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point de chevaux, c'est en attendant; à votre loisir vous vous remettez chez vous. Venons au fait vous payez une pension à M. de Sévigné; vous avez ici un ménage; mettez le tout ensemble; cela fait de l'argent; car votre louage de maison va toujours. Vous direz Mais je dois, et je payerai avec le temps. Comptez que vous trouvez ici mille écus, dont vous payez ce qui vous presse; qu'on vous les prète sans intérêt, et que vous les rembourserez petit à petit, comme vous voudrez. Ne demandez point d'où ils viennent, ni de qui c'est; on ne vous le dira pas; mais ce sont des gens qui sont bien assurés qu'ils ne les perdront pas. Point de raisonnements là-dessus, point de paroles, ni de lettres perdues. Il faut venir; tout ce que vous m'écrirez, je ne le lirai seulement pas en un mot, ma belle, il faut ou venir, ou renoncer à mon amitié, à celle de Mme de Chaulnes et à celle de Mme de Lavardin1 : nous ne voulons point d'une amie qui veut vieillir et mourir par sa faute; il y a de la misère et de la pauvreté à votre conduite; il faut venir dès qu'il fera beau3.

1. Marguerite de Rostaing, marquise de Lavardin, une des amies les plus chères de Me de Sévigné, qui allait faire souvent avec elle de longues causeries : c'est ce qu'elle appelait, aller en bavardinage, aller en bavardin.

2. C'est-à-dire, il y a misère d'esprit et pauvreté de cœur à ne pas en croire vos amis.

3. On n'a point la réponse de Mmo de Sévigné : mais voici comme elle parle, un peu après, à sa fille, de cette offre généreuse : « Il faut que je vous conte que M. de La Fayette m'écrit du ton d'un arrêt du conseil d'en haut, de sa part premièrement, puis de celle de Ma de Chaulnes et de Mm de Lavardin, me menaçant de ne me plus aimer, si je refuse de retourner tout à l'heure à Paris; que je serai malade ici, que je mourrai, que mon esprit baissera, qu'entin, point de raisonnement, il faut venir; elle ne lira seulement point mes méchantes raisons. Ma fille, cela est d'une vivacité et d'une amitié qui m'a fait plaisir: et puis elle continue; voici les moyens... Cette lettre est longue au sortir d'un accès de fièvre; j'y réponds aussi avec reconnaissance, mais en badinant, l'assurant que je ne m'ennuierai que médiocrement avec mon fils, sa femme et des livres, et l'espérance de retourner cet été à Paris, sans ètre logée hors de chez moi, sans avoir besoin d'équipage, parce que j'en aurai un, et sans devoir mille écus à un généreux ami, dont la belle âme et le beau procédé me presseraient plus que tous les sergents du monde; qu'au reste je lui donne ma parole de n'être point inalade, de ne point vieillir, de ne point radoter, et qu'elle m'aimera toujours malgré sa menace; voilà comme j'ai répondu à ces trois bonnes amies. » (12 octobre 1689.)

MADAME DES HOULIÈRES

(1637-1694)

De toutes les dames françaises qui ont cultivé la poésie, c'est celle, dit Voltaire, qui a le plus réussi, puisque c'est celle dont on a retenu le plus de vers1. » Au temps où Voltaire parlait ainsi, cette preuve de fait pouvait être alléguée en faveur de Mme Des Houlières. Mais aujourd'hui ! Sauf le début de la fameuse épître allégorique aux petits moutons, qui n'a pas cessé de figurer dans les recueils d'extraits à l'usage de la jeunesse, quels vers de cette femme poète nos lettrés d'à présent, même les plus curieux de lectures diverses, seraient-ils en état de citer? On ne cite plus, on ne lit plus Mme Des Houlières. Les grâces de ses écrits, comme toutes celles qui ont dû à leur conformité avec telles ou telles modes la plus grande part de leur succès, n'ont pas tenu contre l'action du temps. Rien ne nous semble, à cette heure, plus passé, plus fané que ces idylles, ces élégies d'amour, ces madrigaux, auxquels les salons du XVIIIe siècle, comme on voit, se plaisaient encore. Cette pièce même des chères brebis errant sur les rives fleuries de la Seine, qu'une sorte de tradition semble obstinément protéger, ne soutient pas sans dommage l'examen d'un goût attentif. Ce n'est pas pour cette idylle, assez médiocre en somme, que l'on devrait, pour être parfaitement juste envers cet auteur, demander grâce, mais plutôt pour quelques pièces, d'un caractère tout différent, élégies d'une portée morale ou philosophique, ou courtes moralités en vers, inspirées d'une expérience triste de la vie, et où une pensée sincère s'exprime sans parure artificielle, dans une langue, sinon bien poétique, du moins précise et pure. (V. plus loin, p. 201).

