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Hélas! il le sait,
Je ne lui demande
Que ce seul bienfait.
Oui, brebis chéries,
Qu'avec tant de soin
J'ai toujours nourries,
Je prends à témoin
Ces bois, ces prairies,
Que si les faveurs

Du dieu des pasteurs
Vous gardent d'outrages,
Et vous font avoir1
Du matin au soir
De gras pâturages,
J'en conserverai,
Tant que je vivrai,
La douce mémoire,
Et que mes chansons
En mille façons
Porteront sa gloire
Du rivage heureux
Où, vif et pompeux,
L'astre qui mesure
Les nuits et les jours,
Commençant son cours,
Rend à la nature

Toute sa parure,

Jusqu'en ces climats

sur la tête de ses filles. Tel est, traduit en vile prose, l'objet de toute cette bergerie.

1. Ses vers sont aisés, mais prosaïques, » a dit La Harpe, avec trop de raison, de Ma Des Houlières.

2. Une phrase ou périphrase aussi longue, et de cet accent, pour dire, de l'Orient à l'Occident, d'un bout du monde à l'autre, n'est pas dans le ton du reste de cette pièce cela tient du lyrique plus que du bucolique ou de l'élégiaque.

Où, sans doute las
D'éclairer le monde,
Il va chez Téthys

Rallumer dans l'onde

Ses feux amortis1.

Les fleurs.

Que votre éclat est peu durable,
Charmantes fleurs, honneur de nos jardins!
Souvent un jour commence et finit vos destins,
Et le sort le plus favorable

Ne vous laisse briller que deux ou trois matins.
Ah! consolez-vous-en, jonquilles, tubéreuses;
Vous vivez peu de jours, mais vous vivez heureuses.
Les médisants, ni les jaloux

Ne gênent point l'innocente tendresse

Que le printemps fait naître entre Zéphire et vous.
Jamais trop de délicatesse

Ne mêle d'amertume à vos plus doux plaisirs :
Que pour d'autres que vous il pousse des soupirs,
Que loin de vous il folâtre sans cesse,
Vous ne ressentez point la mortelle tristesse

Qui dévore les tendres cœurs,

Lorsque, plein d'une ardeur extrême,
On voit l'ingrat objet qu'on aime,

Manquer d'empressement, ou s'engager ailleurs.
Pour plaire, vous n'avez seulement qu'à paraître :
Plus heureuses que nous, ce n'est que le trépas
Qui vous fait perdre vos appas.

Plus heureuses que nous, vous mourez pour renaître.

1. Image énigmatique : comment des feux peuvent-ils se rallumer dans l'onde?

2. Mème ici, se retrouve l'espèce de grâce subtile et fade où se complait cette muse.

Tristes réflexions, inutiles souhaits!

Quand une fois nous cessons d'être,
Aimables fleurs, c'est pour jamais1!

Mais hélas! pour vouloir revivre,

La vie est-elle un bien si doux?

Quand nous l'aimons tant, songeons-nous
De combien de chagrins sa perte nous délivre?
Elle n'est qu'un amas de craintes, de douleurs,
De travaux, de soucis, de peines.

Pour qui connaît les misères humaines,
Mourir n'est pas le plus grand des malheurs.
Cependant, agréables fleurs,

Par des liens honteux attachés à la vie,

Elle fait seule tous nos soins,

Et nous ne vous portons envie
Que par où nous devons vous envier le moins.

Pensées diverses.

I

Que l'homme connaît peu la mort qu'il appréhende,

Quand il dit qu'elle le surprend!

Elle naît avec lui, sans cesse lui demande

Un tribut dont en vain son orgueil se défend.

Il commence à mourir longtemps avant qu'il meure:

Il périt en détail imperceptiblement;

Le nom de mort qu'on donne à notre dernière heure,
N'en est que l'accomplissement 2.

1. L'être humain ne revit point sur cette terre, comme les fleurs repoussent sur leur tige.

2. ...

Vivons-nous, Chrétiens, vivons-nous? Cette vie que nous comptons, et où tout ce que nous comptons n'est plus à nous, est-ce une vie? et pouvons-nous

II

Êtres inanimés, rebut de la nature,
Ah! que vous faites d'envieux!

Le temps, loin de vous faire injure,
Ne vous rend que plus précieux.

On cherche avec ardeur une médaille antique :
D'un buste, d'un tableau, le temps hausse le prix;
Le voyageur s'arrête à voir l'affreux débris

D'un cirque, d'un tombeau, d'un temple magnifique;
Et pour notre vieillesse on n'a que du mépris.

III

De ce sublime esprit dont ton orgueil se pique,
Homme, quel usage fais-tu?

Des plantes, des métaux tu connais la vertu,
Des différents pays les mœurs, la politique,
La cause des frimas, de la foudre, du vent,
Des astres le pouvoir suprême :

Et, sur tant de choses savant,

Tu ne te connais pas toi-même.

IV

La pauvreté fait peur, mais elle a ses plaisirs.
Je sais bien qu'elle éloigne, aussitôt qu'elle arrive,
La volupté, l'éclat, et cette foule oisive

Dont les jeux, les festins remplissent les désirs.
Cependant, quoi qu'elle ait de honteux et de rude
Pour ceux qu'à des revers la fortune a soumis,

n'apercevoir pas ce que nous perdons sans cesse avec les années? Le repos et la nourriture ne sont-ils pas de faibles remèdes de la continuelle maladie qui nous travaille? et celle que nous appelons la dernière, qu'est-ce autre chose, à le bien entendre, qu'un redoublement et comme le dernier accès du mal que nous appor tons en naissant? » (BOSSUET, O. F. de Marie-Thérèse.)

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Au moins, dans leurs malheurs, ont-ils la certitude
De n'avoir que de vrais amis.

V

Pourquoi s'applaudir d'être belle?

Quelle erreur fait compter la beauté pour un bien?
A l'examiner, il n'est rien

Qui cause tant de chagrin qu'elle.

Je sais que sur les cœurs ses droits sont absolus,
Que, tant qu'on est belle, on fait naître

Des désirs, des transports, et des soins assidus:
Mais on a peu de temps à l'être,

Et long temps à ne l'être plus.

VI

Misérable jouet de l'aveugle fortune,
Victime des maux et des loix,

Homme, toi qui, par mille endroits,

Dois trouver la vie importune,

D'où vient que de la mort tu crains tant le pouvoir?
Lâche, regarde-la sans changer de visage :

Songe que, si c'est un outrage,

C'est le dernier à recevoir1.

VII

Quel poison pour l'esprit sont les fausses louanges!
Heureux qui ne croit point à de flatteurs discours!
Penser trop bien de soi fait tomber tous les jours
En des égarements étranges.

1. Se serait-on attendu avec ce poète de salon enrubanné, ce peintre de bergeries aux tons couleur de rose, se serait-on attendu à cette sévérité de pensées, à cette tristesse? La vie avait eu pour Me Des Houlières moins de fleurs qu'elle n'en répandait dans ses églogues et ses madrigaux. La trace de plus d'une épreuve vivement ressentie se retrouve dans l'esprit d'amer moraliste qui a dicté de tels

vers.

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