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Elle est pure et charmante, et vous la dites bien.

La voix est faible encor; mais c'est Dieu qui l'écoute!
Un faible accent vers lui sait trouver une route;

Il entend un soupir; il ne dédaigne rien.

Et maintenant dormez. Leurs mains entrelacées
Semblent lier encore leurs naïves pensées.

Hélas! ces cœurs aimants qu'elles viennent d'unir,
Ne les séparez pas, mon Dieu, dans l'avenir!

Ils dorment. Qu'ils sont beaux! que leur mère est heureuse!
Dieu n'a pas oublié ma plainte douloureuse;

Sa pitié m'écouta. Tout ce que j'ai perdu,

Sa pitié, je le sens, me l'a presque rendu!

Sommeil, ange invisible aux ailes caressantes,
Verse sur mes enfants tes fleurs assoupissantes;
Que ton baiser de miel enveloppe leurs yeux,
Que ton vague miroir réfléchisse leurs jeux.
Au pied de ce berceau, que mon amour balance,
Fais asseoir avec moi l'immobile silence.

Ma prière est sans voix, mais elle monte encor :
Dieu, bénissez ma nuit! Dieu, gardez mon trésor!

A mes enfants.

Oui, nous allons encore essayer un voyage1.
Avril est né d'hier, il vole au fond des bois :
Doux Avril! on entend partout sa jeune voix,
Partout ses doigts légers déroulent le feuillage:
La nature s'habille; il faut prendre l'essor.

A l'ombre de ma vie abritez votre sort;

1. M. Desbordes-Valmore allait quitter, avec sa jeune famille, Lormont, acx environs de Bordeaux, où elle avait passé quatre heureuses années.

Innocents pèlerins, suivez ma destinée.
Dans la vôtre, que Dieu rende plus fortunée,
Allez cueillir des jours libres et triomphants :
Moi, je bénis les miens: vous êtes mes enfants!
Le mortel le plus humble est fier de son ouvrage;
Combien ce tendre orgueil m'a donné de courage!
Oh! que de fois, sensible et vaine tour à tour,
J'ai pensé qu'une reine envierait ma fortune!
Et je plaignais la reine en sa gloire importune :
Elle est à plaindre; elle a d'autres soins que l'amour.

Sur son enfant qui dort ces grilles formidables,
Ces gardes sans sommeil, à l'œil toujours ouvert,
Ces hommes habillés de fer,

Disent que les palais sont des lieux redoutables.
Ses baisers maternels par jour lui sont comptés;
Jamais sans des témoins son cœur ne se déploie;
Et tous ses mouvements de tristesse ou de joie
Sous son manteau de reine expirent arrêtés.
Elle n'a que ses yeux pour répandre son âme,
Pour caresser l'objet de ses pures douleurs;
Son enfant l'appelle : « Madame! »
Et Dieu seul voit tomber ses pleurs.

Moi, par le monde errante, et partout étrangère,
A vos berceaux de mousse à la hate formés,
Seule, ardente à veiller mes amours tant aimés,
J'ai trouvé l'heure agile et ma tâche légère.
Et vous, enveloppés de pavots frais et purs,
Vous livrez votre vie à ma garde attentive:

Vos doux jeux me rendent captive,

Vos rêves ne sont pas moins sûrs. Confiants, vous dansez, quand votre mère chante; Son baiser vous délasse et vous mène au sommeil,

Sans prévoir que souvent la voix qui vous enchante
Va prier dans les pleurs jusqu'à votre réveil.

Je vous couvais encore, ô ma jeune famille,

Quand j'emportai vos jours loin d'un ciel sans chaleur, Et je sentais naître ma fille

Dans mon sein tout blessé des flèches du malheur.

Vous partagiez déjà mon errant esclavage,
Dociles émigrés! faibles, tremblants et doux,
A peine éclos sur le rivage,

Vos mobiles destins s'envolaient avec nous.
Que ne peut-on fixer votre trace légère,
Votre audace riante, à la crainte étrangère,
Age heureux! courts instants des naïves erreurs,
Inhabile aux soupçons, aux jalouses fureurs!
Moi seule, en vous berçant d'amour, de mélodie,
Je vous inoculai ma douce maladie.

