vos plaisirs de seize ans sous l'aile d'une mère,
Vos rêves sans objet, vos désirs sans combats,
Vos rires et vos jeux... Oh! ne les quittez pas !
Ne venez pas encor dans la cité des femmes;
Prolongez vos beaux jours, gardez jeunes vos âmes;
Aimez les papillons, les oiseaux et les fleurs;
Ces amours-là n'ont point de tragiques douleurs.
Jouez, courez, chantez, dites mille folies;
Occupez-vous surtout de paraître jolies;

Plaire est plus qu'un besoin, c'est un devoir urgent2;
Et l'on plaît sans beauté, je dis plus, sans argent.
L'éclat ne dépend pas d'une riche toilette;

Avec économie on peut être coquette:
Apprenez à former les bouquets et les nœuds,
Apprenez à tresser vous-mêmes vos cheveux,
A tailler avec goût vos légères mantilles;
Mais ne composez point vos mines si gentilles,
Ne faites point la dame aux grands airs triomphants;
Ne vous vieillissez point; restez, restez enfants.
Quoi! se vieillir! à peine aux berceaux échappées,
Pour être, un jour plus tôt, jalouses et trompées,
Pour voir, un jour plus tôt, s'effacer sans retour
Vos rêves parfumés d'ignorance et d'amour!
Ah! je les ai connus ces rêves de l'aurore,
Ces fleurs de l'avenir qu'on ne voit point éclore.

1. La vie, dont elle vient de dire en quelques mots les déceptions. 2. Badinage innocent: le, Restez enfants, qui suit, le fait assez voir.

Comme vous, je livrais au souffle du printemps
Un front pur et serein et des cheveux flottants;
Comme vous me fiant à ses folles promesses,
De l'été qui venait j'attendais les richesses;.
Comme vous j'ai souri, comme vous j'ai chanté...
Et puis j'ai vu venir l'orage avec l'été;
Et les vents furieux ont chassé le nuage
Où de mon idéal se dessinait l'image...

Enfin je n'ai trouvé dans le bonheur promis Qu'amertume et regrets, que tristesse profonde; Et je les donnerais, tous ces succès du monde, Ces faveurs qu'on envie et qu'il faut acheter, Pour les naïfs plaisirs que vous voulez quitter.

La nuit.

Voici l'heure où tombe le voile
Qui, le jour, cache mes ennuis:

Mon cœur à la première étoile
S'ouvre comme une fleur de nuit.

O nuit solitaire et profonde,
Tu sais s'il faut ajouter foi
A ces jugements que le monde
Prononce aveuglément sur moi.

Tu sais le secret de ma vie,
De ma courageuse gaieté;
Tu sais que ma philosophie
N'est qu'un désespoir accepté.

Pour toi, je redeviens moi-même;

Plus de mensonges superflus;

Pour toi, je vis, je souffre, j'aime,
Et ma tristesse ne rit plus.

Plus de couronne rose et blanche,
Mon front pâle reprend son deuil,
Ma tête sans force se penche
Et laisse tomber son orgueil.

Mes larmes, longtemps contenues,
Coulent lentement sous mes doigts,
Comme des sources inconnues
Sous les branches mortes des bois.

Après un long jour de contrainte,
De folie et de vanité,

Il est doux de languir sans feinte
Et de souffrir en liberté1.

Oh! oui, c'est une amère joie
Que de se jeter un moment,
Comme une volontaire proie,
Dans les serres de son tourment;

Que d'épuiser toutes ses larmes,
Avec le suprême sanglot,

D'arracher, vaincue et sans armes,
Au désespoir son dernier mot.

Alors la douleur assouvie

Vous laisse un repos vague et doux;

1. Ce n'est pas là un lieu commun poétique de désenchantement. On sent dans cette pièce, une des dernières sans doute que Mm de Girardin ait écrites, une lassitude de la vie, une fatigue du rôle à soutenir, une tristesse vraie (V. aussi les aveux mélancoliques de la pièce précédente). Les plus brillantes existences ont leurs déceptions secrètes et leurs heures de dégoût. Jeune fille, Mae de Girardin avait rêvé plus de gloire, un autre renom, peut-être aussi plus de bonheur intime qu'elle n'en trouvait dans la sienne. Quoi qu'il en soit, cette Nuit est une de ses meilleures pièces, si ce n'est la meilleure de toutes.

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