Page images
PDF
EPUB

Combat de M. le comte d'Artois et de M. le duc de

Bourbon.

Écrit en 1778.

LORSQU'ON maria mademoiselle d'Orléans à M. le duc de Bourbon, on mit auprès d'elle, en qualité de dame de compagnie, mademoiselle de Roncherolles, qui venait d'épouser M. de Canillac. Madame de Canillac, dans la première jeunesse, était petite; elle avait un très-beau teint, des traits agréables, à l'exception du nez, dont les narines étaient trop ouvertes, et de la bouche, qui était désagréable; mais en tout c'était une jolie femme, dont la fraîcheur effaçait les défauts.

M. le duc de Bourbon en devint bientôt amoureux, et se conduisit en conséquence. Madame la duchesse de Bourbon s'en aperçut. Au lieu d'employer ou la retenue, rôle ordinaire des femmes délaissées, ou les moyens doux pour ramener son mari, elle se laissa aller à des démarches d'éclat qui réduisirent les choses au point que madame de Canillac fut obligée de se retirer d'auprès d'elle, et que cette dissension domestique devint le sujet de l'entretien de tout Paris. A l'exception d'un petit nombre d'amis ou de gens intéressés, tout le monde blâma madame la duchesse de Bourbon, qui pou

vait avoir raison dans le fond, mais qui avait tort dans la forme.

Madame de Canillac, encore trop jeune pour res ter isolée dans le monde, fut recueillie par madame de La Ferronnays, sa tante, qui la retira chez elle. Quelque temps après, elle fut placée comme dame auprès de madame Élisabeth, sœur du roi. Madame de la Ferronnays lui procura cette place par le moyen de M. le duc de Coigny, qui ne lui rendait que des soins et de l'amitié pour une passion aussi constante qu'infructueuse. Le duc de Coigny avait obtenu cet arrangement de madame de Guéménée, gouvernante des enfans de France, avec laquelle il était très-lié.

Madame de Canillac resta quelque temps à la cour sans faire parler d'elle, s'en tenant à y être une jolie femme à qui tout le monde prodiguait des galanteries, sans que qui que ce fût y mît assez de suite pour fixer l'attention et donner matière aux propos. Enfin M. le comte d'Artois parut s'occuper d'elle, et abandonner quelques fantaisies qui avaient fait du bruit. Tous les yeux se portèrent sur ce nouvel objet. Madame la duchesse de Bourbon ne fut pas des dernières à le remarquer. Elle joignait à une grande antipathie pour madame de Canillac la mortification de la trouver encore sur son chemin :' car M. le comte d'Artois avait paru, dans son début dans le monde, penser à elle; de manière qu'elle éprouva la petite jalousie commune à toute femme,

et la haine personnelle qu'elle avait contre madame de Canillac fut poussée à son comble par ce nouvel avantage.

Ce fut dans ces dispositions que se trouvant au bal de l'Opéra, du mardi-gras de l'année 1778, elle reconnut M. le comte d'Artois qui donnait le bras à madame de Canillac, tous les deux masqués jusqu'aux dents. Elle s'attacha sur leurs pas, et se permit tous les propos embarrassans et piquans que la liberté du bal et le déguisement autorisent. Madame de Canillac, aussi embarrassée qu'on le peut être, profita de la facilité de ne point répondre pour ne se point compromettre, et quitta le bras de M. le comte d'Artois qui chercha de même, mais inutilement, à se dérober dans la foule. Enfin, s'étant assis, madame la duchesse de Bourbon se mit à côté de lui; et poussant les choses à bout, elle prit la barbe du de M. le comte d'Artois. En le levant avec masque violence, les cordons qui l'attachaient se cassèrent. Hors de lui, furieux, il saisit de la main celui de madame la duchesse de Bourbon, le lui écrasa sur le visage, et, profitant de la première surprise, il la quitta sans proférer un seul mot.

Cet événement ne fit nulle sensation dans le premier moment. M. le duc de Chartres étant allé le lendemain chez sa sœur, elle lui raconta ce qui lui était arrivé, ne faisant qu'en rire, comme d'une de ces ridiculités dont le bal de l'Opéra abonde, et ce prince n'y donna pas plus d'attention que la chose

ne semblait le mériter; de manière qu'il alla, -le jeudi, ainsi qu'à son ordinaire, chasser le sanglier à Saint-Germain, avec M. le comte d'Artois, et dîner chez lui après la chasse. Il faut bien remarquer ceci, car cela justifie pleinement M. le duc de Chartres des torts que le public s'est efforcé de lui donner par la suite, et aggrave ceux de madame la duchesse de Bourbon, qui n'ont fait que s'accumuler : la vérité me force à le dire jusqu'à la fin.

On ne sait si ce fut de son propre mouvement, ou excitée par de mauvais conseils, que cette princesse, le jeudi au soir, ayant beaucoup de monde à souper chez elle, dit en pleine table que M. le comte d'Artois était le plus insolent des hommes, et qu'elle avait pensé appeler la garde au bal de l'Opéra pour le faire arrêter. Afin de colorer cette incartade qu'on lui a reprochée, elle a dit qu'elle ne s'était permis ce propos qu'après avoir été informée que M. le comte d'Artois avait raconté son aventure à souper chez la comtesse Jules de Polignac, en la nommant, ce qui était faux.

Le propos du souper de madame la duchesse de Bourbon se répandit bientôt dans le monde, et y fit une grande sensation. Les femmes surtout se déchaînèrent contre M. le comte d'Artois. En général le public, on ne sait pourquoi, n'aimait pas la famille royale, la reine, et M. le comte d'Artois surtout. Il faut pourtant convenir que cette princesse était faite sur le modèle d'une reine des Français,

et M. le comte d'Artois joignait des qualités excellentes à toute la frivolité, toute l'étourderie, si l'on veut, qui caractérise la jeunesse de cette nation, et souvent elle pousse dans un âge qui ne l'admet

que

plus.

Quoique madame la duchesse de Bourbon ne fût pas aimée, être en opposition avec la famille royale fut cause que tout le monde se déclara pour elle, les femmes surtout, ainsi que je l'ai déjà dit, parce que la jalousie qui règne entre elles, dont on trouve des traces en tant d'occasions, cède toujours à la cause commune, et lorsqu'elles croient que la déférence due à la domination et à la prééminence qu'elles s'arrogent, est attaquée.

:

Toutes les conversations ne roulaient sur autre chose que sur l'événement du bal de l'Opéra du mardi-gras, et il y avait autant de versions que de gens qui en parlaient. On s'accordait cependant sur le fond l'univers le savait ; il n'y avait que ceux qui étaient les plus intéressés à cette aventure qui l'ignoraient; je veux dire M. le prince de Condé, M. le duc de Bourbon et M. le duc d'Orléans. Madame la duchesse de Bourbon, après avoir fait le mal, n'eut garde d'en instruire les gens dont elle dépendait, et qui auraient pu en prévenir les suites.

Les propos allèrent si loin, que M. d'Autichamp, premier écuyer de M. le prince de Condé, crut de son devoir d'en instruire ce prince. Il était alors avec M. le due de Bourbon à Chantilly. M. d'Autichamp

« PreviousContinue »