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toujours chez les peuples qui ont de l'imagination et point de vanité sociale," cette manière vive et paradoxale de traiter les questions les plus problématiques, convient tout au plus dans un roman : quand on s'adresse à la raison des hommes éclairés, il faut employer des argumens plus solides et suivre une méthode plus rigoureuse; en un mot, c'est se jouer de soi-même et de ses lecteurs, que de décider ainsi ce qui doit être examiné.

J'ai donc cru que ce seroit un travail à la fois utile et agréable, que de rassembler dans les écrits des anciens toutes les notions propres à constater un fait, que l'on avoit jusqu'ici plutôt deviné que reconnu, et dont la croyance avoit précédé la preuve : j'ai cru que des recherches, qui devoient servir à fixer enfin l'opinion sur une question souvent agitée et jamais débattue, auroient le double avantage d'intéresser et les savans, pour qui l'instruction la plus sévère est toujours la plus agréable, et les littérateurs, qui font quelquefois grâce à l'érudition en faveur de la vérité. Dans ce siècle frivole, il est souvent moins difficile de la trouver, que de la dire. L'apparence seule du travail, dans un livre où il étoit indispensable, effarouche la plupart des lecteurs: n'estimant de l'étude, que ses résultats, ils en rejettent les moyens; toute recherche les choque, toute discussion les fatigue; leur paresse qui refuse de remonter aux sources, n'approuve même pas qu'on tâche de lui en épargner la peine et, comme si la reconnoissance envers un écrivain auquel ils doivent leurs lumières, étoit pour eux un fardeau, ils ne consentent à jouir du fruit de ses veilles, qu'autant qu'il parviendra à leur en dérober le mérite.

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Je ne me suis pas borné, dans mes recherches, à ce qui concernoit la poësie des Grecs; à mesure que j'approfondissois cette matière encore intacte, mes regards se sont étendus au delà des limites que je m'étois d'abord tracées, et le cercle de mes idées s'est aggrandi avec celui de mes connoissances. Après m'être assuré que la faculté d'improviser étoit commune chez les Grecs, j'ai voulu voir si elle leur avoit été particulière, et si les Romains, qui avoient puisé à leur école tant d'excellens principes de littérature et de leçons de goût, n'avoient point aussi emprunté de leurs modèles ou reçu de la nature le même talent appliqué aux mêmes usages. Le résultat de ces nouvelles recherches s'est trouvé presque en tout conforme à celui des premières; et, quoique, dans ce point comme en beaucoup d'autres, les Latins ne soutiennent pas avantageusement le parallèle avec les Grecs, quoique le caractère. plus sévère de leur génie et de leur langue se prétât moins aisément aux inspirations de la poësie, on en retrouve encore chez eux des traces assez nombreuses pour rendre vraisemblable,

NO. XXX.

1 Corinne, lib. xv. c. 9, tom. iii. p. 86.
Cl. Jl.

VOL. XV.

S

au moins sous ce rapport, la prétention qu'ont les Italiens modernes de descendre des anciens Romains.

J'aurois pu étendre les mêmes considérations à d'autres peuples de l'Antiquité, dont les productions poëtiques ont été vantées par elle, quoique le temps ne les ait pas laissé parvenir jusqu'à nous. S'il est vrai, comme l'assure un ingénieux écrivain,' et comme la raison seule pous autorise à le croire, que le don d'improviser ait été plus commun chez les peuples dont la civilisation étoit moins avancée, et, parconséquent, le systême de versification moins rigoureux, ces antiques poësies des Celtes et des Germains doivent avoir été le fruit d'une inspiration soudaine et fortuite, comme les événemens qu'elles retraçoient. C'étoit un usage généralement établi chez les nations Celtiques, lorsqu'on partoit pour une expédition militaire, d'emmener des poëtes, qui sur les champs de bataille, ou dans les fêtes triomphales, célébroient la valeur des citoyens morts en combattant pour la patrie.3 Ainsi, les guerriers qui succomboient, n'avoient pas longtemps à attendre la récompense d'un beau trépas; ils recueilloient, sur le théatre même de leurs exploits, le tribut de regrets et d'éloges dû à leur mémoire.3 Les Bardes compagnons ou témoins des hauts faits qu'ils consacroient dans leurs vers, n'auroient pu, sans trahir à la fois les devoirs de leur ministère et les droits de l'amitié, offrir à l'ombre de ces héros une consolation étudiée et tardive; il falloit que leurs chants produits au même instant qu'ils en trouvoient un nouvel objet, acquittâssent promptement la reconnoissance publique dont ils étoient les organes, et ces chants improvisés par la douleur, et accueillis par elle au sortir de la bouche du poëte, se conservoient sans effort et sans altération dans le souvenir comme dans le cœur de tous ceux qui les avoient entendus.

