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clef, et ayant poussé plusieurs fois inutilement, il s'écria: 4h! mon Dieu, le verrou est mis en dedans; attendez-moi là, il faut que je fasse le tour. Il revint peu de temps après, et me dit que la reine était bien fâchée, qu'elle ne pouvait me voir dans cet instant, parce que l'heure de la messe la pressait, mais qu'elle me priait de revenir au même endroit à trois heures.

Je m'y rendis, et Campan m'introduisit par une issue détournée dans une chambre où il y avait un billard que je connaissais pour y avoir souvent joué avec la reine; ensuite dans une autre que je ne connaissais point, simplement, mais commodément meublée. Je fus étonné, non pas que la reine eût désiré tant de facilités, mais qu'elle eût osé se les procurer. «Eh bien! baron, me dit-elle d'abord

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qu'elle me vit, que pensez-vous de la situation de » mon frère? que peut-on faire? et quel parti va-t» il prendre? — Madame, lui répondis-je, il n'y en » a qu'un. Il faut qu'il se batte contre M. le duc de » Bourbon, et mon intention était de l'avertir aujourd'hui de l'opinion du public, et qu'à Paris » on le calomnie. Mon attachement pour lui, et » mon intérêt personnel, me mettent à l'abri du » soupçon que je sois prodigue de ses jours; mais >> j'aime mieux le voir mort que déshonoré : je » n'ai même différé de l'instruire du point où en » sont les choses, que parce que Campan m'a in– » formé que V. M. avait des ordres à me donner,

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» et que j'ai voulu auparavant savoir ses intentions. Je pense tout comme vous, reprit-elle, et » le roi aussi. Mais croyez-vous que mon frère adopte ce moyen? - Madame, répliquai-je, je » dis toujours ce que je pense ; je n'aime point l'air » triste et rêveur qu'il a depuis quelques jours. Il est » vrai qu'il ignore parfaitement tout ce qui se passe : » V. M. peut s'en rapporter à moi pour le lui faire comprendre, et le porter à ce qu'il a à faire dans » une circonstance aussi importante pour lui. Cependant, comme c'est un grand parti, je désire» rais avoir l'avis de M. le chevalier de Crussol (1). » — Eh bien, me répondit la reine, il n'y a qu'à » le faire venir. » Elle appela Campan, et lui ordonna de l'aller chercher. Il revint quelques instans après, dire que le chevalier était avec M. le comte d'Artois, et qu'il ne pouvait quitter. « Il ne m'est » pas possible de rester plus long-temps, me dit la » reine; il faut que j'aille au salut. Mais voyez le » chevalier de Crussol, arrangez tout avec lui, et » venez me dire ce soir chez moi, à neuf heures, » ce que vous aurez arrêté. »

J'allai en conséquence chercher Crussol que je ne tardai pas à trouver; et désirant causer tranquillement avec lui, je le menai chez la comtesse Jules de Polignac, instruite de tout par la faveur où elle était

(1) Le chevalier de Crussol, capitaine des gardes de M. le comte d'Artois, homme d'esprit et de mérite.

auprès de la reine. Je la trouvai avec son mari et Vaudreuil, qui, tous deux de mes amis, ne m'empêchèrent pas d'entrer en matière. A peine avais-je exposé la position des choses et mon opinion, qu'il fallut interrompre. Il est impossible de jamais suivre une affaire avec les femmes; les valets qui entrent sans cesse, et cette éternelle toilette, obligent toujours de discontinuer. La comtesse Jules nous dit que, devant aller chez la reine, il fallait qu'elle s'habillât. Je pris donc le parti de passer dans une garde-robe avec le comte Jules, Vaudreuil et le chevalier de Crussol: cette pièce était si petite que nous fûmes obligés de nous tenir debout, et si près les uns des autres, que nous avions plus l'air de conde toute autre chose.

jurés que

Ayant repris l'affaire où je l'avais laissée, je répétai à ces messieurs que je pensais qu'il ne restait plus d'autre parti à prendre à M. le comte d'Artois, que celui de se battre. Ils furent tous de mon avis, et le chevalier de Crussol ayant pris la parole, ajouta : D'autant que les choses n'iront pas bien loin; car » sitôt que M. le comte d'Artois et M. le duc de » Bourbon. auront l'épée à la main, je leur mon» trerai l'ordre écrit et signé du roi d'en demeurer », là; » et sur cela, il tira, un papier de sa poche, qui en effet était un ordre de la main du roi.

<< Comment! chevalier, lui dis-je, c'est donc une » petite comédie que va jouer M. le comte d'Artois ? je vous avertis qu'elle sera bien plate et le désho

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»norera plus que tout ce qui s'est passé jusqu'à » cette heure. Quant à moi, je vous déclare que je n'y donne point mon approbation,

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» pelez-vous? reprit le chevalier, c'est assez pour M. le comte d'Artois de se présenter. Son affaire est » de venir sur le pré, et celle du roi est d'empê » cher les suites qui peuvent en arriver. »

Le comte Jules et Vaudreuil appuyèrent cette opinion. «Ma foi, Messieurs, leur répliquai-je, vous » ne me ferez jamais comprendre cette morale-là. » — Vous en parlez bien à votre aise, me dit Crus» sol. Songez donc que je serai témoin; que j'ai » un serment, et que s'il arrivait quelque chose à, » M. le comte d'Artois,, il y va de ma tête. - Si » vous ne trouvez pas que ce soit le cas de la jouer, lui répondis-je, je n'ai plus, rien à vous dire. Je » m'en vais parler à M. le comte d'Artois.. » Et sur cela, les ayant quittés, je pris le chemin de l'appartement de ce prince.

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Je n'ai rapporté que succinctement une conversation qui fut beaucoup plus longue; mais en voilà, la substance. Dans le chemin, je réfléchis un peu à tout ce qui se passait, et je crus démêler que l'affaire du combat de M. le comte d'Artois avait déjà été, traitée, qu'on l'avait décidée avec labelle restriction, de le mettre à l'abri de tout risque, au moyen de l'ordre du roi, et que la même timidité qui avait, fait naître cette idée, avait empêché que qui que ce fût, voulût. se charger, de parler à ce prince, et de le

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porter à ce qu'on désirait de lui; que la connaissance de mon caractère franc et peu craintif avait fait jeter les yeux sur moi, et qu'on avait chargé la reine plutôt de me sonder que de me parler ouvertement. A tant de petitesses, je crus reconnaître l'homme de robe, et surtout les finesses et l'intrigue de M. de Maurepas qui dirigeait tout, en ne paraissant dans rien.

J'aimais véritablement M. le comte d'Artois, qui rendait justice à la vérité de mon attachement pour lui; j'étais sensiblement affligé de la tache dont on allait le flétrir; cependant la jugeant moins grande, en faisant ce qu'on attendait de lui, qu'en ne faisant rien du tout, je me déterminai à l'y porter, me promettant bien de ne point partager ses torts, et de ne me point trouver à ses côtés lorsqu'il serait en présence de M. le duc de Bourbon, ce que je n'aurais pas manqué de faire, si c'eût été tout de bon.

Je trouvai M. le comte d'Artois dans son cabinet avec cinq ou six personnes de sa maison. Dès qu'il me vit, il vint à moi comme à l'ordinaire, et me prit par la main. Je m'approchai de son oreille pour lui demander de passer dans son arrière-cabinet, ayant quelque chose à lui dire; il me tira dans l'embrasure d'une fenêtre, en me disant : Nous sommes bien ici; qu'est-ce qu'il y a? J'entrai en matière : je lui fis un détail exact de tous les propos de Paris, sans pallier la façon fâcheuse dont on

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