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jolie. Je lui répondis qu'elle allait bien avec le reste du jardin. Ce n'était pas en faire un grand éloge, car il est affreux : c'est l'ancien genre français, dans toute son aridité, du buis, du sable et des arbres taillés. La maison est superbe, mais on la voit tout entière. Elle ressemble à un grand château renfermé entre quatre petites murailles, et ce jardin, qui est immense pour Paris, paraissait horriblement petit pour la maison. Cette volière toute dorée était du plus mauvais goût. Adèle me demanda si j'avais de beaux jardins, et surtout des oiseaux. « Beaucoup d'oiseaux, lui dis-je; mais les miens seraient malheureux, s'ils n'étaient pas en liberté. » J'essayai de lui peindre ce parc si sauvage que j'ai dans le pays de Galles: cela nous conduisit à parler de la composition des jardins. Elle m'entendit, et pria son mari de tout changer dans le leur et d'en planter un autre sur mes dessins. Il s'y refusa avec le chagrin d'un vieillard qui regrette d'anciennes habitudes; mais dès que je lui eus rappelé les campagnes qu'il avait vues en Angleterre, il se radoucit. Les souvenirs de sa jeunesse ne l'eurent pas plus tôt frappé, qu'il me parla de situations, de lieux qu'il n'avait jamais oubliés; et bientôt il finit par désirer aussi que toutes ces allées sabléesfussent changées en gazons. Ils exigèrent donc que je vinsse le lendemain, dès le matin, avec un plan qui pût être exécuté très promptement ainsi me voilà créé jardinier, architecte, et, comme ces messieurs, ne doutant nullement de mes talents. ni de mes succès. Adieu, mon cher Henry.

...

Aděle de Sénange.

Les dimanches d'une famille d'émigrés.

Si la famille éprouvait encore des jours d'abattement, il en était bien plus où leur esprit s'égarait dans de flatteuses illusions. Alors ils croyaient déjà toucher au retour de leur fortune. Que de projets ils formaient pour en jouir plus sagement, et pour ne jamais oublier la leçon du malheur !

Le dimanche, car avec le travail ils connurent le prix des jours de repos, ils allaient en famille se promener dans la campagne. On était au milieu de l'été; la longueur des jours qui, dans le Nord, laisse à peine sentir la nuit, leur permettait de prolonger leurs courses au loin.

M. de Revel1, dans la vue de distraire sa famille, se plaisait à lui faire admirer les riches pâturages du Holstein, les beaux arbres qui bordent la Baltique, cette mer dont les eaux pâles ne different point de celles des lacs nombreux dont le pays est embelli, et ces gazons toujours verts qui se perdent sous les vagues. Ils étaient frappés de cette physionomie étrangère que chacun trouve à la nature dans les climats éloignés de celui qui l'a vu naître. La perspective riante du lac de Ploen les faisait en quelque sorte respirer plus à l'aise. Ne possédant rien à eux, ils apprirent, comme le pauvre, à faire leur délassement d'une promenade, leur récompense d'un beau jour, enfin à jouir des biens accordés à tous.

Toutes les semaines étaient semblables elles ramenaient toutes un travail nécessaire, mais que l'habitude commençait à rendre moins fatigant, des privations qui s'étendaient sur tous les détails de la vie, et dont aucun d'eux n'osait se plaindre, dans la crainte de les faire sentir plus vivement aux autres. Ils supportaient chacun leurs peines sans laisser échapper un murmure; on voyait qu'ils se disaient: Dieu préserve ma famille d'en souffrir comme moi!

Cependant il y avait déjà longtemps qu'ils n'avaient reçu de lettre d'Edmond', et depuis il n'avait pas écrit. Leurs espérances s'affaiblissaient, et ils tombaient dans le découragement. M. de Revel crut devoir leur procurer une nouvelle distraction. Un dimanche, il loua, pour la journée, une de ces petites voitures d'osier à l'usage des gens de la campagne.

1. Après bien des traverses et plus d'un changement d'exil, la famille de M. de Revel s'est arrêtée à Kiel.

2. Edmond de Revel, cousin de M. de Revel et mari de sa fille Mathilde: à l'armée des princes, à cet endroit du récit.

Ils allèrent voir le lac d'Eutin célébré par les voyageurs. Ce lac est encaissé au pied de hautes montagnes couvertes d'arbres antiques, dont les ombres se prolongent sur la surface des eaux. Tout ce lieu a une teinte sombre, un aspect solennel. La famille, assise au bord du lac, contemplait ce site romantique dans une sorte de recueillement. Les sentiments dont leur cœur était plein se réveillèrent avec plus de force.