Qui pourroit douter que l'imagination vive et prompte des peuples de l'Orient ne se soit fréquemment livrée à l'improvisation oratoire et poëtique? tout conspiroit à leur en inspirer le désir et à leur en fournir les moyens. Au bienfait d'une organisation heureuse, se joignoient ceux d'une langue abondante et sonore, d'un climat riche et varié comme elle; ils jouissoient à la fois de toutes les faveurs de la nature et de toutes les ressources de l'art. Les Arabes, dont la langue et les mœurs retracent encore celles des anciens habitans du désert, ont, dans leur idiôme actuel, un terme pour désigner l'improvisation, et cette expression, chez un peuple qui ne multiplie les signes de ses idées, qu'à raison du besoin qu'il en a,

Tacit. German. §. 11; et Annal. lib. ii. c. 88. Perizon. Animadv. Histor. cap. vi. p. 211.

2 Ammian. Marcell. lib. xv. c. 9. cf. Posidon. Historiar. lib. xxiii. apud Athen. lib. vi. c. 12; Jornandes, de rebus Getic. lib. iv. c. 5.

3 Diodor. Sic. Bibliothec. lib. v. c. 31.

indique, ou la tradition d'un usage antique, ou l'existence d'une pratique habituelle, et probablement l'une et l'autre. Si nous connoissions davantage l'histoire littéraire du peuple Hébreu, il ne nous seroit pas difficile de retrouver aussi, dans les fragmens poëtiques qu'il nous a laissés, de nombreuses traces d'improvisation. Le savant Vossius ne voit que des essais improvisés dans les premières poësies des Juifs, et il regarde encore comme tels les Psaumes, les Lamentations et le dernier Cantique de Moyse.* J'adopte son opinion, sans approuver les raisons sur lesquelles elle est fondée. Le défaut de rhythme et de mètre, qui règne dans ces poëmes, aux yeux de ce critique, lui paroit suffisamment compensé par le caractère de l'inspiration. Mais des poësies, privées de rhythme et de mètre, quelque grave qu'en fût le sujet, quelque sublime qu'en fût la diction, seroient-elles de veritables poësies? On sait aujourd'hui que le défaut qui choquoit Vossius, n'existoit pas réellement dans ces poëmes sacrés, et, sans être plus éclairés sur la source de leurs beautés, nous connoissons mieux à présent le secret de leur composition. En ne considérant les œuvres des Prophètes, que sous le rapport d'une critique profane, il est également impossible de méconnoître l'inspiration par laquelle elles ont été produites, et ce jugement de l'esprit se change en un article de foi pour le philosophe Chrétien, qui révère dans ces hautes productions de la poësie les oracles mêmes de la Divinité. Les circonstances, au milieu desquelles furent prononcés les cantiques de Débora et de Baruch, ceux de Moyse et de Marie, le style même et la forme de ces compositions, tout nous atteste qu'elles dûrent être pareillement l'ouvrage d'une inspiration soudaine, et de pareils faits suffisent pour prouver que le talent d'improviser brilla du plus vif éclat chez le peuple Hébreu.

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Les Egyptiens même, malgré leur aversion pour la poësie,+ n'étoient pas aussi étrangers à ce talent, que des observateurs prévenus ou superficiels voudroient nous le persuader. Ils chantoient communément en l'honneur de la Déesse Isis, des Hymnes qui paroissent avoir été improvisés, et la licence de leur fêtes religieuses n'étoit pas moins favorable à l'inspiration poëtique,

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1 De Natur. et Constitut. Art. Poët. c. xiii. §. 2, oper. tom. iii. p. 30.

2 Judic. cap. v.

3 Exod. cap. xv.; Deuteronom. cap. xxxii.; add. Joseph. Antiq. Judaic. lib. ii. c. 7. et lib. iv. cap. ultim.; Philon. vit. Mosis. le Quadrio semble partager l'opinion de Vossius (della Storia e della ragione d'ogni poësia, lib. i. distinct. ii. c. i. p. 156): "Bisogna ancor confessare, che questo genere, che noi canto all' improviso appelliamo, fu il primo genere di poësia che fosse al mondo. Non parleremo già qui de' profeti del popol di Dio: perciocchè quello Spirito che faceva lor die versi da arrestare i venti, dobbiamo credere che fosse lo Spirito del Signore, il quale gli sollevaste sopro il loro sè."

4 Dion. Chrysostom. orat. xi. 5 Plato de Legib. lib. ii. p. 789, ed. Francf.

que les cérémonies pompeuses du culte Judaïque. On en jugera par la description suivante que fait Hérodote des fêtes de Diane, qui se célébroient à Bubaste, par un nombre infini de dévots et de dévotes, de tout âge et de toute condition.

"Une multitude de bateaux voguent vers cette ville, de toutes les parties de l'Egypte. Dans chaque barque, les hommes et les femmes se trouvent mêlés sans ordre et sans distinction: les hommes jouent de la flûte, et les femmes, des castagnettes: le reste de la troupe, qui ne prend point de part à ce concert, chante des vers ou frappe des mains en cadence. On s'arrête devant toutes les villes qui se rencontrent sur le passage, et la musique recommence, sur de nouveaux frais, mais toujours de la même manière. Les femmes, s'abandonnant à l'yvresse de la joie, agacent par des propos malins toutes celles qui passent à leur vue, chantent des airs libertins et exécutent des danses lascives." (Lib. 11. c. 60.)

