Page images
PDF
EPUB

ce qu'il y a jamais eu de femmes au monde; mais aussi je me trouve le plus malheureux homme qui ait jamais été.....

La Princesse de Clèves.

Education et mariage de Henriette d'Angleterre.

La première chose considérable qui se fit après la mort du cardinal, ce fut le mariage de Monsieur avec la princesse d'Angleterre. Il avait été résolu par le cardinal; et, quoique cette alliance semblât contraire à toutes les règles de la politique, il avait cru qu'on devait être si assuré de la douceur du naturel de Monsieur et de son attachement pour le roi, qu'on ne devait point craindre de lui donner un roi d'Angleterre pour beau-frère.

L'histoire de notre siècle est si remplie des grandes révolutions de ce royaume, et le malheur qui fit perdre la vie au meilleur roi du monde, sur un échafaud, par les mains de ses sujets, et qui contraignit la reine sa femme à venir chercher un asile dans le royaume de ses pères, est un exemple de l'infortune, qui est au su de toute la terre.

Le changement funeste de cette maison royale fut favorable en quelque chose à la princesse d'Angleterre. Elle était encore entre les bras de sa nourrice, et fut la seule de tous les enfants de la reine sa mère, qui se trouva auprès d'elle pendant sa disgrace. Cette reine s'appliquait tout entière au soin de son éducation; et, le malheur de ses affaires la faisant plutôt vivre en personne privée qu'en souveraine, cette jeune princesse prit toutes les lumières, toute la civilité et toute l'humanité des conditions ordinaires, et conserva dans son cœur et dans sa personne toutes les grandeurs de sa naissance royale.

Aussitôt que cette princesse commença à sortir de l'enfance, on lui trouva un agrément extraordinaire. La reine-mère témoigna beaucoup d'inclination pour elle; et, comme il n'y avait nulle

apparence que le roi pût épouser l'infante sa nièce1, elle parut souhaiter qu'il épousât cette princesse. Le roi, au contraire, témoigna de l'aversion pour ce mariage, et même pour sa personne; il la trouvait trop jeune pour lui, et il avouait enfin qu'elle ne lui plaisait pas, quoiqu'il n'en pût dire la raison. Aussi eût-il été difficile d'en trouver; c'était principalement ce que la princesse d'Angleterre possédait au souverain degré que le don de plaire et ce qu'on appelle grâces; et les charmes étaient répandus en toute sa personne, dans ses actions et dans son esprit; et jamais princesse n'a été si également capable de se faire aimer des hemmes et adorer des femmes.

En croissant, sa beauté augmenta aussi; en sorte que, quand le mariage du roi fut achevé, celui de Monsieur et d'elle fut résolu. Il n'y avait rien à la cour qu'on pût lui comparer.

...

Le mariage fut fait en carême, sans cérémonie, dans la chapelle du palais. Toute la cour rendit ses devoirs à madame la princesse d'Angleterre, que nous appellerons désormais Madame.

Il n'y eut personne qui ne fût surpris de son agrément, de sa civilité et de son esprit. Comme la reine mère la tenait fort près de sa personne, on ne la voyait jamais que chez elle, où elle ne parlait quasi point. Ce fut une nouvelle découverte de lui trouver l'esprit aussi aimable que tout le reste. On ne parlait que d'elle, et tout le monde s'empressait de lui donner des louanges. Quelque temps après son mariage, elle vint loger chez Monsieur, aux Tuileries; le roi et la reine allèrent à Fontainebleau. Monsieur et Madame demeurèrent encore quelque temps à Paris ce fut alors que toute la France se trouva chez elle: tous les hommes ne pensaient qu'à lui faire leur cour, et toutes les femmes qu'à lui plaire.

Madame de Valentinois, sœur du comte de Guiche, fut une de celles qu'elle choisit pour être dans ses plaisirs... Made

1. A cause de la guerre où l'on était encore avec l'Espagne.

2. Antipathie passagère, et à laquelle succédèrent bientôt des sentiments tout différents, dont on put même redouter l'excès.

moiselle de La Trémouille et Madame de La Fayette étaient de ce nombre. La première lui plaisait par sa bonté et par une certaine ingénuité à conter tout ce qu'elle avait dans le cœur, qui ressentait la simplicité des premiers siècles. L'autre lui avait été agréable par son bonheur 2; car, bien qu'on lui trouvât du mérite, c'était une sorte de mérite si sérieux en apparence, qu'il ne semblait pas qu'il dût plaire à une princesse aussi jeune que Madame. Cependant elle lui avait été agréable, et elle avait été si touchée du mérite et de l'esprit de Madame, qu'elle lui dut plaire dans la suite par l'attachement qu'elle eut pour elle 3.

Histoire de Madame Henriette d'Angleterre.

Derniers moments de Madame.

(NUIT DU 29 JUIN 1670)

... Cependant le roi était auprès de Madame. Elle lui dit qu'il perdait la plus véritable servante qu'il aurait jamais. Il lui dit qu'elle n'était pas en si grand péril, mais qu'il était étonné de sa fermeté, et qu'il la trouvait grande. Elle lui répliqua qu'il savait bien qu'elle n'avait jamais craint la mort, mais qu'elle avait craint de perdre ses bonnes grâces...

Le roi, voyant que selon les apparences il n'y avait rien à espérer, lui dit adieu en pleurant. Elle lui dit qu'elle le priait

1. On n'emploierait pas aujourd'hui de cette façon le verbe ressentir. On dirait : qui sentait, ou bien, qui rappelait la simplicité des premiers siècles. Bossuct disait : « Ce style ressent l'antiquité. (Explication de la messe.) << Sainte Thérèse défendait qu'il y eût rien dans les bâtiments de son Ordre qui ressentit la vanité. » (FLÉCHIER, Panég. de sainte Thérèse.)

