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Sa nomination n'apporta aucun changement au désordre qui régnait dans le militaire; et lorsqu'on lui en parlait, il haussait les épaules, répondait modestement qu'il n'était que l'aide-de-camp de M. de Saint-Germain, et qu'il lui avait trop d'obligations pour n'être entièrement soumis à ses volontés. Il n'était pas bien difficile de pénétrer où tendaient ces propos.

pas

Dans son projet de divisions, M. de Saint-Germain avait arrangé d'en changer souvent les officiersgénéraux, pour les mettre successivement en activité, et par-là, disait-il, les former et les tenir en halcine: chose aussi mal vue que beaucoup d'autres détails de son plan; ce changement continuel n'aboutissant qu'à retirer des troupes les officiers-généraux, au moment qu'ils commençaient à les connaître et à en être connus, à ôter aux généraux tout intérêt et toute émulation, et aux troupes toute considération pour leurs chefs.

J'étais assez indifféremment avec M. de Montbarrey. Les circonstances ne m'avaient jamais mis à portée de le connaître beaucoup. Il y avait à peu près un an qu'il était adjoint, lorsque l'ayant rencontré chez M. le duc d'Orléans, il me prit à part dans une croisée, pour me demander s'il me convenait de prendre une division. Je lui répondis que rien dans le monde ne pourrait me déterminer à servir, en temps de paix, avec M. de Saint-Germain ; mais que comme j'étais bien sûr qu'il nous en

ferait justice, et qu'il ne tarderait pas à le chasser, j'acceptais avec grand plaisir, ne demandant pas mieux que d'avoir affaire à lui. Sans me répondre autrement que par un sourire sur ce qui regardait M. de Saint-Germain, il m'offrit la division du Languedoc et du Roussillon, que j'acceptai.

La manière honnête dont M. de Montbarrey m'avait prévenu fit sur moi l'impression que m'a toujours faite le moindre service, c'est-à-dire que je me regardai comme son obligé, et que je me conduisis en conséquence.

En partant pour ma destination, je lui promis de lui écrire avec confiance, et de lui rendre des comptes exacts et assez amples pour qu'il pût remédier aux désordres qu'avait occasionés M. de Saint-Germain ; car, lui ajoutai-je, vous ne tarderez pas à être en chef. Je lui tins parole; je lui écrivis des volumes, et assurément j'avais de quoi. Quelque idée que je me fusse formée de l'indiscipline et de l'anarchie qui régnaient dans les troupes, elle était fort au-dessous de ce que je trouvai lorsque je les vis de près.

M. de Montbarrey, pendant toute mon absence, ne m'écrivit que des lettres ministérielles, et ne répondit à aucun des comptes particuliers qu'il recevait fréquemment de moi. Je lui en fis des reproches à mon retour. Il me répondit que ce n'avait pas été manque de bonne volonté ; mais que, dans la position où il était, il n'avait pas osé; ce que je

crus bonnement, ne connaissant point encore le fond de son caractère.

M. de Saint-Germain croupit encore quelque temps dans sa place : mais son discrédit devint si fort qu'enfin il ne put plus le supporter. Il demanda à se retirer; on le lui accorda avec facilité, et M. de Montbarrey fut nommé ministre de la guerre.

Comme il avait des formes assez agréables, écou tant tout le monde avec l'apparence de l'intérêt, promettant avec facilité, son début fut satisfaisant et pour lui et pour le militaire; mais on s'aperçut que sa facilité n'était que de l'indifférence, et qu'il ne fallait faire aucun fonds sur ses promesses. L'attente trompée fit mettre l'humeur et les plaintes à la place de l'espérance et du contentement. Pour lui, se souciant aussi peu de remplir sa place que de captiver les suffrages, il n'était occupé que de plaire à monsieur et surtout à madame de Maurepas, desquels il sentit que dépendait le seul point de vue qu'il pouvait avoir eu, je veux dire sa fortune. De tous les gens en place que j'ai connus, c'est certainement celui qui a tiré meilleur parti de sa position, parce qu'avec plus d'esprit qu'on ne lui en accordait, il avait l'imagination tendue vers son but, avec un parti pris contre les obstacles qu'il rencontrerait sur sa route.

On l'a vu successivement se faire prince de l'Empire, chevalier de l'ordre, grand d'Espagne; marier

sa fille au fils du prince souverain de Nassau, et faire une opération militaire pour lui procurer une dot; avoir la survivance du grand bailliage d'Haguenau, que le duc de Choiseul avait mis dans sa famille, et que celui-ci fit passer dans la sienne à une époque que le premier n'avait pas prévue; en un mot, se procurer tout ce que le temps qu'il a été dans le ministère lui a permis de projeter et d'accomplir, ne négligeant rien, faisant valoir la moindre grâce par des gens ruinés, et même, dit-on, par des courtisanes, société qu'il aimait assez.

En faisant cette fortune, il semble que la prudence devrait suggérer de se faire quelque soutien, ou des militaires en les flattant, ou des grands seigneurs en les achetant, ou de la voix publique en offrant du moins l'apparence d'une bonne administration. A l'exception de la façon dont il accueillait toute sollicitation, jamais aucune demande n'a eu le succès qu'il promettait toujours. Il a soulevé contre lui tout le militaire, lorsqu'en 1779, obligé d'assembler une armée sur les côtes, et une en Flandre, je ne sais par quel calcul il a mis de côté toute la tête des officiers-généraux, et ceux qui, par leur mérite, leurs services et leur rang, devaient le plus s'attendre à n'être pas laissés inutiles, pour employer dans ces deux armées beaucoup de gens obscurs, et dont le choix était le plus inattendu. Il déplut à la multitude par le peu de fonds qu'on pouvait faire sur les représentations les plus justes. Homme pa

resseux et de plaisir, plein de lenteur dans les expéditions, il en était venu à ne pouvoir prendre sur lui de signer son nom, à remettre toutes les expéditions à ses commis, avec la signature desquels, et le bon ordre, et la forme, se trouvaient sans cesse en contradiction. En un mot, le personnel et l'administration de M. de Montbarrey devinrent bientôt l'objet de la censure publique.

Lorsqu'un ministre en est à ce point, une chute prochaine est la seule perspective qui lui reste. M. de Montbarrey, sourd à l'opinion publique ainsi qu'aux représentations de ses amis, ne voulut jamais rien changer à sa conduite soît qu'il fût content d'avoir obtenu tout ce qu'il s'était assuré, et que sa fortune, seule visée qu'il ait eue, fût parvenue au degré qu'il désirait; soit que se fiant sur l'appui de monsieur et de madame de Maurepas, il crût que leur crédit prévaudrait toujours sur le cri public, en quoi il se trompa. Mais cet événement, auquel j'ai eu beaucoup de part, demande des préliminaires; j'y reviendrai peut-être par la suite.

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