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encouragé par des succès, songea à joindre à la carrière militaire où il se distinguait celle de la politique, comme un moyen de plus d'atteindre à la fortune. Il parvint encore à être nommé ministre du roi à Bruxelles. M. de Saint-Germain ayant fait un règlement qui interdisait la réunion de ces deux carrières, M. d'Adhémar se trouva dans la nécessité d'opter, et il se détermina pour la politique, n'étant encore que colonel à un âge qui ne lui permettait pas d'espérer une grande fortune militaire.

Il avait depuis long-temps des liaisons d'amitié avec M. de Vaudreuil et madame de Polignac, liaisons qu'il chercha à augmenter, voyant que madame de Polignac était parvenue à un degré de faveur et d'intimité auprès de la reine, qui ne laissait plus de doute que ce ne fût un sentiment solide, et non pas un goût passager comme cette princesse en avait eu plusieurs. M. d'Adhémar sentit de quel avantage il pouvait être pour lui de gagner la confiance de la duchesse de Polignac. Il employa tout ce qu'il put imaginer de moyens pour y parvenir, et y réussit si bien qu'elle se livra entièrement à lui et à ses conseils.

Depuis long-temps lié avec M. de Ségur, je désirais le faire ministre de la guerre. Croyant le moment favorable, je ne m'occupai plus que des moyens de parvenir à l'exécuter. Comme j'avais déjà échoué deux fois dans le dessein de faire des ministres, j'étais devenu plus habile dans l'art dif

ficile de préparer et d'opérer un changement à la cour; d'ailleurs ma position était bien différente. Lorsque j'avais voulu faire nommer M. d'Ennery ministre de la marine et M. de Castries ministre de la guerre, seul, sans soutien, j'étais obligé de tout hasarder, de brusquer les événemens, d'agir ouvertement, et d'essayer à force d'audace de l'emporter sur M. de Maurepas qui, d'un mot, renversait tous les édifices que j'essayais d'élever contre sa toutepuissance.

La situation de la cour n'était plus la même. La duchesse de Polignac, dépositaire des pensées les plus cachées de la reine, jouissant de toute sa confiance, la dirigeait comme elle voulait, non pas pour sa conduite particulière, mais sur les grands objets, et disposait entièrement du crédit immense que cette princesse avait sur le roi. J'étais ami intime de madame de Polignac ; et quoique son sentiment pour M. d'Adhémar eût rendu sa confiance et son amitié pour moi peut-être moins vives, cependant je n'ai jamais remarqué de changement en elle à mon égard, sinon un moindre penchant à m'ouvrir son cœur, qui ne m'était pourtant point fermé toutes les fois que je cherchais à y lire. Ce fut par son moyen que je jugeai que je ferais M. de Ségur ministre de la guerre, et je pensai qu'il fallait tenir une conduite toute différente de celle que j'avais eue en pareille occasion, c'est-à-dire, de mettre de l'adresse, de la patience et du secret où

j'avais été forcé d'employer de la précipitation et de la confiance.

Avant d'aller plus avant, il est nécessaire de faire connaître M. de Ségur. Il est d'une très-petite taille; ses traits sont assez bien; son esprit est plus solide qu'agréable; il a toutes les connaissances qui ont rapport au régime militaire qu'il possède à fond.

Aucun homme n'a poussé aussi loin que lui le courage physique et moral. Victime de plusieurs blessures cruelles, il envisageait de son lit la mort, avec autant de tranquillité que dans le combat, et il surmonte avec la même force de caractère les chagrins et les situations pénibles de la vie. Franc, loyal, patient, bon ami, juste, ces excellentes qualités sont quelquefois ternies par l'humeur qui le domine souvent. Il est lent à prendre une opinion; mais, ni amitié, ni faveur, ni aucune considération ne peut le faire écarter d'un principe qu'il a adopté. Impénétrable et ferme, M. de Ségur semble être né pour le ministère de la guerre, et certainement il était le seul capable de réprimer la licence, l'anarchie et le chaos où le militaire était tombé.

D'après le plan de conduite que je m'étais formé, je ne m'ouvris à personne du dessein que j'avais de porter M. de Ségur au ministère. Causant avec madame de Polignac sur la conduite inouie de M. de Montbarrey, lui remontrant avec force le mal qu'elle faisait aux troupes, et la nécessité de le renvoyer si

l'on ne voulait pas tout perdre, j'ajoutai que je ne connaissais qu'un seul homme capable de rétablir l'ordre, et que c'était M. de Ségur, sur le compte duquel j'entrai dans un grand détail.

Madame de Polignac, qui ne le connaissait pas bien particulièrement, et qui n'avait fait que le voir dans la société, m'écouta sans rien m'objecter; mais sans autre conviction que celle qu'on accorde à un ami en qui on a confiance, et qui nous parle sur une matière qu'il entend mieux que nous. Comme je la trouvai assez froide sur tout ce que je lui disais, je ne jugeai pas à propos de la presser davantage dans une première conversation. Je résolus même de mettre de l'intervalle avant de revenir sur cet objet. Cependant je l'entretenais journellement des torts de M. de Montbarrey, et la matière était ample; différens motifs m'y engageaient l'envie que son renvoi fît place à M. de Ségur, le bien de la chose, et ma part de la haine qu'il s'était attirée de toute la tête du militaire, dont il n'avait employé personne en 1779, lorsqu'on avait projeté de faire une descente en Angleterre.

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A quelque temps de-là, me trouvant tête-à-tête avec madame de Polignac, et parlant encore de M. de Montbarrey, elle me dit qu'en effet il n'était plus possible de le garder, et qu'il fallait faire un choix pour le remplacer. Ce propos m'étonna, d'après l'ouverture que j'avais faite sur M. de Ségur. Ne sachant si elle parlait sérieusement, ou si

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elle plaisantait, je voulus la voir venir, et je lui demandai pour qui elle penchait : « Pour un homme » de vos amis, me répondit-elle, pour M. de Sé»gur. Ce sont MM. de Vaudreuil et d'Adhémar

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qui me l'ont indiqué, et qui m'ont fort assuré qu'on ne pouvait en prendre un meilleur. Qu'en pensez-vous? »

Le ton qu'elle employa me fit voir qu'elle parlait sérieusement, et qu'elle avait parfaitement oublié la conversation que j'avais eue avec elle. Je n'eus garde de la lui rappeler : on a beau jeu pour donner du poids à une idée, lorsqu'on ne passe pas pour en être l'auteur. Au contraire, je fis semblant de réfléchir pendant quelques instans, et je lui dis qu'en effet ces messieurs et elle avaient raison; que M. de Ségur avait toutes les qualités nécessaires pour faire un bon ministre de la guerre, et toutes celles qu'elle et la reine pouvaient désirer; que je lui répondais que jamais il ne manquerait à l'attachement et à la reconnaissance, non plus qu'à tout ce qu'on peut attendre d'un parfait honnête homme; qu'enfin, s'il était possible de déterminer la reine à la seule chose pour laquelle elle devait mettre tout en usage, c'est-àdire de faire des ministres que l'opinion désignât, certainement elle ne pouvait mieux choisir que M. de Ségur. « Eh bien! répliqua madame de

Polignac, il faut suivre cette idée; mais pour qu'elle puisse réussir, il est nécessaire de garder

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