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romans, les comédies, les Voiture, les Sarrasin', tout cela est bientôt épuisé: a-t-elle tâté de Lucien ? Est-elle à portée des Petites lettres? Après, il faut l'histoire; si on a besoin de lui pincer le nez pour lui faire avaler, je la plains. Pour les beaux livres de dévotion, si elle ne les aime pas, tant pis pour elle; car nous ne savons que trop que, même sans dévotion, on les trouve charmants. A l'égard de la morale, comme elle n'en ferait pas un aussi bon usage que vous, je ne voudrais point du tout qu'elle mit son petit nez dans Montaigne, ni dans Charron *, ni dans les autres de cette sorte; il est bien matin pour elle. La vraie morale de son âge, c'est celle qu'on apprend dans les bonnes conversations, dans les fables, dans les histoires, par les exemples; je crois que c'est assez. Si vous lui donnez un peu de votre temps pour causer avec elle, c'est assurément ce qui serait le plus utile je ne sais si tout ce que je dis vaut la peine que vous le lisiez je suis bien loin d'abonder dans mon sens... »

Au président de Moulceau,

(SUR LE MARIAGE DE PAULINE DE GRIGNAN)

Grignan, 18 janvier 1696.

J'ai pris pour moi les compliments qui me sont dus, Monsieur, pour le mariage de Mme de Simiane, qui ne sont proprement

mot ne saurait avoir un autre sens dans une telle bouche, et ne peut se rapporter aux livres assez mauvais pour être dangereux.

1. Les Euvres mêlées du poète Jean-François Sarrasin, contemporain de Voiture, et son rival de gloire à l'hôtel de Rambouillet, n'avaient encore rien perdu de leur vogue.

2. Cet amusant auteur grec était au nombre des lectures favorites de M= de Sévigné. Elle dit souvent le plaisir qu'elle trouve à ses Dialogues des morts, qu'elle ne lisait pourtant que dans la pâle traduction de Perrot d'Ablancourt. 3. Les Provinciales. Quelquefois, pour nous divertir, nous lisons les Petites lettres; bon Dieu! quel charme! et comme mon fils les lit! Je songe toujours à ma fille, et combien cet excès de justesse de raisonnement serait digne d'elle; mais votre frère dit que vous trouvez que c'est toujours la même chose : ah! mon Dieu! tant mieux; peut-on avoir un style plus parfait, une raillerie plus délicate, plus digne fille de ces dialogues de Platon, qui sont si beaux ?... » (Lettre du 18 décembre 1689.)

4. Sur ce moraliste, V. plus haut, p. 75, n. 2.

que d'avoir extrêmement approuvé ce que ma fille a disposé, dans son bon esprit, il y a fort longtemps. Jamais rien ne saurait être mieux assorti : tout y est noble, commode, avantageux pour une fille de la maison de Grignan, qui a trouvé un homme et une famille qui comptent pour tout son mérite, sa personne et son nom, et rien du tout le bien '; et c'est uniquement ce qui se compte dans tous les autres pays : ainsi on a profité avec plaisir d'un sentiment si rare et si noble. On ne saurait mieux recevoir vos compliments que M. et Mme de Grignan les ont reçus, ni conserver pour votre mérite, Monsieur, une estime plus singulière...

1. Pauline de Grignan venait d'épouser Louis de Simiane, marquis d'Esparron, qui avait vingt-cinq mille livres de rentes en fonds de terre; elle ne lui apportait que vingt mille écus. « L'inégalité de fortune avait disparu devant un sentiment réciproque. Me de Sévigné avait bien prédit que l'esprit et la figure de Pauline lui seraient une dot. » (P. MESNARD, Notice biographique sur M. de Sévigné.)

MADAME DE LA FAYETTE

(1633-1693)

C'est à une femme que revient l'honneur d'avoir réformé, ou supérieurement transformé le roman, qui, à peine créé en France, s'égarait en inventions chimériques et en galanteries quintessenciées entre les mains des successeurs et imitateurs de D'Urfé. Le meilleur ouvrage de Mme de La Fayette, la Princesse de Clèves, fit plus contre la vogue du Grand Cyrus et de la Clélie que les plus justes critiques de Boileau. Cette courte, attachante et honnête fiction, par des études de cœur creusées sans subtilité, par une générosité de sentiments sans fadeur, par un intérêt soutenu sans abus de complications, par une langue aussi nette et vive que délicate, ouvrit les yeux à tout le monde sur le convenu, le faux, l'alambiqué, les interminables longueurs des œuvres de La Calprenède et de Mlle de Scudéry. Cette éclatante amélioration d'un genre secondaire, si l'on veut, mais susceptible, lui aussi, de beautés vraies, et confinant, par plus d'un côté, au domaine du moraliste et à celui du poète dramatique, n'est pas un des moins heureux progrès ni une des nouveautés les moins fécondes qu'ait à signaler l'histoire de l'esprit et du goût français au XVIIe siècle.