Déjà vous bégayez d'imparfaites chansons,

Et vos voix et vos cœurs vibrent de mes leçons.
De ce peu que je sais je vous instruis moi-même :
Je vous aide à m'aimer autant que je vous aime;
Je vous aide à chercher les mots les plus touchants
Pour charmer votre père, attendri de vos chants.
Je vous dis : « Aimez Dieu, car lui seul nous protège,
Lui seul vous aime, enfants, comme si les grandeurs
A vos fronts ingénus attachaient leurs splendeurs :
Il prête sa lumière à notre humble cortège;
Et pour nous soutenir sur les bords du chemin,
Devant nous il étend son invisible main. »

Il faut partir. Ce toit qu'il fut doux d'habiter,
Qui nous couvrit l'hiver, il faut donc le quitter!
Toujours quelque lien se rompra dans l'absence!
Je suis comme le lierre arraché malgré lui :

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J'aimai si longtemps la présence

De ce que je quitte aujourd'hui!

Quoi! toujours effleurer des rives orageuses!
Quoi! poursuivre sans cesse un fuyant horizon!
Qui n'a quelque pitié des brebis voyageuses
Laissant à chaque haie un peu de leur toison?
Oh! que de fils brisés dans ma trame affaiblie!
Que d'adieux recélés dans le fond de mon cœur;
Déjà je sais comment fuit le bonheur;
Je ne sais pas comme on l'oublie.

Aux coteaux de Lormont j'avais légué ma cendre :
Lormont n'a pas voulu d'un fardeau si léger;
Son ombre est dédaigneuse au malheur étranger;
Dans la barque incertaine il faut donc redescendre.
Venez, chers alcyons, pressez-vous sur mon cœur,
Jetez un tendre adieu vers la rive sonore :

Je le sens, quelque vœu nous y rappelle encore;
Quelque regard nous suit, plein d'un trouble rêveur.
Adieu... ma voix s'altère et tremble dans mes larmes;
Enfants, jetez vos voix sur l'aile des zéphyrs:

Dites que j'ai pleuré, dites que mes soupirs
Retourneront souvent à ces bords pleins de charmes.
Là, de quatre printemps j'ai respiré les fleurs:
Ainsi partout des biens, ainsi partout des pleurs!

Montaigne.

A travers les vieux pins qui peuplent la campagne,
Des pas qu'on n'entend plus sont restés imprimés;
Je crois suivre les pas du paisible Montagne,
Je crois saisir dans l'air ses accents ranimés.
Aux lèvres des vieillards je cherche son sourire,

Sa railleuse vertu, sa facile pitié,

Ces préceptes du cœur que son cœur sut écrire,
Et son amour pour l'amitié.

Que ce livre est beau! que je l'aime!
Le monde y paraît devant moi :
L'indigent, l'esclave, le roi,

J'y vois tout; je m'y vois moi-même.

Bords heureux! de sa cendre il vous iégua l'honneur;
Tout ce qu'il cultiva, nous instruit, nous attire,
Et les fruits que l'on en retire

Ont un goût de sagesse, un parfum de bonheur.
Il est doux, en passant un moment sur la terre,
D'effleurer les sentiers où le sage est venu,
D'entretenir tout bas son malheur solitaire
Des discours d'un ami qu'on pense avoir connu.

Extrait de la pièce le Retour à Bordeaux.

A mon fils avant le collège.

Un soir l'àtre éclairait notre maison fermée,
Par le travail et toi doucement animée;
Ton aïeul tout rèveur te prit sur ses genoux;

Il n'a jamais sommeil pour rêver avec nous.

Il parla le premier de départ, de collège,
De travaux, de la gloire aussi qui les allège,
Content d'avoir été jeune, un jour, comme toi,
Emmené par sa mère... Il le disait pour moi.

Sur quoi me voyant coudre un manteau de voyage
Il m'embrassa deux fois pour louer mon courage,
Et toi, voyant qu'à tout je n'opposais plus rien,
Tu répondis: « Allons, mère, je le veux bien! >>

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