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mais il me semble qu'elle serait bien plus utile, si au lieu de les enfermer dans le noviciat à s'instruire de leur règle et à ne savoir leurs obligations qu'en spéculation, elles passaient cette année en fonction des charges qu'elles auront, et surtout dans le gouvernement et l'instruction des enfants, qui est le fondement de leur institut.

Je sais bien qu'il ne faudrait pas aussi les y assujettir si entièrement qu'elles n'eussent le temps des prières, oraisons, silence, actes et conférences; mais on pourrait faire un mélange qui ferait connaître et aux autres et à elles-mêmes de quoi elles sont capables. Occupez-vous de cette affaire-là, je vous prie, puisque vous espérez qu'elle pourra être utile, et que, Dieu et le roi m'en ayant chargée, vous devez m'aider à m'en bien acquitter.

Vous ne pouvez trop en public et en particulier prècher à vos postulantes l'humilité, car je crains que Madame de Brinon ne leur inspire une certaine grandeur qu'elle a; et que le voisinage de la cour, cette fondation royale, les visites du roi, et même les miennes, ne leur donnent une idée de chanoimesses ou de dames importantes, qui ne laisse pas d'enfler le cœur et qui s'opposerait fort au bien que nous voulons faire. Le reste va, ce me semble, fort bien, et il y a une très solide piété dans cette maison-là; mais nous avons à prendre un milieu entre la superbe de notre dévotion et les misères et petitesses des couvents, que nous avons voulu éviter.

A l'abbé Gobelin.

27 juillet 1686.

Il est vrai que j'ai peu de loisir et que je ne passe guère de jour sans aller à Saint-Cyr, du moins une fois; j'espère, s'il

1. On dirait aujourd'hui qu'il ne faudrait pas non plus...

plaît à Dieu, commencer la transmigration1 lundi prochain, et je vous crois averti pour bénir l'édifice le samedi ensuite; après cela, nous aurons un peu plus de tranquillité, et je vous verrai le plus souvent qu'il me sera possible pour profiter de votre conduite et de vos instructions; mais en attendant que je reçoive les vôtres, permettez-moi de vous en donner, et croyez qu'elles ne seront pas moins sincères que celles que j'attends de vous.

Je vous conjure donc de vous défaire du style que vous avez avec moi, qui ne m'est point agréable, et qui peut m'ètre nuisible; je ne suis pas plus grande dame que j'étais à la rue des Tournelles où vous me disiez fort bien mes vérités, et si la faveur où je suis met tout le monde à mes pieds, elle ne doit pas faire cet effet-là sur un homme chargé de ma conscience, et à qui je demande instamment de me conduire sans aucun égard dans le chemin qu'il croit le plus sûr pour mon salut. Où trouverai-je la vérité, si je ne la trouve pas en vous? Et à qui puis-je ètre soumise qu'à vous, ne voyant dans tout ce qui m'approche que respects, adulations, complaisances? Parlez-moi et écrivezmoi sans tour ni cérémonie, sans insinuation, et surtout, je vous prie, sans respect. Ne craignez jamais de m'importuner; je veux faire mon salut, je vous en charge et je reconnais que personne au monde n'a tant besoin d'aide que j'en ai. Ne me parlez jamais des obligations que vous m'avez, et regardez-moi comme dépouillée de tout ce qui m'environne, et voulant me donner à Dieu voilà mes véritables sentiments.

A ane maîtresse des classes de Saint-Cyr

SUR LA LACHETÉ.

1692.

Il est vrai, ma chère fille, que j'ai reproché souvent la lâcheté à Saint-Cyr, et qu'il me parait qu'il y en a beaucoup dans l'es

1. La translation du royal pensionnat, de Noisy-le-Roi à Saint-Cyr.

prit et dans le corps. J'appelle lâcheté cette délicatesse sur les moindres réprimandes, ce découragement qui s'ensuit, ces ménagements qu'on désire, ces récompenses continuelles dès qu'on a fait la moindre partie de son devoir, ce goût pour la dévotion sensible, ces peines quand il faut servir Dieu sans foi et sans goût1, cette envie d'être à son aise sans que rien ne vous coûte, ce chagrin contre soi-même quand on trouve des difficultés à se corriger; je crois, ma chère fille, que voilà une partie de la lâcheté de l'esprit. Venons à celle du corps : cette recherche continuelle des commodités, qui ferait établir des machines qui apportassent toutes choses dont on a besoin sans étendre le bras pour les aller prendre, cette frayeur des moindres incommodités, comme du vent, du froid, de la fumée, de la poussière, des puanteurs, qui fait faire des plaintes et des grimaces comme si tout était perdu, cette lenteur dans l'ouvrage qu'on ne fait que par force et qu'on ne se soucie pas d'avancer, cette indifférence que ce qu'on fait soit bien fait, cette peur d'être grondée qui est la seule chose qui occupe, sans se soucier du bien dans ce qu'on nous confie, ce balayage qu'on aime autant qu'il laisse des ordures que de n'en pas laisser2, pourvu qu'on ne nous en dise rien, le linge mal plié et rangé en désordre, les ouvrages faits avec des gens qui empêchent de les bien faire, ces portes et ces fenêtres mal fermées pour ne pas s'en donner la peine, ce rayon de soleil qui met une classe en désordre, et où les demoiselles courent, soit dans la chambre, ou au chœur, pour leur sauver cette incommodité; cette impossibilité de s'acquitter d'une commission exactement parce qu'on s'en remet à la première

1. Expression du langage religieux. Le goût, en ce sens, est le sentiment de joie intime qui remplit l'âme pieuse dans l'oraison. « J'avoue qu'il peut arriver qu'on soit quelquefois plus touché du goût sensible que l'on a de Dieu, que de Dieu même. Dieu se sert quelquefois des sécheresses pour nous détacher de ce goût.» (BOSSUET, Lettres à Ma de Luynes, cxv.)