Une excellente culture avait préparé de loin Mme de La Fayette à ce rare succès. Son père, homme instruit, dit-on, et de mérite, (Aymar de La Vergne, maréchal de camp et gouverneur du Havre), avait pris les plus grands soins de son éducation. Elle avait eu pour maitres, d'abord Ménage et le Père Rapin, plus tard, pour guide et conseiller d'études, le docte Huet. Ses lectures étrangères ne se bornaient pas à l'espagnol et à l'italien : elle joignait et préférait aux auteurs en renom de ces deux pays des modèles plus sûrs, les Latins, qu'elle avait appris à fréquenter familièrement dans leur langue. Introduite à l'hôtel de Rambouillet vers sa quinzième année, mais avec un esprit très éclairé déjà et solide, elle s'était

impunément mêlée aux divertissements ingénieux du fameux cénacle, ou plutôt avec profit, sachant en prendre le fin, le délicat, et en laisser le raffiné et le prétentieux. Appelée quelques années après son mariage avec le comte de La Fayette (1661), à la cour du Palais-Royal par une princesse qui savait distinguer tous les mérites, devenue la confidente et presque l'amie de Madame, elle avait pu, dans cette cour jeune, polie, galante, où elle demeurait spectatrice déşintéressée et curieuse, étudier sur le vif le jeu des passions et s'exercer à son aise à lire dans le plus secret dédale des cœurs.

Sa vie, très simple d'événements, ne peut être bien connue que par une lecture suivie des lettres de sa meilleure amie, Mme de Sévigné, à Mme de Grignan. Son nom revient sans cesse dans cette correspondance avec d'intéressants détails sur ses goûts, ses habitudes, ses amitiés, et malheureusement aussi sur sa santé, qui de bonne heure fut pour elle une source d'épreuves. Cette santé, de plus en plus altérée après la mort de Madame, ne lui permit plus, à partir de 1672, que de rares apparitions à la cour et dans les cercles brillants de la ville mais le monde où elle n'allait plus, ou, du moins, la meilleure élite de ce monde ne cessa de s'empresser autour d'elle dans sa demi-retraite, attirée et toujours rappelée par les grâces de son esprit, la solidité de sa raison et la bonté de son cœur. Parmi les amis les plus chers, ceux de l'intimité, La Rochefoucauld vieillissant, attristé par les mécomptes de sa vie, souffrant de la goutte, n'était pas le moins assidu. L'auteur des Marimes venait chercher l'oubli du passé, le charme du présent daus l'entretien de celle qu'il appelait, d'un mot trouvé par lui, une personne vraie1, et se laissait peu à peu ramener par cette douce influence à une philosophie moins amère, à plus de bienveillance et d'équité envers la nature humaine. En échange, il éclairait encore et perfectionnait par ses conseils d'écrivain sévère le goût, déjà si pur et si délicat de son amie, et ne lui était pas inutile

1. La Rochefoucauld passe pour avoir fait le premier cet usage du mot vrai. 2. M. de La Fayette disait elle-même de M. de La Rochefoucauld: « Il m'a donné de l'esprit, mais j'ai réformé son cœur. » Le cœur de l'homme, et non l'âme du livre, non l'esprit des Maximes, qui, publiées dès 1665, ne purent se ressentir de cette sorte de conversion morale de leur auteur. - Ce livre, d'ail

pour mettre, à loisir, aux peintures morales de la Princesse de Clèves le sceau de la perfection. Cet ouvrage, déjà écrit et connu de la société intime de l'auteur dès 1673, ne vit le jour qu'en 1678.

Le succès de la Princesse de Clèves acheva victorieusement ce que celui de Zayde, publiée en 1668 sous le nom de Segrais 1, avait commencé. Aujourd'hui, ce premier romau de Mme de La Fayette, malgré d'incontestables beautés, est plus cité que lu. C'est que, avec des « passions finement maniées, » et beaucoup de scènes vraies et touchantes, il offre encore, surtout dans sa seconde partie, un luxe d'aventures surprenantes, une prodigalité de traits magnanimes et de prouesses héroïques qui lassent l'admiration et refroidissent l'intérêt. L'auteur, à cette date, n'était pas complè tement émancipé des habitudes du roman antérieur, et subissait encore, par certains côtés, l'empire d'un goût qu'une nouvelle et plus parfaite création de son génie allait discréditer sans retour.

On a encore de Mme de La Fayette deux petites nouvelles, Madame de Montpensier et la Comtesse de Tende, et une Histoire de Henriette d'Angleterre, de la charmante Madame, très agréablement contée, et terminée par un récit de la terrible nuit du 29 juin 1670 non moins émouvant dans sa simplicité que la funèbre scène si pathétiquement retracée par Bossuet.

...

Gonsalve se rend maître de Talavera.

Les Maures avaient profité des désordres du royaume de Léon; ils avaient surpris plusieurs villes et continuaient encore à étendre leurs limites, sans avoir néanmoins déclaré la guerre. Dom Garcie, poussé par son ambition naturelle, et se trouvant fortifié par la valeur de Gonsalve, résolut d'entrer dans leur

leurs, n'était pas susceptible de retouches ni d'amendement, étant du nombre de ceux où règne d'un bout à l'autre une même pensée dominante, et desquels on peut dire Sint ut sunt, aut non sint.

1. Ma de La Fayette, par modestie, voulut d'abord se dérober sous ce nom. Le poète Segrais, un de ses familiers, avait sans doute travaillé à Zayde, mais fort peu; sa part de collaboration se bornait, comme il en est convenu lui-même, à quelques retouches de l'action du roman,

2. Fils ainė du roi de Léon, prince royal.

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