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» le secret le plus profond. » Je trouvai qu'elle

avait bien raison.

Le suffrage que MM. d'Adhémar et de Vaudreuil avaient donné à M. de Ségur ne m'étonna point. Le dernier avait été intime ami de madame de Ségur, par conséquent à même de connaître son mari et de lui rendre justice. La reconnaissance suffisait pour déterminer le premier en sa faveur, et c'est à ce sentiment que j'attribuai d'abord la chaleur et la suite que M. d'Adhémar mit à le faire ministre. A la longue je vis que je lui avais fait plus d'honneur qu'il ne méritait.

La première fois que je revis ces messieurs, je leur dis que madame de Polignac m'avait appris leur opinion, et sur le ministre de la guerre actuel, et sur celui qu'ils pensaient devoir le remplacer; je les confirmai tant que je pus dans ces sentimens, et je les échauffai de mon mieux, pour ne pas différer à agir de concert. Je trouvai dans M. de Vaudreuil la chaleur qu'il met à toute idée nouvelle qu'il adopte, et la même vivacité dans M. d'Adhémar.

Il ne s'agissait plus que de rompre la glace visà-vis de la reine, et ce ne pouvait être que l'ouvrage de madame de Polignac; car il y avait longtemps que je m'étais imposé de ne plus entamer aucune affaire vis-à-vis cette princesse, et de me borner à lui répondre, sans me mêler que de celles dont elle me parlerait.

nous ap

Madame de Polignac ne tarda pas prendre qu'elle avait eu la conversation que journellement nous lui demandions, et que la reine avait adopté, et le renvoi de M. de Montbarrey, et la nomination de M. de Ségur. Ce n'était qu'un premier pas, et certainement le moins difficile. Le roi n'était pas non plus fort embarrassant; mais il y avait madame de Maurepas qui avait poussé M. de Montbarrey au point de fortune où il était parvenu, et qui le soutenait en toute occasion. La légèreté de M. de Maurepas et les efforts de madame de Maurepas donnaient prise sur ce ministre. Mais comment attaquer un homme dans son affection et son amour-propre? Il ne restait qu'une seule espérance, c'est que l'administration militaire étant tombée dans une décadence totale, forcerait enfin à renvoyer M. de Montbarrey.

Il fut de nouveau conclu que le secret le plus profond était nécessaire, dans la crainte que, si la moindre chose transpirait, M. de Maurepas ne prévînt le roi, et que la reine ne le trouvât averti et disposé contre ce qu'elle lui proposerait. Madame de Polignac me demanda même de n'en pas parler à M. de Ségur, par l'appréhension qu'un mot échappé ne renversât tous nos projets. Je le lui promis; mais je ne tins pas parole: encore devais-je à M. de Ségur, dans un pas comme celui-là, de savoir ses intentions. J'étais d'ailleurs trop sûr de lui pour craindre la moindre indiscrétion de sa part.

A la première ouverture que je lui fis, il me regarda avec le plus grand étonnement, et me crut devenu fou. Il avait toujours été si loin de toute intrigue, de toute vue ambitieuse, que jamais ses idées ne se portaient au-delà du cours ordinaire des choses, du moins sur celles qui le regardaient. Il écouta, avec la plus grande attention, le détail que je lui fis du projet que j'avais formé, et de la conduite que j'avais tenue pour l'amener au point où il était. Il sentit les inconvéniens, les charges et les dangers de la carrière dans laquelle je voulais le faire entrer, ainsi que son insuffisance pour se conduire à la cour. En même temps, il se montra sans effroi sur la tâche qu'il avait à remplir; et il avait raison. Consommé dans tous les détails militaires, il était sûrement au-dessus de la besogne d'un ministre de la guerre. Ces deux différens sentimens, joints à la surprise que lui causait une idée nouvelle qui n'était jamais entrée pour rien dans le calcul de sa vie, le jetèrent dans une sorte d'incertitude qui l'empêcha, dans ce premier moment, ni d'accepter ni de refuser : je le laissai à luimême après lui avoir demandé le plus grand secret.

Dans une seconde entrevue, je le trouvai plus familiarisé avec l'idée du ministère. Il ne pouvait cependant se persuader qu'il y atteindrait. Né défiant, et se flattant peu sur ce qui le regardait, il doutait toujours du succès. Je l'encourageai de mon mieux, surtout à la patience car connaissant la

longueur de madame de Polignac, et les distractions de la reine, je me doutais bien que la chose n'était pas près de finir, et je ne me trompais pas.

Plusieurs mois s'écoulèrent. Je ne cessai, pendant ce temps, d'exciter madame de Polignac, pour qu'elle échauffât la reine qui répondait toujours qu'elle persistait dans son dessein, mais qu'il ne fallait rien précipiter. M. d'Adhémar, impatienté de ces longueurs, s'en prenait à madame de Polignac. Je la traitais avec plus de douceur; mais, ni lui avec sa vivacité, ni moi avec ma patience, nous ne gagnions rien.

Enfin un jour elle nous apprit que la résolution était prise de renvoyer M. de Montbarrey. Elle ajouta que, n'étant pas encore sûre que M. de Ségur le remplacerait, il fallait garder M. de Montbarrey, jusqu'à ce qu'on fût certain de son fait ; ce qui ajoutait une difficulté de plus à l'affaire. Il faut avouer que cette manière de voir était juste.

A peu près vers ce temps, M. Necker découvrit que M. de Sartines, ministre de la marine, avait chargé ce département de vingt millions de dettes, dont il ne lui avait donné aucune connaissance. M. Necker jeta feu et flamme, et ne laissa pas échapper ce prétexte fondé de faire renvoyer M. de Sartines qu'il haïssait mortellement, et de porter à sa place M. de Castries qu'il aimait beaucoup. Il profita aussi dé cette occasion pour essayer de démontrer au roi le danger de laisser chaque

ministre maître des fonds dans son département; fortifiant de l'avantage de l'État l'ambition qu'il avait de se rendre le maître de tout, par le droit de disposer seul de l'argent : projet qu'il suivit avec tant de chaleur et si peu d'adresse, qu'enfin il en fut la victime.

La reine était alors à Trianon avec sa société intime pour y jouer la comédie. Je ne savais rien de ce qui se passait ; j'ai déjà répété plusieurs fois que, ne voulant plus me mêler d'aucune affaire, je ne faisais aucune question, et que je me bornais à écouter ce qu'on me disait, qui n'était pas grand'chose. Car, depuis que M. d'Adhémar s'était emparé de inadame de Polignac, elle n'éprouvait plus, je le répète, le besoin de me faire des confidences, et nous ne nous parlions presque jamais tête à tête, parce qu'il ne la quittait pas d'un pas.

Quoique l'obsession de M. d'Adhémar pour madame de Polignac fût poussée au dernier degré, cependant elle parut encore s'augmenter dans ce voyage de Trianon: il était sans cesse à son oreille. Si elle changeait de place, il la suivait à table, à la promenade, dans sa chambre : il ne l'abandonnait pas plus que son ombre. Je voyais bien qu'il se passait quelque chose d'extraordinaire; mais comme j'étais sûr qu'il ne s'agissait pas de M. de Ségur, et que j'ignorais que ce fût de M. de Castries, le reste m'était assez indifférent.

Le roi fit pendant Trianon un voyage de trois

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