2. Les travaux domestiques manuels, et même le balayage, avaient leur place marquée dans la règle de Saint-Cyr. — V. l'Introduction aux Extraits des écrits de Mmo de Maintenon sur l'éducation, par O. GRÉARD, P. XLIII.

3. Et où les demoiselles... Et sous lequel, à cause duquel les demoiselles...

personne qu'on trouve, sans se soucier jamais du fait, cette impatience de ne pouvoir attendre en paix.....

J'étais en bon train, ma chère fille, mais je n'ai pu continuer ma lettre1...; adieu, ma chère fille, je vous donne le bonsoir.

A Mme de Veilhant".

LA VILLE DE DINANT 3.

Dinant, 28 mai 1692.

Imaginez-vous, Madame, qu'après avoir marché six heures. hier dans un assez beau chemin, nous vimes un château bâti sur un roc, qui ne nous parut pas tel que nous pussions nous y loger, quand même on nous y aurait guindés. Nous en approchâmes fort près sans y voir aucun chemin habité; et nous vîmes enfin au pied de ce château, dans un abîme, et comme on verrait à peu près dans un puits fort profond, les toits d'un certain nombre de petites maisons qui nous parurent pour des poupées, et environnées de tous côtés de rochers affreux par leur hauteur et par leur couleur ; ils paraissent de fer, et sont tout à fait escarpés. Il faut descendre dans cette horrible habitation par un chemin plus rude que je ne le puis dire; tous les carrosses faisaient des sauts à rompre tous les ressorts, et les dames se tenaient à tout ce qu'elles pouvaient. Nous descendimes, après un quart d'heure de ce tourment, et nous nous trouvâmes dans une rue qui s'appelle la Grande, et où deux carrosses ne peuvent passer de front; il y en a de petites où deux chaises à porteurs ne peuvent tenir. On n'y voit goutte, les maisons sont effroyables, et Madame de La Villeneuve y aurait quelques vapeurs; l'eau y est mauvaise, les

1. M. de Maintenon était d'autant plus exposée à ne pas finir ses lettres à ses chères filles, qu'elle leur écrivait de partout, à toute heure, souvent dans une chambre encombrée de monde, sur un bout de table, quelquefois accablée de fatigue et mourant de sommeil.

2. Dame de Saint-Cyr, première maîtresse de la classe bleue.

3. Lettre écrite de Dinant, en Flandre, pendant le siège de Namur. Une partie de la cour avait suivi le roi dans cette campagne.

boulangers ont ordre de ne cuire que pour l'armée, de sorte que les domestiques ne peuvent trouver du pain; les poulets en plumes valent trente sous, la viande huit sous la livre 1, et très mauvaise; on porte tout au camp. Il y pleut à verse depuis que nous y sommes, et on assure que, si le chaud vient, il est insupportable par la réverbération des rochers. Je n'ai encore vu que deux églises, elles sont au premier étage, et on n'y saurait entrer, que, par civilité, on ne vous dise un Salut avec une très mauvaise musique, et un encens si parfumé, si abondant et si continuel, qu'on ne se voit plus par la fumée, et il y a peu de têtes qui y puissent résister. D'ailleurs la ville est crottée à ne pouvoir s'en tirer, le pavé pointu à piquer les pieds; et les rues étroites où les carrosses ne sauraient passer, tiennent, je crois, lieu de privés pour tout le monde. Suzon assure que le roi a grand tort de prendre de pareilles villes, et qu'il faudrait ne les pas plaindre aux ennemis.

A la même.

Dinant, 29 mai 1692.

Si on pouvait en conscience souhaiter une religieuse hors de son couvent, je voudrais vous voir pour quelque temps dans les places de guerre par où nous passons présentement, et si on pouvait se changer, je prendrais pour ce temps-là cette humeur martiale qui vous fait aimer la poudre et le canon. Vous seriez ravie, Madame, de ne sentir que le tabac, de n'entendre que le tambour, de ne manger que du fromage, de ne voir que des bastions, demi-lunes, contre-escarpes, et de ne toucher rien dont la grossièreté ne soit fort opposée à cette sensualité au-dessus de laquelle

1. Ce détail est un trait de caractère. Mm de Maintenon avait le goût des choses positives se rapportant au ménage, et s'efforçait de l'inspirer à ses élèves de Saint-Cyr.

2. Ne pas les disputer, ne pas en refuser la possession aux ennemis. - Hélas! ces pauvres gouverneurs, que ne font-ils point pour plaire à leur maitre?... Et on leur plaindra un honneur, une distinction!... On plaindra à ces pauvres genslà une grandeur dont ils font si bon usage! » (SÉVIGNÉ, 6 novembre 1689.)

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