Absorbés dans leurs rêveries, ils ne se parlaient plus, lorsque M. de Revel, effrayé de la tristesse qui s'emparait de lui, releva la tête tout à coup. Il remarqua qu'Eugénie et Mathilde, rapprochées l'une de l'autre, éprouvaient les mêmes impressions, qu'elles se serraient les mains et pleuraient; il était facile de juger qu'elles pensaient à Edmond et à Ladislas : « Venez, mes enfants, dit M. de Revel en se levant, venez, nous les reverrons. » Eugénie et Mathilde.

MADAME DUFRÉNOY

(1765-1825)

Mme Dufrénoy a pris, au commencement de ce siècle, parmi les élégiaques français, une place que le temps ne lui a point encore enlevée, et qu'il semble devoir respecter. Un refrain de Béranger, à sa gloire, a eu de longs échos :

Veille, ma lampe, veille encore,

Je lis les vers de Dufrénoy.

Ce refrain chante encore dans bien des mémoires. Elle ne pouvait donc demeurer absente d'un recueil à l'une des pages duquel a dû figurer Mmo Des Houlières.

Née à Paris, au cœur de la Cité, près de la maison où Boileau 1 vint au monde, elle était fille d'un grand joaillier, enrichi dans sa profession, homme d'esprit, d'habitudes élégantes et hospitalières, dans les salons duquel elle acheva une éducation commencée au couvent. Dans ses lectures et ses études de jeune fille, elle montrait un goût passionné pour les œuvres de nos poètes, et de bonne heure osa se jouer elle-même sur les traces de quelques-uns d'entre eux, aidée des conseils d'un lettré alors en renom, Louis Laya. A seize ans, elle fut mariée à un riche magistrat, procureur au Châtelet, qui volontiers partageait sa vie entre le monde et les affaires. Tout semblait donc lui promettre une existence d'heureux loisirs, propice à ses rêves de talent. Mais la Révolution éclata : le procureur au Châtelet perdit sa charge, et ne put même sauver sa fortune; ruiné, ou peu s'en faut, par les événements, il fut contraint d'accepter au loin un très modeste emploi, que, pour comble de disgrâce, il ne put longtemps remplir, étant devenu presque

1. Rue du Harlay,

aveugle. Mme Dufrénoy dut alors improviser de très humbles livres d'éducation pour les libraires, et même, entre temps, se livrer au moins intelligent des métiers de plume, à celui de copiste. Son courage ne faiblissait pas, cependant, et même, à travers ces épreuves, l'instinct poétique chez elle, loin de s'éteindre, devenait plus impérieux et persistait, malgré tout, à s'exercer. Enfin quelques-uns de ses essais, fruits d'une incontestable veine, montrés à des juges compétents et d'âme généreuse, lui attirèrent encouragements et protection efficace. Arnault, le poète, M. de Ségur, l'historien, lui obtinrent du gouvernement impérial une pension, qui, en l'affranchissant d'un ingrat labeur, la rendit à elle-même. Son premier volume de vers, mis au jour en 1807, reçut un accueil également favorable des connaisseurs et du public. En 1815, elle triompha au concours de poésie qui s'ouvre périodiquement devant l'Académie française, et dont le sujet, cette fois, était : Les derniers moments de Bayard. C'était, depuis la fondation du prix, la troisième fois qu'une femme emportait cette couronne1. Mme Dufrénoy vécut jusqu'en 1825. heureuse, dans sa modeste retraite, des amitiés de choix qu'elle y réunissait (Béranger, de Pongerville, Mme Tastu, de Gérando, Camille Jordan, etc.), heureuse surtout des premiers succès d'un fils destiné à une haute fortune scientifique 2.

C'est à ses compositions élégiaques surtout qu'elle a dû la popularité de son nom. Il nous eût été difficile d'en détacher quelque partie pour ce recueil. Cette espèce d'élégie de laquelle Boileau a dit :

Elle peint des amants la joie ou la tristesse,

l'élégie passionnée à la façon de Properce ou d'André Chénier, n'a été, on le comprend sans peine, que rarement abordée par les femmes celles qui, dans ce genre, se sont risquées avec succès sur les traces de Sapho, ont dù renoncer à l'honneur de voir leurs chants les plus applaudis pénétrer dans le sanctuaire de la famille

1. M Des Houlières avait eu cet honneur la première; puis Mile Catherine Bernard à la fin du xvII° siècle.

2. Pierre-Armand Dufrénoy, savant géologue, membre de l'Académie des ciences, directeur de l'École des mines, de 1850 à 1857.

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