[ocr errors]

2. C'est-à-dire, grâce à sa bonne fortune; par bonheur; par heureuse chance de lui plaire.

3. Ma de La Fayette ne pouvait expliquer d'une façon plus modeste ni de meilleure grâce la grande faveur dont elle avait joui auprès de cette princesse. 4. Me de La Fayette vient de raconter comment, quelques heures auparavant, dans la soirée, Madame a été prise, aussitôt après avoir bu un verre d'eau de chicorée, de douleurs d'entrailles, dont l'extrême violence a résisté à tous les remèdes. Au moment de la visite du roi, le mal est au comble, et déjà tout espoir de sauver la princesse est perdu.

de ne pas pleurer, qu'il l'attendrissait, et que la première nouvelle qu'il aurait le lendemain serait celle de sa mort...

1

Lorsque le roi se fut retiré, j'étais auprès de son lit; elle me dit: Madame de La Fayette, mon nez s'est déjà retiré. Je ne lui répondis qu'avec des larmes; car ce qu'elle me disait était véritable, et je n'y avais pas encore pris garde. On la remit ensuite dans son grand lit. Le hoquet lui prit. Elle dit à M. Esprit ' que c'était le hoquet de la mort; elle avait déjà demandé plusieurs fois quand elle mourrait; elle le demandait encore; et quoiqu'on lui répondit comme à une personne qui n'en était pas proche, on voyait bien qu'elle n'avait aucune espérance.

Elle ne tourna jamais son esprit du côté de la vie; jamais un mot de réflexion sur la cruauté de sa destinée, qui l'enlevait dans le plus beau de son age; point de questions aux médecins pour l'informer s'il était possible de la sauver; point d'ardeur pour les remèdes, qu'autant que la violence de ses douleurs lui en faisait désirer; une contenance paisible au milieu de la certitude de la mort, de l'opinion du poison, et de ses souffrances qui étaient cruelles; enfin un courage dont on ne peut donner d'exemple, et qu'on ne pourrait bien représenter.

... L'ambassadeur d'Angleterre arriva dans ce moment. Sitôt qu'elle le vit, elle lui parla du roi, son frère, et de la douleur

1. Un des médecins.

2. Ce soupçon d'un crime, dont Madame ne put se défendre, était-il fondé? Faut-il croire que le chevalier de Lorraine, favori de Monsieur, se serait vengė par le poison d'un exil et d'une prison que sa conduite coupable à l'égard de Madame lui avait attirés? Ou bien la princesse a-t-elle succombé à l'explosion soudaine d'un mal qui couvait depuis longtemps dans un corps frèle et prématurément usé? Cette dernière opinion, contraire au tragique récit de Saint-Simon, et à laquelle se rangeait déjà Voltaire (Siècle de Louis XIV, ch. xxvi), est aujourd'hui généralement adoptée.

3. Rien n'a jamais égalé la fermeté de son âme, ni ce courage paisible qui, sans faire effort pour s'élever, s'est trouvé par sa naturelle situation au-dessus des accidents les plus redoutables. Oui, Madame fut douce envers la mort comme elle l'était envers tout le monde. Son grand cœur ni ne s'aigrit, ni ne s'emporta contre elle. Elle ne la brave non plus avec fierté, contente de l'envisager sans émotion et de la recevoir sans trouble. » (BoSSUET, Oraison funèbre de Madame.)

qu'il aurait de sa mort; elle en avait déjà parlé plusieurs fois dès le commencement de son mal. Elle le pria de lui mander qu'il perdait la personne du monde qui l'aimait le mieux. Ensuite l'ambassadeur lui demanda si elle était empoisonnée : je ne sais si elle lui dit qu'elle l'était; mais je sais bien qu'elle lui dit qu'il n'en fallait rien mander au roi son frère, qu'il fallait lui épargner cette douleur, et qu'il fallait surtout qu'il ne songeât point à en tirer vengeance; que le roi n'en était point coupable, qu'il ne fallait point s'en prendre à lui.

Elle disait toutes ces choses en anglais, et, comme le mot de poison est commun à la langue française et à l'anglaise, M. Feuillet' l'entendit et interrompit la conversation, disant qu'il fallait sacrifier sa vie à Dieu, et ne point penser à autre chose.

Elle reçut Notre Seigneur; ensuite Monsieur s'étant retiré, elle demanda si elle ne le verrait plus on l'alla quérir, il vint l'embrasser en pleurant ; elle le pria de se retirer, et lui dit qu'il l'attendrissait.

... M. de Condom 2 arriva comme elle recevait l'ExtrêmeOnction; il lui parla de Dieu conformément à l'état où elle était, et avec cette éloquence et cet esprit de religion qui paraissent dans tous ses discours; il lui fit faire les actes qu'il jugea nécessaires; elle entra dans tout ce qu'il dit avec un zèle et une présence d'esprit admirable.

elle

Comme il parlait, sa première femme de chambre s'approcha d'elle pour lui donner quelque chose dont elle avait besoin lui dit en anglais, afin que M. de Condom ne l'entendit pas, conservant jusqu'à la mort la politesse de son esprit : Donnez à M. de Condom, lorsque je serai morte, l'émeraude que j'avais fait faire pour lui 3.

1. Chanoine de Saint-Cloud, prêtre d'une grande sévérité, qui venait d'entendre la confession de Madame.

2. Bossuet. On était allé en toute hâte le chercher à Paris. Le premier courrier ne le trouva point chez lui; on en dépêcha un second et un troisième. Il était plus de minuit quand il arriva à Saint-Cloud.

3. Une émeraude montée en bague, que Bossuet porta toute sa vie.

« PreviousContinue »