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lui envoya un courrier le samedi au soir, et sur-lechamp ces princes montèrent en voiture pour revenir. M. le prince de Condé, au lieu de faire de cette aventure une affaire de famille, d'aller trouver le roi, comme le chef, et de lui demander d'interposer son autorité pour la terminer, lui donna la tournure d'une affaire de cour: il ne vit point le roi; mais il alla parler à M. de Maurepas, et ce ministre mit les choses en négociation, je ne sais par quel motif; car, consommé comme il l'était dans les affaires de société et les intrignes de cour, on ne peut lui attribuer une faute d'ignorance ou de distraction.

J'allai, comme à mon ordinaire, le dimanche matin, à Versailles; et là, étant tête-à-tête avec M. le comte d'Artois, dans son cabinet, je saisis cette occasion, ainsi que cela m'est arrivé souvent, pour lui donner une idée juste des choses et de la façon de se conduire. En convenant que madame la duchesse de Bourbon s'était comportée de la manière la plus répréhensible, je lui remontrai que la façon dont il s'était comporté lui-même donnait gain de cause à cette princesse, parce qu'il s'était laissé aller, vis-àvis d'elle, à une vivacité qui choquait le préjugé des hommes, et révoltait l'amour-propre des femmes. M. le comte d'Artois avoua que j'avais raison, s'excusa sur la colère qui l'avait transporté, et qui l'avait empêché de calculer ses mouvemens.

Nous én étions là de notre conversation, lorsque

le roi et la reine arrivèrent par l'intérieur. Nous la continuâmes sur le même sujet; mais la chose s'étant tournée en gaieté, nous ne cessâmes, pendant plus d'une demi-heure qu'ils restèrent, de faire des plaisanteries, et de rire sur un objet qui pourtant, dans le fond, n'était pas trop plaisant.

De retour à Paris, je trouvai les propos plus établis et plus envenimés que jamais. Les femmes, qui ont peu de retenue dans leurs décisions, disaient publiquement que cette affaire ne pouvait plus s'accommoder, et voulaient, selon leur coutume ordinaire, que M. le duc de Bourbon se battît. Je m'étais bien douté que les choses en viendraient là. Attaché comme je l'étais à M. le comte d'Artois, qui me comblait de bontés et de confiance, et que j'aimais tendrement, je tentai le seul moyen qui restait encore, J'allai chez la comtesse Jules de Polignac, favorite de la reine, à laquelle, de son côté, elle était attachée de cœur. J'y trouvai le duc de Coigny. Ils étaient informés, ainsi que moi, de ce qui se débitait dans le monde, et ils en étaient également peinés.

Je leur dis que, dans la situation des choses, il ne restait plus qu'une seule ressource: c'était que le roi fit venir madame la duchesse de Bourbon et M. le comte d'Artois; qu'il fit le père de famille, et qu'il grondât également madame la duchesse de Bourbon de son étourderie, et monsieur son frère de sa vivacité; qu'il terminât la séance par les faire

embrasser, avec défense, sous peine de lui déplaire, que jamais on reparlât du passé. La comtesse Jules et le duc de Coigny approuvèrent mon idée, et s'y prêtèrent chacun selon leur caractère; c'est-à-dire, la comtesse Jules en écrivant sur-le-champ à la reine, et le duc de Coigny, en y mettant le secret et les réserves que la crainte de se compromettre fait toujours employer à un courtisan.

M. de Maurepas dirigeait toute cette affaire, et lui avait donné une tournure dont je n'ai jamais pu, je le répète, comprendre le motif. Il était en négociation que M. le prince de Condé viendrait, avec tous les siens, faire des excuses au roi, ce qu'il ne refusait pas; mais il ne voulait pas articuler que jamais ni lui, ni ce qui lui appartenait ne manquerait à S. M. et à la famille royale. C'était précisément ce mot de famille royale qui faisait la pierre d'achoppement, parce que les rois ne veulent pas considérer les princes comme en faisant partie, et les princes veulent toujours en être. Comme chacun tenait bon de son côté, cela occasiona beaucoup d'allées et de venues qui n'aboutissaient qu'à faire manquer M. le prince de Condé au rendez-vous que le roi lui donnait.

Enfin, le samedi matin, S. M. ordonna à M. le prince de Condé de se rendre à Versailles, suivi de monsieur et de madame la duchesse de Bourbon; et les ayant fait entrer dans son cabinet où était M. le comte d'Artois, il signifia, non pas en père de fa

mille, mais en roi, qu'il voulait que le passé demeurât dans l'oubli, et surtout qu'on n'en reparlât plus. M. le duc de Bourbon voulut prendre la parole, et n'eut que le temps de proférer : Mais, Sire.... Le roi l'interrompit, et lui imposa silence en lui disant : Ne vous ai-je pas fait entendre que c'était me déplaire que d'ajouter un seul mot ?

Tout le monde sortit mécontent, et cela devait être. Comme madame la duchesse de Bourbon, en assurant le roi que son intention n'avait jamais été de lui déplaire, n'avait pas ajouté et à la famille royale, M. le comte d'Artois ne lui avait fait aucune réparation par conséquent elle se tenait toujours pour offensée, et M. le duc de Bourbon se croyait obligé d'en demander raison, ainsi que l'avaient décidé les femmes; aussi se conduisit-il d'après cette opinion. Dès l'après-midi, il monta à cheval et s'en alla à Bagatelle, petite maison que le comte d'Artois avait dans le bois de Boulogue; où jamais M. le duc de Bourbon n'avait mis le pied, ces deux princes ne vivant point du tout ensemble. Il affecta de demander au concierge si M. le comte d'Artois n'y viendrait point dans la journée, et quand on l'y attendait : manière de le provoquer; car il n'avait pas jugé à propos de lui écrire, encore moins de l'aller chercher à Versailles.

Je m'y rendis le lendemain (c'était le dimanche ), dans l'intention d'avertir M. le comte d'Artois de ce qui se passait, des démarches de M. le duc de

Bourbon, et surtout des propos qui étaient parvenus à leur comble, chose qu'il ignorait entièrement: car les mêmes courtisans, qui étaient avec lui comme à l'ordinaire, et qui le déchiraient à belles dents en arrière, n'avaient garde, ni de le défendre, ni de l'instruire qu'on le calomniait.

Je débutai par aller au lever du roi. A peine étaisje dans son cabinet, que j'aperçus Campan, secrétaire du cabinet de la reine, qui me fit un signe de tête ; j'allai à lui; il me dit, n'ayant pas l'air de me parler Suivez-moi, mais de loin, pour qu'on ne s'en aperçoive pas. Il me fit passer par plusieurs portes et plusieurs escaliers qui m'étaient entièrement inconnus, et lorsque nous fûmes hors d'état d'être ni vus ni entendus : « Monsieur, me dit-il, » convenez que ceci a bon air; mais ce n'est pas » tout-à-fait cela, car le mari est dans la confidence. Mon cher Campan, lui répondis-je, ce n'est » pas quand on a des cheveux gris et des rides,

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qu'on s'attend qu'une jeune et jolie reine de vingt » ans fasse passer par des chemins aussi détournés, » pour autre chose que pour des affaires. Elle » vous attend, reprit-il, avec beaucoup d'impa» tience. J'ai déjà envoyé deux fois chez vous, et je vous ai guetté dans tous les endroits où j'ai cru pouvoir vous trouver. »

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Il achevait à peine de parler, que nous nous trouvâmes à hauteur des toits, dans un corridor fort sale, vis-à-vis d'une vilaine petite porte. Il y mit une

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