Après cet hommage si marqué au talent de Mine Des Houlières. Voltaire, comme pris de scrupule au souvenir d'un délit de lèse

1. Catalogue des écrivains du xvII° siècle faisant suite au Siècle de Louis XIV.

poésie commis par elle, ajoute, sur un tout autre ton: « C'est dommage qu'elle soit l'auteur du mauvais sonnet contre l'admirable Phèdre de Racine. Ce sonnet ne fut bien reçu du public que parce qu'il était satirique. N'est-ce pas assez que les femmes soient jalouses en amour? Faut-il encore qu'elles le soient en belleslettres? Une femme satirique ressemble à Méduse et à Scylla, deux beautés changées en monstres. » Ce sonnet, très connu 1, est bien en effet de Mme Des Houlières, et non du duc de Nevers, son ami, auquel il fut longtemps attribué. Il est cité partout, tandis que les morceaux dignes d'estime que je viens d'indiquer, n'existent guère que pour de rares connaisseurs juste expiation du crime d'avoir sifflé Racine et protégé Pradon.

:

Née en 1637, fille d'un maître d'hôtel d'Anne d'Autriche, Mlle du Ligier de La Garde montra de bonne heure d'heureux dons d'esprit, qui furent cultivés avec soin. Elle apprit les langues italienne, espagnole, et même, comme Mmo de La Fayette et Mme de Sévigné, le latin. D'autres leçons firent d'elle une excellente musicienne. Bien jeune encore, elle préluda par quelques essais à sa fortune de poète. Ces essais furent encouragés et dirigés par Jean Hesnault, poète de quelque talent et libre penseur, dont les opinions en de graves matières semblent avoir laissé quelque trace dans l'esprit de son élève. A peine mariée en 1652 à M. de Boisguérin Des Houlières, les événements de cette année même la séparèrent de ce seigneur, brave et habile officier, qui s'était engagé dans la Fronde des princes, et dut en suivre le chef hors de France sous le drapeau étranger elle le rejoignit un an après à Bruxelles. Les tristesses de cet exil furent aggravées par le peu d'exactitude du ministère espagnol à s'acquitter de ses obligations pécuniaires envers les Français enrôlés à son service. Ayant poussé ses plaintes et ses requêtes à ce sujet avec une vivacité imprudente, Mme Des Houlières fut traitée en factieuse par la cour de Bruxelles, et mise en prison. Après un an de captivité, un coup de main de son mari la délivra, et bientôt après, l'amnistie assurée aux frondeurs par la paix des Pyrénées, la rendit à son pays. à

:

1.

Dans un fantenil doré, Phèdre mourante et blême
Dit des vers où d'abord personne n'entend rien;

Etc.

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son monde, à ses succès de femme et d'auteur dans les salons de Paris. Un veuvage prématuré, qui la laissait sans fortune, avec deux filles, l'obligea d'implorer plus d'une fois la munificence royale: les libéralités qu'elle obtint en retour de ses placets louangeurs, adoucirent son état, sans le rendre moins précaire. Aux soucis de la mère de famille se joignirent les souffrances d'une maladie longue et cruelle, qui enfin l'emporta, âgée de cinquantesix ans. Les témoignages d'admiration qu'elle recevait, à titre de muse, de tout un monde de beaux esprits, et dans le concert desquels se perdirent pour elle les épigrammes de Boileau, adoucirent par des illusions de gloire ses derniers jours. En tête du recueil de ses œuvres, publié de son vivant, se lisaient, sous son portrait, ces vers, qui n'exagéraient pas trop l'opinion accréditée sur son compte :

Si Corinne en beauté fut célèbre autrefois,
Si des vers de Pindare elle effaça la gloire,
Quel rang doivent tenir au temple de mémoire
Les vers que tu vas lire et les traits que tu vois?

A ses enfants.

Dans ces prés fleuris
Qu'arrose la Seine,

Cherchez qui vous mène,

Mes chères brebis.

J'ai fait, pour vous rendre
Le destin plus doux,
Ce qu'on peut attendre
D'une amitié tendre1;
Mais son long courroux*
Détruit, empoisonne 3

1. J'ai fait... ce qu'on peut attendre... C'est parler d'une manière bien faible et commune de ce qu'elle a fait comme mère.

2. C'est-à-dire, le courroux du destin; ce qu'on ne voit pas tout d'abord.
3. Un courroux qui détruit et empoisonne des soins! Déjà l'incohérence se glisse

Tous mes soins pour vous,
Et vous abandonne
Aux fureurs des loups.
Seriez-vous leur proie,
Aimable troupeau,
Vous, de ce hameau
L'honneur et la joie;
Vous qui, gras et beau,
Me donniez sans cesse
Sur l'herbette épaisse
Un plaisir nouveau?
Que je vous regrette!
Mais il faut céder1;

Sans chien, sans houlette,
Puis-je vous garder?
L'injuste fortune

Me les a ravis.

En vain j'importune
Le ciel par mes cris;
Il rit de mes craintes,
Et, sourd à mes plaintes,
Houlette ni chien,

Il ne me rend rien.

Puissiez-vous, contentes,

Et sans mon secours,
Passer d'heureux jours,

Brebis innocentes,

Brebis mes amours.

Que Pan2 vous défende;

dans cette belle et juste langue du xvII° siècle (que P.-L. Courier disait trouver dans les moindres écrits des femmelettes de ce temps).

1. Céder à quoi? Comment? Est-ce à dire qu'elle se retire, et abandonne entiè rement le soin de son troupeau au dieu Pan qu'elle invoque?... On ne sait trop. 2. Elle désigne ainsi Louis XIV, de qui elle sollicitait une pension réversible

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