Dans ce récit d'Hérodote, dont la naïveté atteste l'exactitude, j'ai été obligé d'adoucir la franchise de quelques expressions, de voiler la nudité de certains détails. Mais, loin de nuire à la fidélité du sens, ces légers changemens n'en ont que mieux conservé l'esprit ; et la comparaison des mœurs anciennes décrites par Hérodote avec les pratiques modernes observées par nos voyageurs, achevera d'éclaircir et de confirmer son témoignage. C'est un fait généralement reconnu, que, malgré les nombreuses vicissitudes de fortune que l'Egypte a éprouvées, et sous les diverses dominations qui l'ont successivement opprimée, les naturels de ce pays ont conservé le fond de leur caractère et un attachement inaltérable à leurs institutions nationales. Les folles cérémonies qu'autorisoit le culte d'Isis et de Diane, se renouvellent de nos jours autour des tombeaux des Santos et devant les églises des Cophtes. Le même goût pour les Pélerinages subsiste encore sur la terre des Pharaons et des Ptolémées : les mêmes danses, les mêmes instrumens de musique charment les yeux et les oreilles de ses habitans, et ces vieilles habitudes, nées du climat et enracinées sur le sol, ont constamment triomphé des entraves du koran et du sabre des Mameloucks. Un des derniers voyageurs qui ont parcouru l'Egypte, M. Savary, nous apprend qu'il se tient tous les ans au bourg moderne de Santa, situé sur le même canal du Nil qui conduisoit à l'antique Bubaste, et dans la même province, une foire où les habitans de la haute et de la basse Egypte se rassemblent en grand nombre. L'appât du gain et l'attrait du plaisir y attirent égale

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Lettres sur l'Egypte, lett. xxii. tom. i. p. 284. On trouvera dans la Lettre XIV. du même voyageur des détails curieux, mais trop étendus pour être rapportés ici textuellement, sur les improvisatrices Egyptiennes nommées Almé. On peut consulter aussi sur ce sujet M. Niehburr. Description de l'Arabie, p. 93. et suiv. (trad. Franc.), et Voyage en Arabie, tom. i. p. 148. et ailleurs.

ment des multitudes de personnes de l'un et de l'autre sexe; et, si la différence des temps et du langage ne s'opposoit à cette illusion, on croiroit relire la description d'Hérodote dans celle de Savary.

Je pourrois pousser plus loin ces rapprochemens entre l'antique et la moderne Egypte. Peut-être même retrouverois-je, sans beaucoup d'efforts, parmi le peuple Hébreu, des traces de ces goûts Egyptiens, qu'un long séjour au milieu de la nation idolâtre des Pharaons avoit dû faire contracter aux compatriotes de Moyse; et les succès de la fille d'Hérodiade, si funeste à St. Jean Baptiste, nous prouveroient combien la danse mimique avoit d'empire sur le cœur des hommes et sur la volonté des princes, à une époque qui peut sembler intermédiaire entre le siècle d'Hérodote et le nôtre. Mais je n'ai ni le loisir ni les connoissances nécessaires pour suivre et développer ce parallèle. Que d'autres, plus curieux ou plus habiles que moi, portent dans ces ténèbres de l'antiquité payenne le flambeau de l'érudition orientale, et complétent ou détruisent les vues rapides que je viens d'y jeter. Je n'ai point recueilli assez de documens pour établir une discussion certaine, et, sans étendre plus loin des conjectures, qui pourroient paraître hazardées, je me bornerai à rechercher, d'abord chez les Grecs, et ensuite chez les Romains, l'origine et la nature de l'improvisation poëtique.

To be continued.]

SOME OBSERVATIONS

On the Worship of Vesta, and the Holy Fire, in Ancient Rome: with an account of the Vestal Virgins.

BY G. H. NOEHDEN, LL. D.

PART II. [Continued from No. XXIX. p. 130.J THE altar of Vesta being, as Cicero terms it, (de Legg. II. 12.) the focus urbis, or, according to Tacitus (Ann. XI. 23.) the Ara Romana, may, in this point of view, be compared to the eoría кown of Greece, at Delphi, mentioned by Plutarch, (Aristid. 20.) The importance attached to the holy fire, and the sanctity of the temple, where those 'mysterious emblems were preserved, upon which the safety of the empire, and the welfare of the people, were thought to depend, (Delubrum Vestæ cum Penatibus Populi Romani. Tacit. Ann. xv. 41.) accounted for that extreme degree of veneration and awe, with which those objects, and whatever was connected with them, were contemplated. Tacitus relates, that even that monster, Nero, who set every thing human and divine at nought, could not divest himself of those feelings. For having, upon a certain, occasion, entered the temple of Vesta, he was seized with a sudden agitation and tremor in

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